Nous sommes le 6 novembre 2005. Nous venons de prendre le vol
en transit qui nous amène de Newark NJ à Quito EC. Au bout d'une heure, je
décide de prendre mon guide "The Birds of Ecuador de Robert S. Ridgely" afin de
me remémorer les oiseaux que nous verrons dès le lendemain alors que nous serons
en Amazonie.
À un moment donné, l'homme qui est assis à ma droite tend sa
main gauche vers moi et il prend mon guide, le retourne et, en pointant la photo
à l'endos du livre, il me chuchote:"That's me !". Je regarde la photo, la
compare avec l'homme et je constate que c'est bien lui. De plus, son billet
d'avion excède la poche de son veston et je lis Robert S. Ridgely. Je n'en
reviens tout simplement pas. J'ai à côté de moi un homme qui a consacré sa vie à
l'étude des oiseaux d'Amérique du Sud et qui a écrit de nombreux articles ainsi
que des livres qui ont permis à des milliers d'ornithologues à travers le monde
d'en connaître plus sur la richesse aviaire de cette partie de la planète bleue.
Je connaissais Robert à travers ses écrits et surtout en étudiant son guide "A
Field Guide to the Birds of Panama with Costa Rica, Nicaragua and Honduras".
Lors de mon premier voyage au Costa Rica, en mars 1989, c'est le livre que
j'avais utilisé (i.e. la première édition de ce livre), car celui de Alexander
Skutch devait paraître plus tard la même année. J'en avais également entendu
parler par l'entremise d'un ami commun, Martin H. Edwards, de Kingston ON. Ce
dernier avait fait partie du premier voyage de groupe que j'avais organisé à
Cuba en mars 1988. Martin, un professeur de physique au collège militaire de
Kingston ON, est un grand voyageur qui a été le premier ornithologue au monde à
voir un représentant de chacune des familles d'oiseaux. Il avait déjà établi son
record en 1988, lors du voyage à Cuba. Je me souviendrai toujours que j'étais à
ses côtés, lors de ce voyage, alors qu'il avait coché sa 4,600ième à vie, un
Hibou maître-bois / Asio stygius siguapa / Stygian Owl.
Toujours est-il qu'après Cuba, il s'était rendu en Équateur
où il avait coché près de 800 espèces en cinq semaines alors qu'il accompagnait
Robert Ridgely. Martin m'avait écrit pour me raconter ses péripéties et il n'en
revenait tout simplement pas de la connaissance extraordinaire de Robert
concernant les chants d'oiseau. Comme il me l'écrivait: "...he knows every
chip, every call of all the birds". Dans mes rêves les plus fous, je n'aurais
jamais cru que je serais assis un jour à côté de Robert Ridgely et que je
pourrais m'entretenir avec lui.
Cet
homme est d'une amabilité et d'une simplicité peu communes. Il me raconte qu'il
se rend à Quito pour aller superviser des études de terrain et qu'il se
retrouvera même près du Sacha Lodge lorsque nous y serons. Nous parlons de nos
connaissances communes. De Martin H. Edwards, de Jane Lyons, de Francisco "Pancho"
Sornoza et finalement de Ted Parker III. J'ai toujours été un fan achevé de Ted
Parker III et quand nous en avons parlé, j'ai vu dans ses yeux passer une ombre
de tristesse facilement compréhensible. Ted et Robert ont travaillé longtemps de
concert lors de leurs expéditions scientifiques.
Un nouvelle espèce de grallaire
a été découverte en 1997 et décrite scientifiquement en 1999. Elle a été nommée en l'honneur de Robert Ridgely, la
Grallaire de Ridgely / Grallaria ridgelyi / Jocotoco Antpitta.
C'est donc en 1997 que Robert Ridgely découvrit cette nouvelle espèce tout à fait par hasard. Il était alors accompagné par un guide local, Lelis
Navarette, et ils déambulaient dans un sentier pas très loin d'une route
supportant un trafic commercial. Quand Robert entendit un "hoot" distant,
mais fort, différent de celui d'un strigidé, il s'arrêta net. Il n'arrivait pas
à associer le son à un oiseau qu'il connaissait. Quelques minutes plus tard, un
oiseau d'assez bonne dimension sortit brusquement de la végétation et Robert ne
parvenait pas à l'identifier. Il avait devant lui un oiseau inconnu de la science,
une nouvelle et très distincte espèce de grallaire qu'il baptisa peu après "Jocotoco", d'après le son
qu'elle émettait. Ainsi Robert Ridgely ajoutait une autre espèce au livre qu'il
était en train d'écrire. En son honneur, on lui attribua le nom latin de
Grallaria ridgelyi et le nom français de Grallaire de Ridgely. C'était bien mérité par un homme qui a tant contribué à
faire connaître les oiseaux de l'Amérique centrale et du nord de l'Amérique du
Sud. Au moins une douzaine de paires de Grallaires de Ridgely sont réputées
vivre dans la réserve de Cerro Tapichalaca entre 2200 et 2700 mètres
d'altitude. Tout de
suite après la découverte de l'espèce, Robert Ridgely a mis sur pied la
Fondation Jocotoco afin d'amasser des fonds pour acheter cette forêt et la
soustraire à tout projet futur de déforestation. La réserve de Tapichalaca
a donc constitué le premier projet d'investissement de la fondation dès 1998.
Plusieurs autres sites ont été achetés depuis lors, garantissant la pérennité
d'un grand nombre d'êtres vivants.
J'ai eu le bonheur d'observer cette grallaire cinq ans après notre rencontre, soit le 4 décembre 2010, au même endroit où Robert l'avait d'abord découverte en 1997. J'étais accompagné de Anne, Jean-Jacques Gozard et Richard Yank alors que nous participions à un voyage de groupe dont le but était d'observer le plus d'espèces de grallaires possibles dans un périple qui nous menait du nord du Pérou jusqu'à Quito, la capitale de l'Équateur. Nous visions 15 espèces et nous avons terminé avec 19 espèces. Il y aurait bien d'autres billets à écrire sur ce voyage extraordinaire.
À bientôt !