jeudi 26 janvier 2012

Surprenante présence des merles !

L'hiver 2012 est bien différent pour moi des soixante autres vécus jusqu'ici. Mais que font tous ces Merles d'Amérique dans le voisinage ? Pour moi, le merle, comme la corneille d'ailleurs, ont toujours été synonymes du retour du printemps. Ils étaient les premiers migrateurs observés en mars, pour la corneille, et en avril, pour le merle. Du moins, l'étaient-ils dans mon monde campagnard où j'ai grandi et où j'ai acquis mon expérience d'ornithologue amateur. Pour la corneille, c'est cependant différent. Durant mon adolescence, je suis très peu sorti de mon petit village et c'était alors difficile pour moi de constater autre chose que ce qui se présentait dans mon environnement immédiat. Cependant, dès que j'ai possédé mon auto et que j'ai dû me véhiculer pour me rendre au travail, j'ai constaté assez vite que, OUI, il y avait plus de corneilles que je ne le croyais qui passaient l'hiver dans ma région. Et j'ai été aussi témoin, parallèlement, de l'apparition de plus en plus grande de Grands Corbeaux dans le paysage. En peu de temps, c'est l'Hirondelle bicolore qui s'est transformée en porte-flambeau printanier... malgré que l'hirondelle ne fait pas toujours le printemps. Mais ça, c'est une autre histoire.

Toujours est-il, qu'à l'hiver 2011-2012, des milliers de merles hivernent à la grandeur de la province et ces quantités ne sont pas normales du tout. Oui, il arrive à tous les hivers que nous observions des merles, mais pas en aussi grands nombres. Les analystes du comportement des oiseaux attribuent ce phénomène à la température plutôt douce qui a prévalu en décembre dans le nord du Québec. La nourriture abondante et la température clémente auraient retardé le départ des merles nicheurs de cette partie du Québec. L'hiver ayant finalement établi ses pénates, les oiseaux n'ont pas eu d'autre choix que de s'envoler vers le sud. Il faut ajouter ici que le Merle d'Amérique, malgré son nom latin Turdus migratorius, n'est pas un migrateur de longue distance. En fait, les populations se reproduisant au Québec vont migrer principalement aux États-Unis, quelques uns se rendant jusqu'au Guatemala, en Amérique centrale. Donc, il est prévisible que plusieurs merles resteront au Québec pour le reste de l'hiver, à condition, bien évidemment, qu'ils trouvent la nourriture nécessaire pour assurer leur survie.

Ici, sur la rue des Hospitalières à Sillery, il est peu banal d'observer le merle en janvier. Pourtant cet hiver, nous observons régulièrement un petit groupe de cinq ou six merles qui passent en vol devant la maison. Aujourd'hui, j'ai repéré l'un de leur endroit de nourrissage dans les environs, soit une thalle de Sumacs vinaigriers présents le long de la Côte Gignac. Les accompagnaient: mésanges, chardonnerets, moineaux, roselins et Jaseurs d'Amérique (3). Il y avait au moins 25 merles et voici quelques photos:




Il est quand même intéressant de noter que les oiseaux peuvent survivre à bien des conditions adverses en autant qu'ils aient la possibilité de se nourrir. À cause de leur taille, nous nous imaginons qu'ils sont bien fragiles, mais pourtant ils sont plus adaptés que l'humain pour survivre aux conditions climatiques. Alors que nous dépendons d'un manteau Kanuk pour ne pas ressentir le froid à -30°C, eux n'ont qu'à ébouriffer leurs plumes pour assurer une couche d'air chaud entre leur plumage et leur peau. Leur seul inquiétude alors est de trouver la nourriture nécessaire pour maintenir leur métabolisme au niveau nécessaire pour la survie. Car, pour l'animal, on ne parle jamais de vie, mais de survie.

J'aime le merle, autant pour ses coloris que pour son chant. Il me rappelle trop de moments importants dans ma vie. Je me revois à douze ans, obnubilé devant la fenêtre ouverte de ma chambre, à écouter la ritournelle printanière d'un merle bien en voix. Ce souvenir subsistera jusqu'à mon dernier souffle...

mardi 24 janvier 2012

Le Quetzal resplendissant. Le plus beau des oiseaux ?

Voici l'une des questions les plus embêtantes à poser à un ornithologue. Le plus beau ?  Mais les oiseaux sont TOUS beaux. Ils ont tous un petit quelque chose qui les rend intéressant à observer. C'est vrai que les oiseaux peuvent différer énormément par leur grosseur, leur forme, leur coloris, leur chant ou leur comportement. Et ce n'est pas toujours consciemment que nous sommes capables de discerner lequel de ces attributs rend une espèce particulièrement belle à nos yeux. Nous aimons une espèce dans son entité globale et la notion de beauté peut reposer sur seulement un des aspects mentionnés plus haut, mais ce dernier est suffisant pour nous faire oublier le reste.
 
Les grives et les solitaires sont affublés de couleurs plutôt ternes, mais leurs chants éthérés nous transportent dans un autre monde. Comparativement, les toucans et les araçaris, aux couleurs variées et parfois pétantes, ne font qu'émettre des sons tantôt rauques, tantôt grinçants. Les colibris, au plumage iridescent, sont des coups de coeur ambulants. Ces bijoux volants ne laissent personne indifférent qu'il s'agisse du Colibri géant / Giant Hummingbird (de la taille d'un Pipit d'Amérique / American Pipit) ou du Colibri d'Helen / Bee Hummingbird  (de la taille d'un gros bourdon). Je pourrais élaborer ainsi longtemps sur les différentes familles qui forment le vaste monde des oiseaux, car chacune d'elles recèlent des trésors garantis.
 
Quand on me pose cette question, ma réponse est sans équivoque: " L'espèce la plus belle est la prochaine nouvelle espèce que je vais observer". Je ne l'utilise pas comme faux fuyant, mais elle reflète ce que je pense vraiment. Mais si je tente de donner une réponse, je dois admettre que j'ai un faible pour une espèce que j'ai observée à quelques reprises au Costa Rica, le Quetzal resplendissant / Resplendent Quetzal. Voici une photographie prise par Suzanne Labbé de cet oiseau extraordinaire, à San Gerardo de Dota, au Costa Rica, en mars 2010.


Ma première observation de cette espèce a lieu le 27 juin 1991, alors que je me retrouve au Costa Rica, plus précisément à Monteverde, un parc reconnu pour héberger cette espèce spectaculaire. Je suis accompagné de mon ami ornithologue Mario Grégoire. L'oiseau repéré est une femelle haut perchée qui ne nous montre pas toutes les subtilités de son plumage. De toute façon, la femelle ne possède pas les longues plumes sus-caudales du mâle, ni la crête "punkie" du mâle. Cependant, je retrouve dans mes notes le rapport d'une autre rencontre effectuée en 1998, toujours au Costa Rica. Je guide alors un groupe de Québécois dans l'un de mes voyages organisés dans ce pays.  Voici ce rapport tel qu'écrit à ce moment-là.
 
"Le 6 Mars 1998, Marino Chacon, le guide attitré à l'auberge Savegre de San Gerardo de Dota, amène notre groupe près d'un site de nidification du Quetzal resplendissant.  C'est avec beaucoup de respect et d'attention que le groupe observe une femelle occupant l'ouverture du nid.  Les quetzals creusent leurs nids dans le bois pourri. Ils ne possèdent pas le bec fort du pic et ils ne peuvent donc s'attaquer au bois sain. Les troncs choisis sont souvent très droits et peuvent être situés en forêt ou dans une clairière adjacente à un boisé.  L'ouverture, oblongue plutôt que ronde, a de dix à douze cm de diamètre. Elle peut se retrouver entre quatre et vingt sept mètres du sol. Dans l'exemple qui nous occupe, l'excavation a été faite dans un tronc brisé, dont l'état de pourriture ne fait aucun doute, et le nid se trouve à environ huit mètres du sol. Les deux partenaires creusent l'intérieur du nid et ils contribuent de façon égale à la couvaison. Marino nous apprend que la relève se fait environ aux trente minutes. Aujourd'hui, nous ne pouvons observer ce changement, car le temps nous manque. Nous observons ensuite 3 mâles et 1 femelle, un peu plus haut en bordure de forêt."
 
Le mâle du Quetzal resplendissant est l'un des plus beaux oiseaux du monde. Il doit sa beauté à l'intensité et aux contrastes de sa coloration, au lustre et au chatoiement de son plumage, à l'élégance et à la symétrie de ses formes et à son port noble. Sa tête entière et son dos sont d'un vert intense et chatoyant. Sa poitrine, son ventre et ses plumes sous-caudales sont d'un riche cramoisi. Le vert de sa poitrine rencontre le rouge de son ventre en une ligne concave. Sa tête est ornée de plumes raides qui forment une crête bien définie sur le front. Son bec, d'un jaune brillant, est plutôt petit pour un trogon de cette envergure. Son oeil brillant, presque noir, est bien en évidence parmi les plumes vertes de sa face et il est dépourvu des cercles oculaires blanc, bleuté ou jaune de plusieurs trogons. Au repos, ses rémiges sont cachées sous des couvertures formées par de longues et duveteuses plumes d'un vert doré qui , se réunissant en pointes, viennent contraster avec le cramoisi des flancs. Le bout foncé des rémiges, qui s'étendent au-delà des couvertures sus-alaires,  contraste avec le croupion vert au-dessus duquel elles se retrouvent. Les plumes sombres du centre de sa queue sont totalement cachées sous de longues sus-caudales. Ces plumes duveteuses sont vert-doré avec des iridescences violettes ou bleues. Deux à trois de ses plumes centrales sont plus longues que l'oiseau lui-même (l'oiseau avec la queue mesure environ 36 cm et les plumes centrales peuvent excéder la queue jusqu'à 64 cm, pour une longueur totale de 100 cm). Fines et flexibles, elles se croisent au bout de la queue et forment une traîne impressionnante lorsque l'oiseau est en vol. Quand il est perché sur une branche d'où pend du lichen , il est difficile de différencier les plumes et le lichen qui ondoient à l'unisson sous un vent léger.

Les dessous blancs de sa queue contrastent avec le ventre rouge quand il est observé de face ou lorsqu'il passe en vol au-dessus de la tête. Et pour ajouter encore plus d'éclat à cet habit d'apparat, le vert métallique de la tête et du dos change en bleu ou en violet quand vu sous un éclairage favorable.

Dans cette autre photo prise par Suzanne, également en mars 2010, il faut noter les deux plumes sus-caudales qui se retrouvent au-dessus de la tête du mâle lorsqu'il pénètre dans la cavité pour couver ou surveiller le nid.  Ces plumes étant trop longues pour se loger à l'intérieur, l'oiseau n'a pas d'autre choix de se placer ainsi s'il veut les garder en bon état. 


Oui, le Quetzal resplendissant est tout à fait extraordinaire, mais il existe aussi d'autres espèces tout aussi remarquables. J'ai posé la question piège un jour à Martin Edwards, un physicien nucléaire ontarien (vivant à London), qui est le deuxième ornithologue mondial à avoir observé au moins une espèce d'oiseau dans chacune des familles répertoriées par la science moderne. Il l'a fait après avoir observé 3 500 espèces alors que le premier l'a fait après 5 200 espèces. Pour cette raison, Martin est dans mon coeur le PREMIER. J'ai donc osé lui poser la "question-qui-tue" et il m'a répondu sans hésiter: le Kagou huppé / Kagu. 

Le Kagou huppé ou simplement Cagou (Rhynochetos jubatus)  mesure environ 55 cm, de couleur grisâtre, aux longues plumes occipitales, au plumage blanchâtre orné de barres sur les ailes. Il est presque incapable de voler. C'est le seul représentant de la famille des Rhynochetidae et du genre Rhynochetos endémique de Nouvelle-Calédonie.
Photo Internet.
Le titre de "plus bel oiseau" est donc très subjectif et dépend de différents facteurs propres à chacun. Heureusement, la beauté ne dépend pas seulement de LA BEAUTÉ. Elle peut quelquefois référer à la difficulté d'observation, à la rareté de l'espèce ou tout simplement aux liens que l'observateur crée avec l'espèce. Et, je crois, ce facteur est le plus important.

samedi 14 janvier 2012

Le bec-croisé, est-il droitier ou gaucher ?

Le bec des oiseaux est probablement la structure dans le monde des vertébrés qui s'est le plus adaptée pour tirer profit des ressources alimentaires disponibles. Qui plus est les oiseaux dépendent de leur bec non seulement pour obtenir de la nourriture, mais aussi pour entretenir leur plumage, pour construire leurs nids, pour nourrir leurs petits, pour performer lorsqu'ils courtisent l'âme soeur ou pour se défendre contre les prédateurs ou les rivaux. Mais les becs ne sont pas uniques aux oiseaux. Des dinosaures tels les Hadrosaures à bec de canard (famille Hadrosauridé) et les ornithomimidés ressemblant aux autruches avaient des becs cornés semblables à ceux des oiseaux actuels. Sans oublier de mentionner le contemporain Ornithorhynque, cet étrange mammifère ovipare mi-castor, mi-canard. Mais aucun groupe de vertébrés n'a adapté et exploité le bec comme l'ont fait les oiseaux. À l'instar des plumes, le bec représente sûrement la quintessence des attributs propres aux oiseaux.

De tous les laridés, c'est le Goéland austral / Pacific Gull (Larus pacificus pacificus) qui possède le bec le plus volumineux. Il s'observe tout le long de la côte sud de l'Australie (ssp georgii) et en Tasmanie (ssp pacificus).  Il marche le long des plages et dans les zones intertidales à la recherche de poissons, des mollusques, d'échinodermes et de crabes. À l'occasion, il suit les bateaux pour se nourrir des restes jetés à la mer par les pêcheurs. Il lui arrive également de plonger pour attraper des proies. À l'instar d'autres espèces de laridés, il ouvre les gastéropodes en les laissant tomber du haut des airs sur des rochers ou des surfaces durs. Photo prise en Tasmanie, le 06 novembre 2011 
 
Le bec est composé d'une structure osseuse recouverte d'une membrane  faite de kératine qui constitue en fait la partie visible de cet organe. La kératine est une protéine, synthétisée et utilisée par de nombreux êtres vivants comme élément de structure. Elle est insoluble et elle peut être retrouvée sur l'épiderme de certains animaux, notamment les mammifères, ce qui leur garantit une peau imperméable. Parfois, lors d'une friction trop importante, la kératine se développe à la surface de la peau formant une callosité. Les cellules qui produisent la kératine meurent et sont remplacées continuellement. Les morceaux de kératine qui restent emprisonnés dans les cheveux sont couramment appelés des pellicules. Il y a deux principales formes de kératines : l'alpha-kératine, ou α-keratin, présente chez les mammifères notamment, dont l'humain, et la bêta-kératine, ou β-keratin, que l'on retrouve chez les reptiles et les oiseaux. La bêta-kératine est plus résistante que l'alpha-kératine. Elle forme l'exosquelette des invertébrés, assurant une enveloppe qui maintient les organes internes en place et qui forme un bouclier protecteur contre le monde extérieur. On peut penser aux fourmis ou autres insectes à carapace dure.

La mandibule supérieure du bec est composée du maxillaire qui est accrochée à d'autres os du crâne. Contrairement à la mâchoire supérieure des mammifères et de la plupart des reptiles, celle de tous les oiseaux est au moins légèrement mobile. Les os du crâne qui supportent la maxillaire peuvent glisser d'avant en arrière, ce qui permet une extension de la mandibule supérieure. Cette extension est plus ou moins grande selon les espèces, mais elle rend la maxillaire plus mobile et plus flexible qu'elle ne peut paraît et elle peut être utile lors de l'acquisition de nourriture.



Le bec de la Perruche royale / Australian King-Parrot
(Alisterus scapularis) est bien adapté à sa diète de graines
diverses (acacia, eucalyptus), de baies, de fruits, de noix,
de bourgeons... Cette espèce est endémique à l'Australie.
Photo prise chez O'reilley's, près de Brisbane, le 02 nov 2011. 

La bouche est le point d'entrée du système digestif de l'oiseau et elle doit pallier à une variété de fonctions reliées à la diète spécifique de l'espèce et aux besoins du système digestif. La dimension et la forme du bec doivent refléter ces spécifités. Les passereaux insectivores ont typiquement les becs les plus délicats. Les oiseaux plus omnivores, comme les grives et les geais, ont des becs plus robustes, mieux adaptés à la variété de plantes ou d'animaux formant leur diète. Les gros-becs et les perroquets arborent des becs imposants et coniques bien adaptés pour casser l'écorce dure des noix ou des fruits secs. La plupart des rapaces (faucons, éperviers, aigles...) et des charognards (vautours, urubus...) ont des becs plus ou moins courts, courbés vers le bas, aux rebords acérés et terminés par un crochet afin de démembrer et de déchiqueter leurs proies. Le bec long et élancé du harle est finement dentelé, ce qui lui permet d'obtenir une emprise ferme sur des poissons très glissants. Pour chaque espèce, le bec est utilisé pour capturer et quelquefois démanteler la nourriture. Une fois que les morceaux sont compatibles avec la dimension de l'oesophage, l'oiseau les avale sans les mâcher. Ils sont dirigés vers le jabot. 

L'Aigle d'Australie / Wedge-tailed Eagle (Aquila audax audax) est le plus gros rapace diurne présent sur cette grande île.  Son bec puissant et ses grandes dimensions lui permettent une grande diversité de proies: lièvres, kangourous, wallabies, renards, chats, brebis, chiens et échidnés. Il chasse aussi des oiseaux: corbeaux, corneilles,  cacatoès, canards, dendrocygnes et sarcelles. Rarement se rend-il jusqu'à la taille des outardes ou des grues. Il capture également des reptiles (dragons et monitors), mais jamais de serpents. Il peut finalement se nourrir de carcasses et aucun autre charognard n'est de taille à le chasser. Il peut, à l'occasion, dérober la proie d'un autre prédateur.
Photo prise à O'reilley's, près de Brisbane, le 3 novembre 2011.
Le bec est donc révélateur du régime alimentaire de l'oiseau. Et comme la source de nourriture est illimitée dans la nature, aussi en est-il de la variabilité des becs autant par leurs dimensions que par leurs formes. Et ceci est vrai même pour les espèces regroupées sous un même ordre. Par exemple, prenons l'ordre des trochiliformes qui comprend 328 espèces différentes d'oiseaux-mouches. Comme toutes ces espèces se nourrissent principalement de nectar, il a fallu que chacune d'entre elles adopte une façon originale de se procurer le précieux liquide. Le bec s'est alors adapté aux différentes fleurs, ce qui a amené une spéciation incroyable menant l'oiseau à dépendre de quelques plantes pour assurer sa survie. C'est une lame à deux tranchants. En agissant ainsi, l'oiseau évite bien des conflits avec les autres nectarivores, mais il peut aussi se rendre vulnérable en cas de pénurie de sa plante préférée. Les colibris se nourrissent également d'insectes qu'ils capturent soit en vol, soit en les récupérant sur les toiles d'araignées. Les insectes sont un apport calorique important pour les jeunes au nid.

Cette photo extraordinaire montrant le colibri muni du plus long bec du monde, le Colibri porte-épée / Sword-billed Hummingbird (Ensifera ensifera) , non pas plongeant son bec nonchalamment dans sa fleur préférée, la Brugmansia, mais plutôt chassant un insecte en plein vol, est l'oeuvre de Klaus Malling Olsen, un ornithologue danois spécialiste mondial des laridés et auteur d'un guide de terrain bien étoffé. Photo prise à Papallacta, Équateur, le 14 décembre 2010.
Je pourrais ainsi continuer longtemps en mentionnant toutes les formes insolites qu'a pu prendre les becs d'oiseaux à travers l'évolution, mais je voudrais élaborer un peu plus aujourd'hui sur un oiseau qui possède un bec unique, un bec tantôt droitier, un bec tantôt gaucher. De plus, c'est le seul oiseau au monde muni de mandibules qui se croisent vraiment, une adaptation unique qui leur permet de s'immiscer entre deux écailles de cônes des conìfères afin d'aller extirper les graines qui s'y cachent. Je crois que ce dernier indice est suffisant pour vous aiguillonner vers le bec-croisé. Il existe, autour de la planète bleue, cinq espèces appartenant au genre Loxia et deux de ces espèces sont présentes au Québec. La plus commune est le Bec-croisé bifascié / White-winged Crossbill (Loxia leucoptera), alors que le Bec-croisé des sapins / Red Crossbill (Loxia curvirostra) s'observe en plus petit nombre.

Ce couple de Bec-croisé bifascié illustre bien le ratio 1:1 entre les droitiers et les gauchers chez les becs-croisés. La femelle (à gauche) est gauchère et le mâle (à droite) est droitier. Les oiseaux immatures doivent attendre 27 jours avant de voir leurs mandibules courbées d'un côté ou de l'autre. Ils doivent attendre 38 jours avant que le développement soit complet et qu'ils puissent extraire des graines. Et finalement 45 jours avant d'atteindre un degré d'autosuffisance, libérant ainsi les parents de la tâche de les nourrir. Photo 6 janvier 2012, Forêt Montmorency.

Le bec-croisé escalade les branches à la manière des perroquets, arrachant les cônes des pins, des épinettes et des mélèzes. Les résineux protègent leurs graines en les insérant entre les écailles d'un cône. En vieillissant, le cône devient dur et ligneux et les graines tombent au sol où elles servent de pâture aux souris, aux écureuils et à de nombreuses espèces d'oiseaux. Si toutefois un bec-croisé ne les a pas récoltés avant ! Les mandibules de cet oiseau sont croisées à la pointe. Il tient le cône dans une patte, arrache les écailles et extrait les graines. La pointe de la mandibule inférieure qui se trouve incurvée vers le haut écarte les écailles et l'oiseau peut soit accrocher les graines avec sa mandibule supérieure et les tirer à lui, soit les ramasser avec sa langue. Il travaille avec une telle vitesse et une telle dextérité qu'il est difficile d'analyser exactement comment il s'y prend. Il est toutefois certain que sans ses mandibules croisées, cet oiseau ne réussirait jamais à extraire les graines d'un cône fermé. Il peut transporter des cônes pesant 30 grammes. Silencieux quand il décortique les cônes d'épinettes : on entend seulement le bruit des cônes tombant au sol après le décorticage de l'oiseau. Comme bien des outils spécialisés, ce bec a toutefois des limites : un bec-croisé ne peut plus récolter des graines au sol comme le font les autres oiseaux.

Les becs-croisés sont des oiseaux nomades et leurs déplacements sont dépendants de la disponibilité de la nourriture. L'hiver 2012 accueille un bon nombre de ces fringillidés à la Forêt Montmorency (voir mon message précédent pour les directions).



mercredi 11 janvier 2012

La forêt boréale ou le royaume de l'usnée

La forêt boréale est un immense écosystème qui s'étend surtout sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, mais dont on retrouve des parcelles plus ou moins grandes en Gaspésie, dans le Bas Saint-Laurent et le long de la vallée du Saint-Laurent. Elle couvre 73.7% du Québec forestier, ce qui en fait le principal domaine de végétation au Québec.

Traversant le Québec d'est en ouest , ses vastes étendues recouvrent quelques 560 000 kilomètres carrés, soit un peu plus du tiers de la superficie du Québec. Dans la région de la Baie James, elle est remplacée par la taïga, une forêt de conifères plus clairsemée. Au sud du 49ième parallèle, elle cède progressivement la place à la forêt mixte et à la forêt feuillue.

Si elle projette l'image de vastes alignements uniformes d'Épinettes noires, la forêt boréale accueille pourtant une faune et une flore extrêmement variée. La faune des forêts boréale comprend 30 des 70 espèces de mammifères terrestres et 150 des 300 espèces d'oiseaux nicheurs répertoriés au Québec, ainsi que 10 000 espèces d'arthropodes (insectes, araignées, etc.). On y retrouve également plus de 850 espèces de plantes vasculaires - des bleuets aux sorbiers en passant par le « Thé du Labrador » et les « Quatre-temps » - et de nombreuses plantes non vasculaires comme les mousses, les lichens et les champignons.

Et me voilà enfin arrivé au sujet en titre: l'usnée. Mais qu'est-ce que c'est ? L'usnée est un lichen, une combinaison d'une algue et d'un champignon grandissant ensemble. Aussi connue sous le nom de barbe de Jupiter, elle pousse en filaments entremêlés ressemblant à des touffes de poils, avec les algues vertes couvrant les fils blancs, les champignons. On en voit partout, accrochées aux branches rugueuses des résineux, laissant pendre ses grands filaments comme autant de tentacules qui captent l'humidité de l'air ambiant. La présence de l'usnée est garante d'un lieu exempte de pollution.

De mémoire, je fais la connaissance de l'usnée dès mes premières excursions d'ornitho. Ça se passe en 1965 dans l'immense Seigneurie Joly, à la hauteur de Saint-Édouard-de-Lotbinière. S'y retrouve une bonne étendue de forêt dominée à 75% par des essences résineuses (Épinette noire, Épinette blanche, Mélèze laricin et Sapin baumier), et à 25% par des feuillus (principalement le Peuplier faux-tremble et le Bouleau à papier ou Bouleau blanc) qu'on retrouve en thalles disséminées au milieu des peuplements résineux. L'arbre vedette, l'Épinette noire, peut vivre jusqu'à 200 ans et sa hauteur maximum peut atteindre 25 mètres. Comparitivement aux vastes étendues plus nordiques (i.e. situées du côté nord du fleuve), il y a peu de plans d'eau ou de tourbières dans la forêt de Saint-Édouard. Ceci élimine plusieurs espèces inféodées aux milieux aquatiques comme les anatidés (canards), les gaviidés (plongeons), les pandionidés (Balbuzard plongeur), les scolopacidés (chevaliers, bécassines), les hirundinidés (hirondelle) et les alcédinidés (martin-pêcheurs).

Ce site constitue pour moi un point chaud dans le comté de Lotbinière pour l'observation d'espèces d'oiseaux associées à la forêt dite boréale. Je ne croyais pas possible la présence de ce genre de forêt si près du fleuve et, de surcroît, si bas en altitude. À travers les années, j'y retourne plus d'une centaine de fois afin d'ajouter à ma liste annuelle des espèces plus faciles à voir là qu'ailleurs. Si vous désirez observer une espèce donnée, recherchez son habitat et vous obtiendrez l'espèce convoitée. C'est une règle d'or à laquelle tout bon ornithologue doit obéir s'il désire avoir du succès dans ses recherches.


Carte d'une petite partie de la forêt boréale située au sud-est du village de Saint-Édouard dans Lotbinière. Bordée à l'est par la route Leclerc et au nord par le rang Juliaville ouest. L'enclos à chevreuils (petit quadrilatère gris au sud du rang Juliaville) a été démantelé dans les années 90 et il ne reste aujourd'hui que peu de vestige de cette installation. Même si cette forêt a été passablement coupée au cours de la dernière décennie, elle permet encore quelques belles trouvailles.
Photo Google Earth avec des images datant du 8 mai 2004.
Voici la liste des oiseaux et des mammifères que le site de Saint-Édouard-de-Lotbinière m'a permis de colliger au fil des années (ce ne sont pas toutes des observations personnelles): 

Oiseaux

Gélinotte huppée, Tétras du Canada (un mâle adulte tué à l'automne 1970), Autour des palombes, Grand-duc d'Amérique, Chouette rayée, Chouette lapone, Petite Nyctale, Pic maculé, Pic mineur, Pic chevelu, Pic à dos noir, Pic flamboyant, Pie-grièche grise, Viréo à tête bleue, Moucherolle à côtés olive, Mésangeai du Canada, Geai bleu, Corneille d'Amérique, Grand Corbeau, Mésange à tête noire, Mésange à tête brune, Sittelle à poitrine rousse, Grimpereau brun, Troglodyte des forêts, Roitelet à couronne dorée, Roitelet à couronne rubis, Grive solitaire, Merle d'Amérique, Jaseur d'Amérique, Paruline à joues grises, Paruline à tête cendrée, Paruline à croupion jaune, Paruline noir et blanc, Paruline à gorge noire, Paruline à gorge orangée, Bruant chanteur, Bruant à gorge blanche, Junco ardoisé, Quiscale bronzé, Vacher à tête brune, Durbec des sapins, Roselin pourpré, Bec-croisé bifascié, Sizerin flammé, Tarin des pins, Chardonneret jaune et Gros-bec errant.

Animaux

Lièvre d'Amérique, Écureuil roux, Tamias rayé, Hermine, Renard roux, Coyote, Ours noir, Cerf de Virginie, Orignal et Porc-épic.

Depuis environ une décennie, je parcoure avec plaisir une autre forêt beaucoup plus étendue et située à environ 70 kilomètres au nord de la ville de Québec, juste à côté du Parc National de la Jacques-Cartier et qui se nomme la Forêt Montmorency. C'est une forêt expérimentale de 6 664 hectares, gérée par la Faculté de foresterie et de géomatique de l'Université Laval. Cette dernière a reçu ce territoire du Gouvernement du Québec en 1964 par un bail de 99 ans. En échange, elle s'est engagée à y développer la recherche et l’enseignement dans divers domaines des sciences naturelles.

Située dans les Laurentides, la Forêt Montmorency est drainée par la rivière Montmorency et par un de ses affluents, la rivière Noire. Il s'y trouve quatre lacs : les lacs Piché, Bédard, Laflamme et Joncas. L’altitude varie entre 600 et 1 000 mètres avec une moyenne de 750 mètres. Le peuplement forestier prédominant est la sapinière à Bouleau blanc. Les précipitations annuelles dépassent les 1 500 mm et, en hiver, la moyenne des précipitations de neige dépasse les 6 mètres. La température moyenne annuelle est de 0,4°C et on compte environ 133 jours sans gel dans l'année.

Vue aérienne d'une partie de la Forêt Montmorency montrant la route menant au pavillon central, en bordure du lac Piché. Cette route se prend au kilomètre 102 de l'autoroute 175 menant au Saguenay-Lac-Saint-Jean. 
Anne et moi commençons habituellement l'année par une sortie à la Forêt Montmorency, c'est l'endroit idéal pour observer les fringillidés et espérer aussi surprendre un Tétras du Canada. C'est ainsi que nous nous y rendons en ce 6 janvier 2012. Malgré le ciel bleu annoncé, nous arrivons sous un ciel gris, mais la température est douce. Après avoir acquitté nos droits de passage pour la journée, nous nous dirigeons vers la mangeoire où nous sommes certains d'avoir nos premiers Durbec des sapins de la journée. Nous y rencontrons aussi un Geai bleu. Quelques Mésangeais du Canada sont tout près et nous empruntons ensuite le sentier balisé qui fait le tour du Lac Piché. Le tour du lac prend environ 1h30, car nous le faisons à la vitesse ornitho, prenant le temps de nous arrêter fréquemment afin d'écouter le moindre son qui nous permettrait de localiser un oiseau ou un animal. Cet hiver, il y a plusieurs petits groupes de tarins, sizerins et bec-croisés qui nous survolent régulièrement. Le son nasillard de la Sittelle à poitrine rousse nous prévient de sa présence tout le long du trajet et le "chick-a-deeee" lent et enrhumé de la Mésange à tête brune nous fait esquisser un sourire, car c'est une espèce que nous recherchons à chacune de nos visites. Beaucoup plus furtive que sa cousine à tête noire, son observation n'est jamais garantie. Il faut être patient et surveiller tout mouvement suspect parmi la végétation dense des résineux.











C'est certain qu'une balade en forêt boréale n'a pas le charme d'une autre faite en forêt mixte où la diversité de forme et de coloris des différentes essences forestières est un baume pour l'oeil, où la flore abondante des sous-bois exhalent autant de couleurs que de senteurs et où la présence de beaucoup plus d'espèces d'oiseaux est perceptible à l'oreille avertie. Cependant, l'odeur omniprésente de "résine" en forêt boréale, les bruits de nos pas feutrés au max au contact du tapis moelleux constitué par les millions d'aiguilles qui couvrent le sol, les sentiers étroits et tortueux qui peuvent dévoiler des surprises à chaque détour, tout ceci concoure à garder tous nos sens en éveil et c'est là que nous "sentons" vraiment toute cette vie qui nous entoure.