lundi 25 mai 2020

Les moucherolles du Domaine Joly-De Lotbinière (DJL)



Les moucherolles sont de petits passereaux, en général plus petits que le Moineau domestique. Ce sont des insectivores qui se nourrissent essentiellement d'insectes volants, mais aussi d'insectes rampants ainsi que d'autres arthropodes comme les araignées. Au Québec, les neuf différentes espèces habituellement rencontrées appartiennent toutes à la famille des tyranidés. Elles partagent le même mode de chasse. Bien installées sur une perche, elles peuvent demeurer de longs moments immobiles, ne bougeant que la tête pour détecter des insectes volants qui passeraient à portée d'un vol court et rapide. Une fois la proie repérée, l'oiseau s'envole, attrape l'insecte et revient se percher sur la même branche ou tout près. Cette méthode de chasse très caractéristique peut expliquer la robe très sobre que portent ces oiseaux insectivores. Des couleurs trop éclatantes seraient néfastes pour ces oiseaux qui pourraient alors se faire trop facilement repérer autant par leurs proies que par leurs prédateurs.

À la fin-mars ou au début-avril, la première espèce à se présenter au DJL est le Moucherolle phébi / Sayornis phoebe / Eastern Phoebe. Si sa livrée brunâtre lui permet de passer inaperçu, il en est autrement lorsqu'il émet le cri qui lui a valu son nom: un "phé..bi" dont le "bi" est légèrement tremblotant. Il affectionne la proximité de l'eau et il construit son nid en dessous de la structure des ponts qui enjambent les rivières. Il l'installe aussi sur les cadres de portes ou les pièces de bois horizontales des différentes bâtisses environnantes. Ceci leur permet de se tenir à l'abri des intempéries (grand vent et pluie). Voilà qui explique pourquoi on observe cette espèce tout autour de la bâtisse principale du domaine. À ma connaissance, l'espèce est présente depuis plusieurs décennies à cet endroit. Une autre caractéristique aidant à son identification est le mouvement nerveux de la queue qu'il exécute lorsqu'il est perché.


Moucherolle phébi / Sayornis phoebe / Eastern Phoebe



Moucherolle phébi / Sayornis phoebe / Eastern Phoebe


En 1804, un Moucherolle phébi devint le premier oiseau à porter une bague en Amérique du Nord. John James Audubon attacha des fils argentés à la patte de cet individu de façon à suivre son retour dans les années subséquentes.

La mi-mai souligne l'arrivée d'un autre moucherolle de petite taille au DJL, le Moucherolle tchébec / Empidonax minimus / Least Flycatcher. Il se différencie du Moucherolle phébi par sa couleur plus grisâtre, ses deux bandes alaires plus évidentes et le cercle oculaire bien apparent. Comme pour bien des moucherolles, c'est son cri qui le trahit immédiatement. Il émet un "tché-bec" bref, sonore et répétitif. Il accompagne chaque cri par un mouvement nerveux de la queue. Il s'observe principalement sur le plateau no 2 au DJL, ainsi que dans l'érablière située au plateau no 3. Les différentes espèces de moucherolles sont très territoriales autant sur leur territoire de reproduction qu'en dehors. Chaque espèce est très agressive et envers toutes les autres espèces de moucherolle, c'est tolérance zéro. Pourtant le Moucherolle tchébec peut à l'occasion tolérer la présence d'un autre congénère.


Moucherolle tchébec / Empidonax minimus / Least Flycatcher



Moucherolle tchébec au nid en juin 2012


Les deux dernières espèces de moucherolles nichant sur le site du DJL arrivent aussi en mai, environ une semaine plus tard que le Moucherolle tchébec. Il s'agit du Pioui de l'Est / Contopus virens / Eastern Wood-Pewee et du Tyran huppé / Myiarchus crinitus / Great Crested Flycatcher.  Les deux espèces sont forestières et fréquentent souvent les érablières d'où leurs présences plus fréquentes au plateau no 3 du site du domaine. Il est cependant possible de voir et d'entendre les deux espèces peu importe où on se situe sur le site. Il s'agit de tendre l'oreille car, comme tout bon moucherolle, les deux sont vocaux et leurs cris sont caractéristiques et ils portent loin.

Si ce n'était de son sifflement fluctuant et aigu (d'où il tire son nom) "pi-ou-IIIII", le pioui passerait la plupart du temps inaperçu. Il se nourrit d'insectes dans la strate supérieure des arbres et sa petitesse, ainsi que sa couleur terne, font qu'il est difficile à repérer. N'oublions pas son mode de chasse particulier qui comporte peu de déplacement. Bien perché sur une branche pendant de longs moments, il poursuit une proie volante qui passe trop près et il revient se percher au même endroit. Il faut donc être très attentif si on veut l'observer. Une étude a démontré qu'il peut accomplir une moyenne de 68 envolées par heure lorsqu'il nourrit ses jeunes. Il se différencie du Moucherolle phébi par son cercle oculaire et ses bandes alaires très faibles ainsi que par sa tête nettement plus pointue. Les deux ont environ la même taille.


Pioui de l'Est / Contopus virens / Eastern Wood-Pewee.

Le plus grand des moucherolles présents au DJL est le Tyran huppé / Myiarchus crinitus / Great Crested Flycatcher. Plus gros que ses cousins, il n'en demeure pas moins difficile à observer car il vit dans la canopée des arbres. Lui aussi y va d'acrobaties aériennes pour attraper ses proies. Son cri distinctif ressemble à un sifflet d'arbitre: un "prrrit" roulé, fort et sec qu'il peut répéter en cascades s'il est vraiment excité. À l'instar des autres tyranidés, il est agressif et un rien l'énerve. D'où ses cris souvent entendus qui comprennent également un "ouip". À noter la huppe ébouriffée, la tête foncée ainsi que le haut de la poitrine grisâtre qui tranche nettement avec le jaune du ventre. En vol, le roux des ailes et de la queue est très apparent. Le Tyran huppé est le seul de nos tyrans au Québec qui nichent dans des cavités naturelles ou dans des nichoirs et il a la particularité d'apporter une ou des mues de couleuvre à son nid.


Tyran huppé / Myiarchus crinitus / Great Crested Flycatcher



@ bientôt.



samedi 9 mai 2020

L'oiseau acériculteur



C'est à partir du mois de mars que reviennent progressivement NOS oiseaux migrateurs. La pluie, les écarts de températures marquées entre le jour et la nuit et les rayons de plus en plus ardents du soleil auront bientôt réussi à faire disparaître toute trace de l'hiver. La végétation, atrophiée depuis de longs mois sous un linceul blanc, nous montre sa résilience à travers ces pousses végétales qui surgissent un peu partout autant du sol que des branches des arbres et des arbustes. La sève engourdie par les grands froids se remet à circuler. Le phénomène de la coulée de la sève est étroitement lié à la température de l’air. Des conditions de gel la nuit suivies de températures plus élevées pendant le jour sont indispensables. La coulée se déroule en deux phases : une phase d’absorption, qui a lieu pendant les nuits froides (au minimum -5oC), et une phase d’exsudation, qui se déroule lors du réchauffement des températures. La sève est attirée vers le sommet des arbres lorsque les branches les plus exposées au froid gèlent. Au moment où la température passe au-dessus du point de congélation (environ 5oC), la sève redevient liquide et descend par gravité vers le bas de l’arbre.

En résumé, lors du dégel, au printemps, l’érable transforme l’amidon en sucre. Le sucre se mélange avec l’eau absorbée par les racines de l’érable et sucre légèrement sa sève. Et voilà arrivé le populaire temps des sucres. Les acériculteurs entaillent les érables afin de recueillir la sève qui sera bouillie à différentes températures pour obtenir tantôt du sirop, tantôt de la tire ou tantôt du sucre d'érable. Un délice incomparable pour les bibittes à sucre que nous sommes tous à au moins un moment donné de notre vie. Mais il n'y a pas que les humains qui profitent de la manne printanière. À la fin avril, une balade dans le secteur de l'érablière au Domaine Joly-De Lotbinière nous permet d'entendre et de voir un oiseau revenu depuis peu de ses quartiers d'hiver situés plus au sud. Il s'agit du Pic maculé / Sphyrapicus varius / Yellow-bellied Sapsucker.


Le mâle du Pic maculé est reconnaissable à sa gorge rouge (la gorge est blanche chez la femelle) et à son plumage plus contrastant  que celui de la femelle.


En fait, nous n'avons pas besoin de l'entendre ni de le voir pour savoir s'il est présent ou non dans un milieu donné. Il laisse des artéfacts ostensibles de son passage sur le tronc des arbres, des artéfacts non seulement permanents, mais qui prennent de l'expansion avec le temps.  Il a cette particularité de forer dans le tronc des séries de petits trous qui traversent l'écorce de l'arbre pour atteindre le phloème, ce tissu conducteur de la sève élaborée. Dans un premier temps, ces trous, appelés puits de sève, permettent à l'oiseau d'absorber un liquide hautement nutritif. Ils sont creusés en série et de façon très ordonnée, voire symétrique. Les cicatrices imprimées dans l'écorce s'agrandissent à mesure que l'arbre grossit. Les petits trous bien ronds à l'origine, s'élargissent, se déforment et deviennent oblongs avec les années. 


Exemple de puits de sèves. Les différentes formes de ces trous nous démontrent les plus anciens (plus grands et oblongs) versus les plus récents (plus petits et bien ronds).



Aux États-Unis, des études (McAtee, 1926) ont démontré que le Pic maculé peut agir ainsi sur au moins 258 espèces d'arbres, d'arbustes et de vignes. Oui, cette action peut provoquer un affaiblissement ou la mort de certains arbres ou causer des imperfections dans la culture de bois d'œuvre. Mais cette préoccupation est beaucoup moindre au Québec alors que l'oiseau ne passe que la moitié de l'année avec nous. Ces puits ne sève peuvent servir à au moins 32 autres espèces nord-américaines tels les colibris, roitelets, sittelles, parulines, jaseurs et fringillidés. Ces espèces viennent se sustenter de sève, mais également des insectes attirés par le sucre et emprisonnés dans le liquide gluant. Le pic offre également un approvisionnement alimentaire à d'autres oiseaux qui ne peuvent pas ingurgiter de sève. De nombreux insectes sont attirés par le fluide sucré suintant et ils viennent s'en nourrir: papillons, mites, coléoptères, frelons, mouches des fruits et autres mouches. Certains d'entre eux peuvent se rassembler dans les puits de sève ou former des nuages dans l'air autour d'eux, ce qui attire les insectes mangeurs d'insectes ainsi que les oiseaux insectivores que sont les moucherolles, les viréos et certaines parulines.

Une autre particularité de ce pic est sa façon de tambouriner qui est très caractéristique. Alors que les pics réalisent un tambourinement à un rythme régulier, en cascade (toc.toc.toc.toc.toc.), celui du Pic maculé retient plutôt du code morse (toc.toc.toc...toc...toc...toc) et il ralentit à la fin. Le tambourinement est un élément important dans l'établissement d'un territoire de reproduction. En plus d'indiquer sa présence auprès d'une possible partenaire, il indique aux autres mâles qu'il compte bien défendre bec et ongles cette zone particulière. Afin de se faire entendre encore mieux, il va jusqu’à frapper des pièces en acier pour accentuer la résonance. Les pancartes métalliques, les garde-fous le long des routes et les tuyaux des cheminées font très bien l’affaire.

@ bientôt.


dimanche 3 mai 2020

Des oiseaux au Domaine Joly-De Lotbinière



Quel site extraordinaire que ce Domaine Joly-De Lotbinière (DJL) pour favoriser la contemplation et la découverte des beautés naturelles ! Il est reconnu pour son souci de perpétuer l'histoire du temps des seigneurs, pour ses grands jardins de fleurs, pour ses Noyers noirs et pour l'accès privilégié qu'il permet au grand Fleuve Saint-Laurent. En parcourant ses sentiers forestiers ou ses allées piétonnières savamment positionnées, le visiteur traverse une diversité impressionnante d'habitats différents pour des lieux si restreints. Quel endroit peut se vanter d'avoir un fleuve, des plans d'eau aménagés, des milieux ouverts, des jardins fleuris, une forêt mixte, un milieu humide, une érablière... le tout réparti sur trois plateaux éloignés en altitude d'une vingtaine de mètres les uns des autres. Et qui dit habitats différents dit biodiversité accrue.

Un administrateur du site m'a fait une offre que je pouvais difficilement refuser soit d'écrire une série de billets sur les oiseaux vedettes qui nichent sur le site. La très grande majorité nous quitte à l'automne pour nous revenir en mai afin d'y établir un territoire, y nicher et assurer ainsi la pérennité de l'espèce. C'est ainsi que je mettrai en ligne sur mon blogue, ainsi que sur les différents média du DJL, de courts billets sur ces bijoux ailés qui ajoutent la beauté des sons à celle des images.

En exergue, je voudrais vous présenter une vue aérienne du site telle que présentée sur Google Earth. À cette prise aérienne, j'ai ajouté différents points utiles pour la découverte d'espèces spécifiques lors de vos randonnées futures sur le site. J'indiquerai ces points selon l'espèce décrite.


Vue aérienne du site du Domaine-Joly-de-Lotbinière

  • Zone intertidale: zone entre les marées les plus hautes et celles les plus basses.
  • Plateau # 1: plateau au niveau du fleuve contenant une forêt riparienne (1), des champs ouverts, des grands pins et une plantation de Noyers noirs (2).
  • Plateau # 2: plateau central du domaine avec le bâtiment principal (3), les jardins fleuris (4), des plans d'eau aménagés (5) et la maison du jardinier (6). Ce plateau est environ une vingtaine de mètres plus élevé que le plateau # 1 et une vingtaine de mètres plus bas que le plateau # 3.
  • Plateau # 3: grande érablière avec des sentiers bien balisés qui passent par des zones humides et une zone de conifères.

Malgré ces altitudes très peu marquées, vous découvrirez en lisant les billets qui suivront que des espèces s'observent plus sur un plateau que sur les autres. Bizarre me direz-vous ? Pas tant. Si cette réalité s'observe dans une zone aussi restreinte, imaginons l'impact négatif que la déforestation a sur la biodiversité à l'échelle mondiale.

Les milieux naturels ont beaucoup été chamboulés depuis les années 50 et le cheptel animalier a subi des baisses catastrophiques de ses populations allant jusqu'à 95% pour des espèces fréquentant les milieux ouverts. Catastrophiques et irrécupérables vu l'ardeur que l'Homme met à détruire les habitats considérés "inutiles" aux besoins oppressants exacerbés par la mondialisation. Ce qui s'observe à l'échelle mondiale s'observe nécessairement (et malheureusement) à l'échelle locale.

Merci à toute l'équipe du domaine d'ajouter un plus à toute cette beauté en aménageant intelligemment ce site tout en préservant la nature telle qu'elle est. 

Pour en savoir plus sur le Domaine Joly-De Lotbinière . 


@ bientôt.