jeudi 2 février 2012

L'étrange Kakapo

L'extraordinaire Kakapo (Strigops habroptilus) est l'un des oiseaux les plus menacés de Nouvelle-Zélande, mais c'est aussi l'un des oiseaux les plus étranges qui aient jamais existé.

Exclusivement végétarien, il se nourrit de bourgeons, bulbes,
cônes, feuilles, fleurs, fruits, graines, pollen et des racines
de nombreux végétaux, en fonction des disponibilités.
Source: Wikipedia.
Ce perroquet géant, aux moeurs nocturnes, est autrefois répandu dans les forêts de hêtres des îles du Nord et du Sud de la Nouvelle-Zélande, ainsi que sur l'île Stewart. Son déclin commence probablement dès que les Maoris venus de Polynésie entreprennent de coloniser la Nouvelle-Zélande, vers 950. Neuf cents ans plus tard, lorsque les Européens débarquent à leur tour, ce déclin est déjà bien amorcé. Les Maoris puis surtout les Européens défrichent près des trois quarts de la forêt qui, jadis, couvrait presque toute la Nouvelle-Zélande. Des cerfs et des chamois sont introduits dans ce qu'il en reste, en même temps que se répandent les chats et les chiens, inséparables compagnons des colons, qui, par ailleurs, importent des prédateurs comme l'hermine. Le Kakapo étant un oiseau qui ne vole pas et qui possède un régime uniquement herbivore, toutes les transformations que les hommes apportent à son biotope l'affectent profondément.

Même dans la région montagneuse du Fjordland, dans l'île du Sud, réputée peu accessible, la petite population de Kakapos diminue rapidement au cours des années 1960. Plus récemment, vers 1970, l'espèce est même déclarée éteinte, car tous les oiseaux connus sont des mâles.

En 1976, l'histoire du Kakapo connaît un important rebondissement, lorsqu'une petite population est découverte sur un peu plus de 500 km carrés, dans une région reculée de l'île de Stewart. Or, cette population comporte quelques femelles, ce qui permet d'espérer la survie de l'espèce. Des recherches intensives sont menées et un programme de transfert des oiseaux vers des sites plus sûrs mis en place. En 1985, les effectifs de l'espèce sont estimés à 50 individus dont 12 femelles. Cependant, cette année-là, aucun poussin ne survit.

Voici un tableau, établi en 1999, montrant le nombre connu des Kakapos (source Wikipedia):



FemellesMâles
SubadultesAdultesSubadultesAdultesTotaux
FjordlandProbablement éteint depuis 1987
Stewart IslandPopulation relocalisée entre 1980 et 1997
Codfish Island41231635
Maud Island274417
Little Barrier Island01001
Chetwode Island00033
Pearl Island00066
Totaux62072962



Le Kakapo ne ressemble à aucun autre perroquet, sauf peut-être à la Perruche nocturne (Geopsittacus occidentalis) ou à la Perruche terrestre (Pezoporus wallicus), qui toutes deux vivent en Australie, où elles sont également très rares. Les Kakapos sont de gros oiseaux, les mâles pèsent plus de 3,5 kg en période de reproduction et mesure 66 cm de long; les femelles, plus petites, ne pèsent que 1,5 kg. Leurs muscles pectoraux, peu développés, ne leur permettent pas de voler. Ils ne peuvent que sauter ou se laisser tomber, les ailes étendues, d'une hauteur de quatre à cinq mètres. Cependant, ils courent à une vitesse surprenante, avec une étonnante agilité, dans des broussailles si denses qu'ils échappent facilement à la capture.

Le Kakapo, dont le nom CINFO complet est le Strigops kakapo (Strigops habroptilus), est également appelé perroquet-hibou, whakapapa ou kaka de nuit. C'est une espèce de perroquet nocturne endémique à la Nouvelle-Zélande,  Son nom signifie « perroquet de nuit » en Maori. Il est connu pour être le seul perroquet non-volant du monde, le plus lourd perroquet et l’un des oiseaux ayant la plus longue durée de vie du monde avec son espérance de vie de 60 ans.
Source: Demain les Oiseaux (1989) et Wikipedia.

Leur territoire actuel est entièrement constitué de petites enclaves dans la forêt tempérée, juste à la limite des arbres, sur l'île de Stewart et dans la région du Fjordland, où les Kakapos ont aussi accès à la dense forêt buissonneuse et à la prairie subalpine. Il est sans doute important qu'ils puissent passer de l'un à l'autre de ces deux types de milieu, car s'ils se nourrissent essentiellement sur la prairie, ils s'abritent, nichent et trouvent un complément alimentaire dans la forêt. Ils semblent se déplacer beaucoup sur les versants des montagnes, à la recherche de leur nourriture, et, pour les mâles, d'un lieu de parade nuptiale sur les crêtes montagneuses.

Ce sentier bien tracé fait partie de l'aire
d'une arène de parade nuptiale aménagée
par le groupe de mâles qui la partage.
Source: Demain les Oiseaux (1989)
Les parades du Kakapo sont sans doute l'un des aspects les plus curieux et les plus insolites de son comportement hors du commun. Les Maoris et les premiers explorateurs européens avaient remarqué un réseau complexe de pistes bien délimitées, qui traversaient les forêts des versants montagneux où vivaient les Kakapos. Les Européens pensèrent qu'il s'agissait des traces de chasseurs maoris et ils furent intrigués de les trouver encore aussi nettes des années après que les Maoris avaient cessé de les fréquenter. Ces chemins traversaient de curieuses dépressions en forme de cuvette. La végétation des bords était curieusement hachée, car des boulettes de feuilles ou de tiges pendaient à l'extrémité des plantes. Les Maoris savaient que ces sentiers étaient ceux des Kakapos, et ils croyaient que les oiseaux les empruntaient pour se déplacer à travers la forêt. Ils n'ignoraient pas non plus que le grondement extraordinaire qui résonnait certaines nuits d'été était produit par les Kakapos. Ils racontaient même que cet appel ne s'entendait que tous les cinq ans, lorsque les fruits du kiekie sont mûrs. Leur explication des dépressions étaient que les oiseaux les utilisaient pour entretenir leur plumage. Des récents travaux menés sur les quelques Kakapos survivants ont appris que les pistes étaient effectivement aménagées par les oiseaux, ainsi que les arènes, mais que leur usage n'était pas celui présumé. Seuls les mâles tracent les chemins et plusieurs d'entre eux partagent un même réseau, qui forme une aire de parade nuptiale.

Le lieu le plus important de la parade nuptiale du Kakapo est
la dépression, en forme de cuvette, où il gronde. Elle est
placée sous les racines d'un arbre afin de créer un écho.
Source: Demain les Oiseaux (1989).
Chaque mâle, en revanche, utilise une dépression différente, qui lui sert d'amplificateur pour lancer son grondement, semblable à celui d'un butor, pour attirer une femelle. Aucun autre oiseau n'a découvert le haut-parleur. Au contraire, l'usage de leks, i.e. l'aménagement d'arènes pour la parade, se retrouve chez beaucoup d'autres oiseaux de l'hémisphère Nord, comme les tétras en Europe ou les manakins en Amérique du Sud. Les mâles s'exhibent sous leur plus bel aspect dans ces leks, tandis qu'alentour, les femelles viennent faire leur choix. Après les accouplements, ces dernières se retirent dans le nid qu'elles ont construit à proximité. Chez les espèces qui construisent ou aménagent des leks, le mâle est généralement beaucoup plus grand que la femelle, comme cela se produit chez les Kakapos. Cette différence s'explique, en partie, par la compétition dans le choix des femelles et les combats qui s'ensuivent. Au XIXième siècle, des récits sur les Kakapos rapportaient qu'ils étaient de redoutables combattants, luttant jusqu'à la mort, mais aucune observation récente n'a confirmé de tels comportements.

Pour produire un son aussi profond, l'oiseau gonfle son
corps jusqu'à ressembler à un ballon. Amplifié par la cavité,
son appel se propage sur plusieurs kilomètres, à travers les
collines. Source: Demain les Oiseaux (1989).
De même, les Kakapos se reproduisent plus souvent que tous les cinq ans, comme le voulait la tradition maori. Cependant, il a été confirmé que l'appel des mâles ne s'entendait pas tous les ans. Cet appel singulier est certainement lié à la reproduction; on peut en déduire que celle-ci n'est pas annuelle, mais probablement liée à une certaine abondance des ressources alimentaires. Un mâle est capable de lancer son appel plusieurs nuits de suite, pratiquement sans discontinuer, avant de trouver un partenaire. Une telle activité, à laquelle s'ajoutent l'entretien régulier des voies qui desservent les différentes arènes de l'aire de parade et les conflits entre les mâles rivaux, explique pourquoi la période de reproduction est un moment aussi difficile. Les femelles, pour leur part, doivent couver et élever seules leurs poussins. Ainsi, mâles et femelles doivent être certains de trouver à proximité suffisamment de nourriture durant toute cette période.

Les curieuses boulettes de feuilles et de tiges mâchées qui ornent les plantes bordant les pistes des Kakapos sont dues au fait que les oiseaux broient les végétaux, pour en extraire les sucs, sans les arracher. Les fibres roulées dans leur bec par la langue forment ainsi des pelotes de cellulose. Celles qu'ils coupent sont, au contraire, tranchées comme par un sécateur. Ils se nourrissent d'une grande variété de plantes, dont ils consomment différentes parties depuis les fleurs, les feuilles, les fruits et de jeunes plantules, jusqu'aux racines qu'ils déterrent. Comme chez tous les Psittacidés, la mastication est effectuée par le bec, alors que les autres oiseaux utilisent leur gésier musculeux, souvent garni de petits graviers, pour broyer leurs aliments. Le gésier des perroquets est, au contraire, très rudimentaire, dans la mesure où sa fonction a été remplacée par leur bec.

C'est avec beaucoup de respect que Don
Merton, du Kakapo Recovery Program, enlace
un oisillon avant de l'examiner sous toutes les
coutures. Le dilemme principal pour les scien-
tifiques est d'aider les oisillons à atteindre l'âge
de procréer.
Source: The Princeton Encyclopedia of Birds.
Photo Margaret Shepard.
Le plus difficile dans l'étude des moeurs des Kakapos est de les repérer car ils sont nocturnes et ils fréquentent un milieu naturel très dense. Ce problème peut être résolu en recourant, à la fois, aux anciennes méthodes et aux techniques modernes. Ainsi a-t-on utilisé avec succès des chiens endurants, spécialement entraînés à ce type de chasse. Quelques oiseaux sont suivis grâce à de petits radio-transmetteurs, qui indiquent à tout moment leur position aux observateurs.

Et voilà qu'un nouvelle en date d'hier, le 01 février 2012, et glanée sur le site du Otago Daily Time  http://www.odt.co.nz/news/dunedin/196276/second-kakapo-death-month , nous dévoile une bien triste nouvelle. Sandra, une femelle Kakapo découverte sur Stewart Island en 1992, est retrouvée morte sur Anchor Island où elle avait été relocalisée. Le harnais, auquel était attaché un radio-émetteur, est le responsable de sa mort. L'oiseau s'est faufilé dans un enchevêtrement de branches et la courroie s'est malencontreusement prise de façon à empêcher l'oiseau de se libérer de sa fâcheuse position. Normalement, ce harnais est conçu pour se détacher de lui-même lorsque l'oiseau est emprisonné d'une façon ou de l'autre. C'est quand même paradoxal de constater que l'instrument permettant le suivi essentiel d'un oiseau en état critique d'extinction ait, en fait, constitué la cause principale de sa mort. Sandra n'aura jamais connu un grand succès au niveau de la procréation, n'ayant élevé finalement qu'un seul rejeton, Morehu, en 1999. La femelle ne peut procréer avant l'âge de 7 ans et elle ne le fera pas à toutes les années subséquentes. Les Kakapos nichent dans la végétation au sol, sur des rochers ou dans des cavités, entre des racines d'arbres. Ils pondent de 2 à 4 oeufs blancs. Même lorsqu'ils ne nichent pas, ils se tiennent de préférence dans un creux, sous un surplomb, sur la branche basse d'un arbre ou dans les buissons. Cette habitude les rend très vulnérables aux chats, aux hermines, et même aux rats. En une seule année, pas moins du quart des Kakapos qui avaient été recensés sur un site ont été dévorés par des chats.

En raison de son inaptitude au vol, le Kakapo est vite devenu une victime relativement facile pour les animaux introduits par l'homme sur les îles lointaines tels que les rats, les hermines et les chats. Voici les résultats d'une attaque par un chat. Aux alentours des années 1970, la communauté scientifique a même cru à l'extinction de cette espèce.
Source: The Princeton Encyclopedia of Birds. Photo Don Merton.
Le contrôle de ces chats est une priorité dans le programme de conservation des Kakapos, mais la meilleure solution est encore le transport des oiseaux sur des îles où ils retrouveront un habitat à leur convenance, sans prédateurs ni concurrents. Les derniers transferts semblent avoir réussi et désormais il sera possible d'aider cet étonnant oiseau à survivre pour que puissent en profiter les générations futures.

Le 11 mars 2009,  l'organisation Terra Nature annonce que le Department of Conservation (DOC) a recensé 103 Kakapos, en considérant la survie de tous les derniers-nés. En date du 3 juin 2011, il y avait 131 Kakapos.

En fin de semaine dernière, j'ai observé un groupe de Jaseurs boréaux / Bombycilla garrulus / Bohemian Waxwing près de chez moi, en banlieue de Québec, plus précisément à Sillery. Il y en avait facilement plus de 100. Soit sensiblement le nombre total des Kakapos restant sur la planète bleue. C'est déplorable de penser qu'une espèce aussi unique au monde soit si près de rejoindre les rangs des espèces disparues à jamais de la surface de la terre. Pourquoi ne nous réveillons-nous jamais à temps ?

3 commentaires:

Noushka a dit…

Le Graal de la gente Psittacidé!
Une bel article de et oiseau mythique dont il reste en effet quelques dizaines de couples, grâce au travail formidable accompli pour le sauver de l'extinction!
J'avais été contactée, il y a environ 20 ans pour participer à ce sauvetage, mais mon élevage était bien trop prenant pour que je puisse quitter mes perroquets plusieurs mois...
Un regret qui traine encore au fond de mon cœur!!

Gorfou breizhou a dit…

Merci pour cet article très intéressant.
Quel incroyable oiseau !

Laval Roy a dit…

Merci à vous deux pour votre visite et votre commentaire.