dimanche 12 novembre 2017

Le seigneur du domaine de Maizerets



À tout seigneur, tout honneur !

Cet oiseau vit toute l'année sur le domaine de Maizerets et ce n'est pas si évident que ça quand on considère que ce site se situe dans la ville de Québec, au Canada, où les saisons sont très bien senties. L'été, ça peut être chaud (oui, quelques fois mais pas trop longtemps), l'hiver c'est très très froid (oui, souvent et trop longtemps). Il pourrait même très bien arriver que notre oiseau mystère naisse sur ce site, qu'il y passe une moyenne de 5 ans de vie et qu'il y meure de façon tout à fait naturelle.

De quelle espèce s'agit-il ? J'imagine facilement tous ceux qui connaissent le site se creuser les méninges et qui pourraient risquer quelques noms, mais j'ajoute dès maintenant un autre critère de sélection qui va circonscrire radicalement le choix de réponse: cette espèce est la plus nombreuse sur le site, peu importe la saison.

Et voilà que tout nous dirige vers une espèce d'oiseau appartenant à l'ordre des ansériformes et à la famille des anatidés et de la sous-famille des anatinés. Cette famille englobe mondialement 41 genres, 147 espèces et 238 taxons (incluant les espèces et les sous-espèces). J'ajouterais même que cette espèce est à l'origine de tous les canards domestiques, du plumage blanc pur au plumage des plus bigarrés.

Et le voici sans plus de préambule, un canard commun, d'une grande beauté et qui est peut-être même trop souvent sous-estimé: le Canard colvert / Anas platyrhynchos platyrhynchos / Mallard.


19 janvier 2012. Les canards et les oies ont une remarquable adaptation au niveau de leurs pattes lorsqu'ils se tiennent dans l'eau très froide ou sur une surface glacée. Une adaptation qui empêche leurs pieds de geler. À l'intérieur de leurs membres inférieurs, les artères et les veines sont serrés les unes contre les autres et le sang froid des plus petites veines est réchauffé aussitôt par le sang chaud des artères. La perte de chaleur est ainsi évitée. Alors que la température corporelle interne d'un canard qui se tient sur la glace est de 40° C, celle de ses pattes est juste au dessus du point de congélation (0° C). Par une température de - 20° C, les pattes du canard risquent moins les engelures dans l'eau non gelée qu'en dehors de l'eau. Lorsqu'il se repose sur la glace, le canard s'assied sur ses pattes avec le bec retourné vers le dos, bien enfoui sous les plumes dorsales.


27 janvier 2014. Malgré des apparences trompeuses, cet individu n'est pas du tout en mauvaise position dans son combat contre le froid. Il est doté d'un plumage serré et duveteux qui recouvre toutes les surfaces charnues et d'une bonne couche de graisse sous la peau.      

26 février 2016. Ce magnifique mâle quitte le ruisseau en contre-bas pour venir rejoindre un groupe de canards qui se fait nourrir par un passant. Le Ruisseau du moulin trace la fin du boisé et le début de l’Arboretum. Ce ruisseau, qui se jette dans le fleuve Saint-Laurent, est sujet à l’effet des marées, ce qui fait qu'il y a de l'eau libre toute l'année et que la source de nourriture est renouvelée avec chaque marée haute. 


26 février 2016. Le plumage de la femelle est plutôt terne comparativement à celui du mâle. Chez le mâle et la femelle, une des principales caractéristiques est la barre blanche de chaque côté du miroir bleu de l'aile.


16 avril 2015. Le Canard colvert est un barboteur qui mange surtout des végétaux et des invertébrés, mais il se régale aussi de céréales et d'insectes. Pour se nourrir en eau peu profonde, il bascule son corps vers l'avant et il met sa tête sous l'eau, le derrière relevé à la verticale. Grâce à une caractéristique commune à tous les anatidés, l'intérieur périphérique des deux mandibules du bec étant pourvu de lamelles qui s'imbriquent lorsque le bec est fermé, il peut se nourrir à la surface de l'eau. Ces lamelles servent de filtre qui laisse s'écouler l'eau tout en retenant les fines particules de nourriture qui sont récupérées par une langue hautement spécialisée.



15 mai 2014. Vers la fin du printemps, le mâle perd peu à peu son beau plumage et il ressemblera bientôt à la femelle. Cette dernière couve seule les oeufs pendant les 28 jours que dure l'incubation. Les liens du couple commencent à se défaire dès le début de l'incubation et le mâle abandonne la femelle généralement entre la première et la dernière semaine d'incubation. Il va alors rejoindre son "boys' club" sur un autre plan d'eau.


29 mai 2014. À la naissance, les oisillons ressemblent à de petites boules de duvet brun et jaune. Dans les heures qui suivent, leur mère les conduit à l'eau. La cane prend continuellement soin de rassembler et de réchauffer ses petits. Elle leur apprend aussi à se nourrir.


5 juin 2016. Vers l'âge de 6 à 8 semaines, les canetons sont autonomes.


14 septembre 2014. Le plumage caractéristique du mâle apparaît dès le premier automne, mais il peut ne pas avoir tout son éclat avant la deuxième année.


27 septembre 2014. Si le Canard colvert est l'ancêtre des canards domestiqués par l'homme, il est aussi le canard le plus prisé des chasseurs. Sa nature plutôt sociable lui joue de bien mauvais tours, car il se laisse facilement duper par les appeaux. Dans les années 1960, il était commun dans le sud-ouest , mais rare dans l'est du Québec. À cette époque, dans les basses-terres du Saint-Laurent, les chasseurs le considéraient comme un trophée exceptionnel. Aujourd'hui, il niche partout dans l'est du Québec, ainsi que dans les provinces de l'Atlantique.

Quand la glace commence à recouvrir les lacs, le Canard colvert migre vers le sud, l'est et l'ouest des États-Unis, en Amérique centrale et en Amérique du sud. Certains individus passent parfois tout l'hiver plus au nord quand des plans d'eau libres de glace sont disponibles et que la nourriture est suffisante. Même si canard est d'abord un oiseau d'eau douce, certains s'établissent sur les côtes pour hiverner.


04 novembre 2017.

04 novembre 2017.


Le domaine de Maizerets est l'endroit le plus facile à visiter l'hiver à Québec pour l'ornithologue ou le photographe qui désirent en connaître plus sur les comportements du seigneur de ce domaine, le flamboyant Canard colvert.


@ bientôt.




mardi 7 novembre 2017

La couleur du langage des "oiseaux"



Ce billet fait suite à un autre écrit en janvier 2015: la couleur des choses . Je vous invite à le lire à nouveau comme préambule avant de revenir à celui-ci. Je terminais en écrivant que la couleur n'est pas seulement attribuée au concept de la couleur, elle peut être également attribuée à autre chose.

Pour un daltonien en manque de cônes comme moi, mais à l'oreille fine, les sons émis par les oiseaux revêtent une importance capitale dans la reconnaissance de l'espèce. Et j'ajoute tout-de-suite qu'il n'est pas nécessaire d'être daltonien pour avoir une ouïe extraordinaire permettant de reconnaître les moindres sons et les interpréter de façon judicieuse. Il se trouve quelques ornithologues qui sont des mentors pour moi à ce point de vue et il n'est pas nécessaire d'être avancé en âge pour faire partie du groupe. Olivier Barden, un jeune Québécois surdoué, est un phénomène en ce domaine. Mais il n'y a pas de raccourci pour atteindre ce niveau. Il faut beaucoup, beaucoup de persévérance, de travail, d'écoute d'enregistrements, de temps passé sur le terrain et de passion pour assimiler le tout.


La Grive des bois / Hylocichla mustelina / Wood Thrush possède un chant éthérique dont les notes flûtées et vaporeuses enchantent l'oreille et nous transportent dans un autre monde.

Que serait ce monde sans les sons émis par les oiseaux ? Que serait un lever de soleil s'il n'était accompagné du concert de la gent ailée ? D'entrée de jeu, je vous accorde que ce ne sont pas tous les oiseaux qui émettent des sons agréables. Le croassement de la corneille ne saurait être avantageusement comparé aux vocalises joyeuses du roselin ou aux acrobaties vocales de haut voltige du goglu.


Qui ne connaît les sons rauques émis par le Carouge à épaulettes / Agelaius phoeniceus phoeniceus / Red-winged Blackbird, un oiseau commun des espaces ouverts. Il règne en maître absolu sur les marécages où son cri retentit incessamment durant la saison des amours.

Très agressif, il protège son territoire contre tous ceux qui osent en franchir les limites. Ses cris sont accompagnés du déploiement du rouge éclatant de ses épaulettes.
 
Ce qui impressionne souvent c'est de constater comme de petits oiseaux peuvent émettre des chants aussi puissants. Pensons au lilliputien Troglodyte des forêts / Troglodytes hiemalis hiemalis / Winter Wren dont le chant énergique envahit la forêt de résineux ou à la diminutive Paruline couronnée qui nous martèle d'un vigoureux "ti-pié, ti-pié, ti-pié" dès que nous pénétrons son territoire en forêt de feuillus.


Du haut de ses 10 cm, cette boule d'énergie qu'est le Troglodyte des forêts impressionne par un chant qu'on prêterait volontiers à un oiseau beaucoup plus massif.

Mais comment les petits oiseaux font-ils pour expulser avec autant de force de tels sons à partir d'un corps souvent menu ? L'explication vient de l'anatomie bien particulier à l'oiseau au niveau des voies respiratoires.

Le syrinx est un organe situé au fond de la trachée des oiseaux. Il leur permet d'émettre des vocalises, comme le larynx le permet pour les autres vertébrés.  Contrairement aux mammifères, chez qui le larynx se retrouve au-dessus de la trachée, le syrinx se trouve sous la trachée, entouré des sacs aériens claviculaires (bronche), au niveau de la 2ième ou 3ième vertèbre thoracique et de la bifurcation de la trachée.





  1. Dernier anneau cartilagineux de la trachée
  2. Tympanum
  3. Muscles
  4. Pessulus
  5. Membrane tympanique externe
  6. Membrane tympanique interne
  7. Second groupe de muscle
  8. Bronche principale
  9. Anneaux cartilagineux bronchiques



L'organe vocal est constitué d'une structure cartilagineuse qui fait vibrer une membrane devant deux cavités ou pavillons qui servent de caisse de résonance. Chez les canards, le cartilage est surmonté d'un renflement que l'on appelle tambour ou bulle de la syrinx et qui permet d'amplifier les sons. Chez certaines espèces les deux pavillons peuvent ne pas vibrer à la même fréquence de façon à produire une note différente. Pour d'autres, les pavillons sont absents.




L'éclatante Paruline jaune / Setophaga petechia amnicola / Yellow Warbler est une cantatrice exceptionnelle qui peut émettre une dizaine de chants différents. Son imitation de la Paruline à flancs marron est digne de mention et elle peut déjouer le plus habile des ornithologues.

À l'instar de bien d'autres espèces de parulines, lorsque la Paruline à flancs marron / Setophaga pensylvanica / Chestnut-sided Warbler chante, elle y met toute l'énergie disponible afin de se faire bien entendre. Après tout, sa prestation lui vaudra de trouver la partenaire permettant une nidification réussie.


La sérénade du Merle d'Amérique / Turdus migratorius migratorius / American Robin est l'un des sons printaniers les plus beaux et réconfortants à entendre pour les Québécois au sortir de l'hiver.


Le syrinx est plus ou moins sophistiqué selon les espèces et les sexes. Il est en effet souvent plus développé chez les mâles, plus aptes à chanter. Chez les perroquets, la musculature qui permet au syrinx de vibrer est très développée, même si on trouve des différences notables entre les groupes.



Les "oiseaux noirs", comme nous les appelons souvent, émettent des sons plutôt rauques et grinçants. Ils peuvent pallier à cet handicap en arborant un plumage iridescent. Ce Quiscale bronzé / Quiscalus quiscula versicolor / Common Grackle nous en fait une belle démonstration.
 
Les gros oiseaux comme les cygnes et les grues ont une trachée très allongée, qui tient lieu de caisse de résonance.


Cet énorme Cygne trompette / Cygnus buccinator / Trumpeter Swan accompagne un groupe de Bernaches du Canada / Branta canadensis interior / Canada Geese à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ces deux espèces émettent de puissants sons qui s'entendent de très loin.


Le syrinx est très peu développé chez les vautours, les autruches et quelques espèces de cigognes.


Est bien chanceux celui qui entendra une seule fois dans sa vie un Urubu à tête rouge / Cathartes aura septentrionalis / Turkey Vulture émettre un quelconque son. Habituellement silencieux, il peut laisser échapper à l'occasion des sifflements, des gloussements ou des plaintes, mais il le fait toujours très discrètement et en situation conflictuelle.  




Un autre son souvent entendu surtout au printemps est la longue plainte de la Tourterelle triste / Zenaida macroura carolinensis / Mourning Dove. Comme plusieurs autres columbiformes, elle emmagasine de l'air au niveau de la gorge et elle  l'expulse tout en émettant un "cou-ouuuu...ouuuu...ouuuu...ouuuu" langoureux qui lui vaut son nom.



En résumé



Le syrinx ou larynx inférieur est essentiellement composé d’une membrane à la partie inférieure de la trachée qui forme, au niveau de la bifurcation des bronches, une valvule circulaire faisant saillie dans l'intérieur de la trachée. Cette membrane, tenant lieu de tympan, unique ou double (suivant qu'elle est au-dessus ou au-dessous de la bifurcation), est l'organe vibratoire qui produit les sons, sous l'influence de la colonne d'air chassée par le jeu des poumons et de la tension produite par de petits muscles, en nombre très variable suivant les espèces.  Les oiseaux dits chanteurs (paruline, roselin, merle…) ont jusqu'à cinq paires de ces muscles,  les perroquets n'en ont que trois et les rapaces une seule paire.

Les tambours, quand ils existent, et la trachée plus ou moins longue, plus ou moins flexible, contribuent aussi à varier le son de la voix ou à lui donner une plus grande portée. On sait d'ailleurs que l'éducation fait beaucoup sous ce rapport, puisque l'on peut apprendre à chanter à des espèces d’oiseaux dont la voix ordinaire est peu harmonieuse, et qui ont, par conséquent, un syrinx moins parfait que les autres.




Le diminutif Moucherolle tchébec / Empidonax minimus / Least Flycatcher au plumage terme attire notre attention lorsqu'il répète l'onomatopée qui lui a valu son nom, un sec "tché-bec" répété à satiété.

Lorsqu'aux couleurs éblouissantes de la nature s'ajoute la couleur du langage des oiseaux, ces moments impérissables s'ajoutent à la liste des raisons pour lesquelles la planète bleue doit être valorisée et protégée pour les générations à venir. 

Merci à cette Paruline à poitrine baie de s'époumoner pour nous le rappeler.







@ bientôt.