mardi 19 juillet 2011

Exode spatio-temporel en boréalie

Il est 2h30 du matin et ce pourrait être n'importe quel matin entre le 7 juin et le 10 juillet 2011.  François Gagnon et moi-même nous nous tenons à l'arrière du pick up 4X4 F250 fourni par le projet de l'Atlas des oiseaux nicheurs du Québec. Nous nous retrouvons quelque part au nord du réservoir Gouin entre le Domaine de Poutrincourt à l'est, le village Atikamekw d'Obedjiwan au sud, le Lac Hébert à l'ouest et Chibougamau au nord est. La température est en bas de 4°C. Nous en sommes certains, car les moustiques s'activent à partir de cette température et il n'y en a aucun. Tuque sur la tête et gants de laine ou en polar sont de mises. Nos lampes frontales éclaboussent de lumière la végétation environnante dès que nous faisons le plus léger mouvement de la tête. Le hayon de la boîte du véhicule est abaissé, notre petit poêle au propane Coleman peine à essayer de faire bouillir l'eau du café et chacun est absorbé dans ses pensées.

"As-tu bien dormi ?" est invariablement la première question qui suit le "Salut" matinal. "Oui, mais pas assez longtemps !" aurait pu être la réponse universelle. Mais fatigué ou pas, on a bien hâte de commencer une nouvelle journée. La nuit est superbe avec toutes ces étoiles et ces constellations qui nous regardent. Jupiter et ses lunes nous accueillent fidèlement à tous les matins. Comme nous campons le plus souvent possible sur le bord d'un lac, les plaintes lancinantes du Plongeon huard viennent ajouter de la magie à ces moments de quiétude extraordinaires. Ici, impossible de ne pas communiquer avec la nature, de ne pas sentir la fébrilité des êtres qui nous entourent. Chaque minute qui passe apporte un peu plus de clarté et les oiseaux s'éveillent. Alors qu'un Bruant de Lincoln réchauffe sa gorge enrouée, le Chevalier grivelé "huit-huite" à qui mieux mieux et l'Engoulevent d'Amérique nous survole en nous lançant par la tête le "hoooov" qui caractérise la fin de ses piqués vertigineux. L'oiseau n'exécute cette parade aérienne que durant la période nidification. Le son est produit par l'air qui s'engouffre entre les rectrices externes de la queue de l'oiseau lorsqu'en fin de plongée et il est dirigé soit vers un autre engoulevent mâle, vers une femelle, un oisillon ou un intrus. Soir et matin, nous avons la chance d'être témoins de ce spectacle et je suis certain que certaines des plongées nous sont destinées.

Engoulevent d'Amérique. 2 Juillet 2011. Au nord du réservoir Gouin. Photo Laval Roy.


Après l'excellent café préparé par le chef François et un bon bol de céréales, il est temps de s'activer. Nous devons être sur le terrain, à notre premier point d'écoute, une demie-heure avant le lever du soleil. Ce qui signifie pour nous aux environs de 4h22. Le temps de descendre le VTT grimpé dans la boîte du camion, de vérifier nos walkie-talkies, de nous souhaiter mutuellement bonne chance et nous voilà partis chacun dans sa direction respective. Le terrain à couvrir a été décidé la veille et c'est le temps maintenant de se mettre au travail. Ce temps passé en forêt, entre 4h00 et 10h00, est la période de la journée la plus exaltante. Chaque journée nous apporte ses surprises, ses coups de coeur, ses immenses joies et ses petites contrariétés. Très tôt le matin, les oiseaux sont généreux de leurs chants et de leurs interactions avec leur milieu. L'atlaseur est vraiment obnubilé par tout ce qui l'entoure. Tous ses sens sont en éveil, c'est là que ça se passe et il n'est pas question de manquer quelque chose. Et oui, il en manque des choses finalement, mais il peut dire au moins qu'il ne ménage pas les efforts pour tout gober. Et il n'y a pas que les oiseaux, il y a les animaux ou les traces de leur passage, les insectes, les plantes, les arbres, les habitats incroyablement dépaysants et beaux. C'est l'enchantement tout azimut.
Bécassine des marais. Photo prise le 7 juillet 2011 au nord du réservoir Gouin par Laval Roy.

Troglodyte des forêts. Photo prise le 23 juin 2011 au nord du réservoir Gouin par Laval Roy.



Chevalier solitaire. Photo prise le 7 juillet au nord du réservoir Gouin par Laval Roy.


Moucherolle à ventre jaune. Photo prise le 17 juin au nord du réservoir Gouin par Laval Roy.
Castor dans un étang au nord du réservoir Gouin. Photo prise le 10 juin 2011 par Laval Roy.


Suit alors le retour au point de rencontre, la tente ou ailleurs selon le cas, entre 10h00 et 11h00. Il fait chaud maintenant, les brûlots, maringouins, mouches à chevreuil, mouches noires et toute espèce de "frappabord" sont nos copains jurés. Ils ne nous lâchent pas d'une semelle. Il nous faut trouver un site pour le dîner, car pas question de préparer la nourriture près de la tente. Prudence oblige par rapport à l'odorat super développé des ours qui leur permet de trouver une source potentielle de nourriture à de grandes distances. Même si l'ours craint l'homme, il ne faut pas tenter le diable comme on dit. Après le repas, c'est la sieste obligée malgré la chaleur cuisante à l'intérieur de la tente. Lever vers les 16h00 et retour au lieu du repas pour le souper.

François Gagnon, un biologiste et un cook accomplis. Il fait le meilleur café au nord du réservoir Gouin. Photo prise au début juillet 2011 à quelque part en forêt boréale par Laval Roy.


Après le souper, on part avec le camion pour explorer les chemins que nous parcourrerons le lendemain. Malgré les cartes que nous avons, il peut arriver que des chemins soient rendus inaccessibles par manque d'entretien. Ce n'est pas à 5h00 du matin qu'il faut le constater. Nous en profitons également pour noter des indices de nidification des espèces rencontrées. Tôt le matin et tard le soir sont les meilleures heures pour observer les perdrix ou tétras qui traversent les chemins forestiers en compagnie de leur progéniture. Ça ne manque pas. Il y a aussi les engoulevents et les strigidés qui sont plus faciles à rencontrer à ces heures là.

Tétras du Canada avec un poussin. Cette femelle était écrasée sur le bord du chemin, parmi les pierres, avec 5 à 6 poussins sous elle. Les jeunes ont profité d'un petit soulevent de leur mère pour s'échapper. Photo Laval Roy.



N'est-il pas adorable !!!  Photo Laval Roy.

Pendant 34 jours, François Gagnon et moi-même avons quitté notre petit confort respectif pour nous lancer dans une aventure tout à fait extraordinaire. Nous ne retenons que les bons côtés, les belles rencontres avec cette nature si généreuse, les fous rires et les conversations toujours intéressantes autour d'un bon café ou d'une bonne tablée au restaurant (et oui, il nous est arrivé de nous échapper dans la civilisation).

Pour notre premier site de campement, nous utilisons un site Atikamekw qui ne sert pas présentement. Début juin, nord du réservoir Gouin. Photo Laval Roy.


François s'est occupé de la logistique de terrain de main de maître. À l'abri du soleil trop ardent et des moustiques trop achalants, il étudie les cartes et les photos aériennes afin d'élaborer une stratégie permettant de bien couvrir le plus de terrain possible et les différents habitats. Photo Laval Roy.


J'avais hâte d'écrire sur mon blogue. Il me semble que ça fait tellement longtemps que je ne l'avais pas fait. J'aurais beaucoup à dire et j'ai plusieurs sujets que j'élaborerai plus tard. Je repars dans quelques heures à peine pour 3 semaines de birding sur la côte est du Brésil. D'autres aventures m'attendent. Je vous en reparlerai à mon retour.