dimanche 5 novembre 2023

Des joyaux vivants.

J'ai toujours été fasciné par les colibris. Fasciné d'abord par leur taille lilliputienne. Je me souviens très bien de ce jour où, encore adolescent, j'en trouve un par terre, inerte, tout près de la maison familiale. Son plumage est parfait et son petit corps est encore souple. Du sang à la commissure de son bec me fait croire qu'il a dû se frapper depuis peu contre une des fenêtres de la maison.  Je le dépose dans le creux de la main gauche et je la ferme délicatement. Ma main l'englobe complètement. J'aperçois alors l'une des filles de mon frère qui habite dans la maison d'à côté. Je lui fais deviner ce que je peux avoir dans ma main et jamais elle ne peut se douter qu'il puisse s'agir d'un oiseau. Après lui avoir dit " c'est un oiseau-mouche", elle m'avoue n'en avoir jamais vu. Rien de surprenant quand on considère leur vitesse de déplacement et leur petitesse. Et il faut mentionner aussi qu'à l'époque, au milieu des années 1960, les abreuvoirs à colibri étaient inexistants et les aménagements floraux autour des maisons n'étaient pas encore "à la mode du jour". Pour tout dire, c'est une première pour moi aussi. J'avais étudié le Colibri à gorge rubis dans mon premier guide d'oiseaux, mais jamais je ne l'avais observé en nature. Dans l'univers des colibris, il fait partie de ceux de taille moyenne. Du bout du bec au bout de la queue, il fait entre neuf et dix centimètres. Chez les trochilidés, la femelle est un peu plus grande que le mâle. Le colibri le plus petit au monde, le Colibri d'Hélène, endémique à l'île de Cuba, mesure entre cinq et six centimètres. Quant au plus gros, le Colibri géant / Patagona gigas gigas / Giant Hummingbird, il fait entre 20 et 23 cm de longueur. 

Il existe entre 330 et 360 espèces (dépendant des différentes taxonomies) de colibris dans le monde et elles sont toutes confinées aux trois Amériques. Pour vous donner une idée de la distribution de ces espèces au niveau mondial, voici une liste indiquant le nombre d'espèces normalement rencontrées dans chacun des pays. En employant le terme "normalement", je veux faire abstraction des espèces égarées qui peuvent apparaître à un moment donné en un endroit tout à fait insoupçonné.

Canada (9), États-Unis (24), Mexique (58), Cuba (3), Jamaïque (5), République dominicaine (4), Haiti (4), les Petites Antilles (19), Bélize (26), Guatemala (39), El Salvador (23), Honduras (42), Nicaragua (34), Costa Rica (54), Panama (59), Colombie (158), Venezuela (103), Guyane (38), Suriname (33), Guyane française (30), Brésil (78), Équateur (129), Pérou (126), Chili (12), Bolivie (78), Paraguay (20), Argentine (32), Uruguay (8).

Cette liste indique bien que les membres des trochilidés atteignent leur plus grande diversité dans les forêts tropicales humides et, toujours dans ces mêmes habitats, encore plus dans les régions montagneuses. Le peu d'espèces rencontrées dans les Petites et les Grandes Antilles montre également que les colibris, malgré leurs prouesses de vol, préfèrent de beaucoup survoler la terre ferme que les vastes plans d'eau. Vu leur métabolisme élevé, ils doivent se nourrir de façon régulière et les envolées au-dessus de longues étendues d'eau comportent toujours son lot de danger.

Si la structure squelettique est similaire d'une espèce à l'autre, il en est autrement de la diversité impressionnante notée au niveau de l'irisation de leur plumage. Et cette explosion de couleurs est quelquefois doublée d'ornements plumeux, qu'il s'agisse de huppes ou d'appendices au niveau de la gorge, des oreilles ou de la queue.




Et voici l'un de mes colibris préférés, l'éblouissante Coquette chalybée / Lophornis chalybeus chalybeus / Festive Coquette qui vous accueille sur ce blog à chacune de vos visites. Ce colibri sud-américain, avec ses 7.5 à 9 cm, est un peu plus petit que le Colibri à gorge rubis. Il se nourrit habituellement dans le faîte des arbres, mais il lui arrive de descendre à notre niveau. Les plumes érectiles qui ornent sa gorge sont tout à fait spectaculaires.


Légère, forte, renouvelable et réparable, la plume des oiseaux est à son apogée évolutive. Et les colibris utilisent cet outil performant mieux que toutes les autres espèces d'oiseaux.  Ils sont devenus les maîtres incontestés du vol sur place, du vol de côté et ils sont les seuls à reculer en vol avec une aisance déconcertante. Les ailes battent en formant un huit et les plus petites espèces le font de 80 à 90 fois par seconde. Par contre les plus grosses espèces de colibris effectuent de 10 à 15 battements par seconde.
Les couleurs des plumes peuvent être de deux ordres, pigmentaire et structurale.

Origine pigmentaire

Les pigments des plumes sont de deux types, les mélanines (noir) et les caroténoïdes (jaune au rouge). Les pigments obtenus à partir des mélanines (pigment le plus abondant chez les oiseaux) peuvent aller du noir au brun clair voire au jaune comme pour certaines espèces de corvidés. Ces pigments mélaniques sont directement synthétisés par l’oiseau. Il n’en est pas de même pour les pigments caroténoïdes qui peuvent, suivant les espèces, être soit synthétisés ou soit plus généralement être obtenus par la nourriture. Les psittacidés synthétisent la psittacine tandis que les flamants trouvent ces pigments dans leur alimentation. Dans ce dernier cas, les caroténoïdes ne subissent pas ou peu de transformations chimiques avant de se déposer dans les plumes. En effet, chez les flamants, dont la principale source de nourriture est la crevette Artemia saline, le pigment initial est produit par des algues unicellulaires, transformés en canthaxantine par la crevette qui s’en nourrit, et il est finalement fixé dans les plumes des flamants. Le couleur peut alors varier en fonction de l’alimentation et de la saison.

Origine structurale

Certaines couleurs, dites structurales, ne sont pas dues à la pigmentation. Ainsi, bien que de nombreux oiseaux exposent des plumes vertes ou bleues, comme chez les psittacidés, ils ne synthétisent pas de pigments de ces couleurs. De nombreuses espèces ont des plumes blanches (aigrettes, mouettes, spatules...). Le blanc résulte de l’absence de pigmentation, mais également de la réflexion totale du spectre lumineux. C'est grâce au phénomène optique de diffusion Rayleigh (décomposition de la lumière par les micro structures des barbes) que des couleurs peuvent apparaître par décomposition de la lumière blanche. Ce phénomène est identique à celui qui permet la coloration des yeux chez l’homme, ou mieux la coloration des bulles de savon et l’arc-en-ciel. Chez les psittacidés, le bleu naît dans des barbes renfermant une couche structurale riche en micro granules de mélanine noire. Si à cela s’ajoute un caroténoïde jaune, on obtient du vert. Les micro granules renvoient les radiations bleues (les plus courtes), les autres sont absorbées par une moelle centrale noire. Chez les paons et les colibris, la couleur structurale est due à l’interférence de la lumière. Les barbules renferment des plages de micro lamelles qui décomposent la lumière et l’écartement de ces micro lamelles induit des couleurs différentes. Dans ce cas, en inclinant la plume pour faire varier l’incidence de la lumière, on voit les couleurs se déplacer. La combinaison des différents pigments et de ces phénomènes optiques permettent une très grande variété de couleurs.

Irisation

Certaines espèces sont reconnues pour avoir des plumes iridescentes, comme les colibris, mais aussi les guêpiers, les paons, quelques canards, les étourneaux, etc. Les irisations sont produites par les barbules renfermant des réseaux de micro lamelles. Une barbule à micro lamelles reposant sur une barbule riche en mélanine noire; cette dernière absorbant les radiations parasites. Les micro lamelles ont l’avantage sur les micro granules de mélanine de pouvoir produire toutes les couleurs du spectre solaire, alors que les micro granules ne peuvent produire que du bleu.


Le plumage du Quiscale bronzé / Quiscalus quiscula versicolor / Common Grackle parait noir lorsqu'on le voit de loin ou à l'ombre. Dans des conditions de lumière meilleures, les barbules à micro lamelles et les micro granules de mélanine s'allient pour faire apparaître une myriade de couleurs et de teintes.


Bien que ce soit moins connu, plusieurs oiseaux tropicaux, en plus des colibris, ont des plumages iridescents. L’iridescence, qui est rendu possible non par la pigmentation mais par la structure particulière des plumes, est responsable des reflets vert bouteille des trogons, des reflets dorés et cuivrés des jacamars et des myriades de couleurs sur certains tangaras. Les couleurs iridescentes ne sont observables qu’à partir d’angles très restreints. En d’autres mots, l’observateur doit être le plus possible au même niveau que la source de lumière afin de profiter pleinement de l’effet.   




Brillant de l'impératrice / Heliodoxa imperatrix / Empress Brilliant


 

@ bientôt.

 

 

dimanche 16 juillet 2023

Un héron pas comme les autres

Un héron pas comme les autres

En livrée de reproduction, le Héron garde-boeufs est unique parmi les hérons blancs. Mais sous son plumage ordinaire, sa distribution cosmopolite fait qu'il peut être confondu avec bon nombre d'autres espèces. L'habitat terrestre où il se nourrit et sa posture voûtée sont tous deux relativement inhabituels parmi les espèces entièrement blanches de mêmes dimensions générales. Voici, selon Handbook of the Birds of the World, les trois sous-espèces reconnues au niveau planétaire:

  1. Bubulcus ibis ibis (Linnaeus, 1758) -  Afrique et Madagascar; sud ouest de l'Europe jusqu'à la mer Caspienne; les trois Amériques du Canada jusqu'aux Guyanes et le nord du Chili; aussi le nord est de l'Argentine ainsi que des points éparts au Brésil.
  2. Bubulcus ibis seychellarum (Salomonsen, 1934) - Les Seychelles.
  3. Bubulcus ibis coromanda (Boddaert, 1783) - sud et est de l'Asie jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.


Jaune = nicheur     Vert = résident    Bleu = non nicheur


 Un envahisseur opportuniste et efficace


La sous-espèce observée sous les cieux du Québec est la race nominale Bubulcus ibis ibis. Le regretté Normand David, dans sa très fouillée Liste commentée des Oiseaux du Québec, mentionne au moins 160 présences sur le territoire du Québec avant 1996. Normand le catalogue comme un visiteur rare. Ces présences sont en majorité notées lors des mois de migration ou de dispersion post-nuptiale au printemps et à l'automne. En voici le décompte: 59 pour avril et mai, 75 d'août à novembre (dont 36 en octobre). Ce petit héron avait alors été signalé dans toutes les régions sauf au Nord-du-Québec, au Témiscamingue et à Anticosti. Son statut au Québec n'a pas changé depuis 1996. Il est rapporté de façon régulière à toutes les années, mais en nombre infime.



Bubulcus ibis ibis à Nicolet, le 27 octobre 2010.


Mais quel est le berceau originel de la race nominale ibis ?  Elle se retrouve dans toute l'Afrique, à l'exception du Sahara aride, tout comme à Madagascar et aux Comores, et sur les îles Aldabra et Maurice.  Cette sous-espèce s'est répandue en direction du nord en Europe méridionale, où son aire de distribution couvre l'Espagne, le Portugal et la France (Hafner 1970), et, vers l'est, Israël, l'Arabie, la Turquie, le Caucase au sud de Lenkoran et le delta de la Volga (Dementiev & Gladkov 1951). Elle s'est établie en Guyane en Amérique du Sud, par des traversées transatlantiques pense-t-on, et de là elle a rayonné en Amérique du nord et en Amérique du sud. Elle se reproduit sur tout le littoral du Mexique, en Amérique centrale et aux Antilles. Des rapports signalent que, à partir de là, le héron a établi tout d'abord des populations reproductrices en Floride et au Texas au début des années 1950. En quelques années, il a étendu son aire nord-américaine le long de la côte atlantique jusqu'au Canada et s'est installé en Californie. Cette aire va actuellement jusqu'à Terre-Neuve, la nidification étant commune à partir du sud du Maine tout au long de la côte atlantique.

Le Héron garde-boeufs fut observé pour la toute première fois en Amérique du Sud en 1880. Des individus repérés en Guyane en 1915 (Lowe-McConnell 1967) et en Colombie en 1917 (Wetmote 1963) sont considérés comme l'origine probable de ceux qui se répandirent par la suite vers le nord et le sud pour constituer ce qui est désormais une vaste aire de distribution à travers tout le nord de l'Amérique du Sud. On estime que la déforestation, ici aussi, a joué un rôle majeur en ouvrant au héron des zones où s'établir et se reproduire.


Migration


Dans le Nouveau-Monde, les populations septentrionales migrent vers le sud en septembre et novembre, celles du Texas et de la Californie partent pour le Mexique et l'Amérique centrale. Les Hérons garde-boeufs orientaux se déplacent vers le sud par la Floride (Browder 1977) jusqu'aux Grandes Antilles, à l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. Quelques-uns restent en Floride.


Chez cette espèce, il est difficile de distinguer la migration de la dispersion, car ils ont une tendance marquée au vagabondage. Les immatures d'Afrique du Sud se déplacent de 3 500 kilomètres vers le nord, le Zaïre, l'Ouganda et la Zambie. En Europe, des non-reproducteurs se trouvent régulièrement en Scandinavie et à l'ouest jusqu'en Irlande (Rutledge 1978). Dans le Nouveau-Monde, un individu de Californie a été retrouvé aussi loin au nord que l'Alaska (Gibson & Hogg 1982). Cette tendance est sans doute en grande partie responsable de la forte extension de l'aire de distribution qui peut être caractérisée par des incursions répétées, des colonisation temporaires, des régressions et, selon les conditions, l'établissement dans des régions de plus en plus distantes.



Habitat et régime alimentaire


Le régime de cette espèce varie selon l'habitat. Lorsqu'elle chasse au milieu du bétail ou d'autres mammifères, elle mange en général des insectes dérangés par les activités des animaux plus grands qui broutent. Les sauterelles en constituent l'essentiel et les criquets sont communément attrapés, mais d'autres insectes sont aussi capturés y compris des coléoptères, des chenilles et des papillons, des teignes, des punaises, des libellules et des araignées. Des mollusques, des crustacés, des amphibiens y compris les grenouilles et les têtards, des reptiles tels les lézards et les serpents, des poissons et des petits mammifères comme les souris peuvent aussi entrer dans sa diète. On a observé que des Hérons garde-boeufs mangent aussi les oisillons au nid de diverses espèces.




Et pour le Québec ?


Les travaux du deuxième Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec méridional, qui se sont tenus de 2010 à 2014, ne rapportent aucune mention du Héron garde-boeufs en tant que nicheur potentiel au Québec. Pourtant qui aurait dit, avant 1984, que la Grande Aigrette finirait par s'établir et se reproduire un jour au Québec ?  Il aura fallu les travaux du premier Atlas, de 1984 à 1989, pour le confirmer. Trois nids ont alors été découverts sur l'île Dickerson, près de la jonction des frontières du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York (Bannon 1984).


Bien sorcier celui qui pourrait prédire où et quand pourrait s'établir le premier couple de Héron garde-boeufs au Québec. Il était autrefois une espèce nicheuse rare en Ontario, mais on n'a mentionné aucun nid dans la province depuis le milieu des années 1970 (Blokpoel et Tessier 1991; James 1991; Fichier de nidification des oiseaux de l'Ontario {ONRS}) .



Bubulcus ibis ibis à Saint-Barthélemy, le 09 novembre 2019.


@ bientôt.



Bibliographie


del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (1992) Handbook of the Birds of the World. Vol. 1. Ostrich to Ducks, Lynx Edicions, Barcelona.
 
Hancock, James & Kushlan, James (1991) Guide des Hérons du monde, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel (Switzerland).
 
David, N. (1996) Liste commentée des Oiseaux du Québec, Association Québécoise des Groupes d'Ornithologues, Montréal.

Cadman, M.D., D.A. Sutherland, G.G. Beck, D.Lepage et A.R. Couturier (dir.) 2010. Atlas des oiseaux nicheurs de l'Ontario, 2001-2005. Environnement Canada, Études d'Oiseaux Canada, le ministère des Richesses naturelles de l'Ontario, Ontario Field Ornithologists, et Ontario Nature, Toronto, xxii + 706 p.

Robert, M., M.-H. Hachey, D. Lepage et A.R. Couturier (dir). 2019. Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, Regroupement QuébecOiseaux, Service canadien de la faune (Environnement et Changement climatique Canada) et Études d'oiseaux Canada, Montréal, xxv + 694 p.

Gauthier, J. et Y. Aubry (dir.). 1995. Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Montréal, xviii = 1295 p.