jeudi 9 janvier 2014

Grand Pic / Dryocopus pileatus abieticola / Pileated Woodpecker


De toutes les espèces de pics présentes au Québec, le Grand Pic est sans doute la plus convoitée par l'ornithologue amateur qui débute ce beau hobby. En raison de sa grande taille, proche de celle de la Corneille d'Amérique, nous pourrions nous attendre à le rencontrer plus fréquemment. Après tout, il n'est pas considéré comme rare et il peut même nicher dans des boisés relativement petits. En Amérique du Nord, en nous basant sur les données des BBS (Breeding Bird Survey), nous pouvons voir certaines tendances comme la diminution des effectifs des Pic de Lewis, Pic à tête rouge et Pic flamboyant. Par contre, les Grand Pic, Pic à ventre roux et Pic chevelu connaissent une augmentation de leur population. Cependant, la réalité nous démontre que ce pic format géant élude souvent nos recherches en forêt même celles hébergeant des habitats idoines et où sa présence est confirmée par les traces bien particulières qu'il imprime sur le tronc des arbres.

Alors que j'habitais à la campagne, je me rendais souvent près de la rivière du Chêne, à Leclercville, afin de repérer un Grand Pic qui y était résident depuis nombre d'années. Alors que sa présence était rapportée sporadiquement par d'autres observateurs, je n'arrivais jamais à mettre la jumelle dessus. Pourtant, l'entrée oblongue de la cavité lui servant de nid était visible sur plusieurs grands arbres dans la région. J'arrivais même à l'occasion sur des sites où de gros copeaux encore bien frais s'entassaient au pied d'un arbre où une cavité bien visible venait d'être forée. C'était plutôt frustrant. Un beau samedi matin de juin, je me lève avec la ferme intention de le trouver quitte à y mettre toute la journée. Ça m'a pris quatre heures de traque intensive avant de finalement trouver un beau mâle en pleine recherche de nourriture sur un tronc pourri et couché par terre dans le sous-bois d'une érablière. En fait, l'expérience m'a démontré que ce pic pouvait s'observer souvent à moins de deux mètres du sol. Comme cette femelle, surprise le 1er janvier 2014 à la Base de plein air de Sainte-Foy, ville de Québec.




Ce n'est pas par malice que le plus grand de nos picidés québécois creusent le tronc laissant souvent d'énormes échancrures qui nous font quelques fois craindre, à tort ou à raison, pour la survie de l'arbre. L'alimentation de base du Grand Pic est constituée de Fourmis charpentières du genre Camponotus. Ce sont les grosses fourmis noires que nous rencontrons près de nos maisons et que nous ne désirons pas abriter à l'intérieur de nos murs. Ces dernières creusent des tunnels qui peuvent atteindre le coeur, ou si vous préférez, le centre du tronc d'un arbre. Le pic n'a de cesse que lorsqu'il capture sa proie (probablement  un coléoptère sur la photo qui suit). Nous pouvons même voir une patte noire accrochée au bord du trou alors que le pic avale l'insecte d'un trait.




Sur la photo suivante, nous pouvons même noter une aile d'insecte collée au bec de l'oiseau.




Sa diète de fourmis est donc complétée par des larves de coléoptères xylophages, des termites et des chenilles. L'importance des fruits (cerises, fruits du cornouiller, raisins sauvages), des baies (houx, sumac vénéneux, micocouliers de Virginie) et des noix varie selon les régions. Ils peuvent constituer jusqu'à 30% du menu. En hiver, il visite régulièrement les postes d'alimentation où du gras animal ou végétal lui est offert.

Les Grands Pics occupent différentes sortes de forêts, les feuillus aussi bien que les conifères et les forêts mixtes. A l'intérieur de ce dernier habitat, ils semblent marquer une préférence pour les parcelles ouvertes de feuillus et les zones denses de grands conifères parvenus à maturité. Nous pouvons également les trouver dans des boisements en cours de régénération, à condition que ceux-ci soient pourvus de grands arbres et d'arbustes qui aient au moins cinq ans d'âge. Ils pénètrent aussi dans les parcs à la périphérie des villes. Des rapports indiquent que, pour se nourrir, ils choisissent des parcelles de vieux arbres en bordure de rivières. Les lieux de nidification sont également situés dans de vieux arbres âgés de plus de 70 ans et jamais très éloignés de l'eau. Les monocultures de pins sont généralement évitées. Ils nichent jusqu'à 1500 mètres dans les zones montagneuses de l'est du Canada et jusqu'à 2300 m dans l'ouest.

Ces oiseaux sont relativement solitaires. Les couples entretiennent des rapports assez lointains, excepté pendant la période hivernale où ils peuvent se percher à faible distance les uns des autres. Mes photos ont d'ailleurs été prises avec la complicité d'un couple de pics qui, à un moment donné, cherchaient de la nourriture sur deux arbres situés à moins de deux mètres l'un de l'autre. Ces oiseaux ne sont pas réputés très timides. Ils recherchent leur nourriture à tous les étages de la végétation, y compris sur le sol où ils visitent les souches et les fourmilières. Les bois morts constituent des lieux privilégiés d'exploration. Les coups de bec et le tambourinage constituent plus de 60% des méthodes d'investigation en hiver. Le décollement et la désincrustation de morceaux d'écorce est également une activité importante. Sur la photo qui suit (prise la veille avec la même femelle), nous pouvons voir que l'oiseau s'apprête à soulever un morceau d'écorce et à l'arracher d'un mouvement sec de la tête.




Et voilà le travail bien fait. À remarquer que le pic ferme les yeux à chaque fois qu'il attaque le bois, question de les protéger contre de possibles éclisses qui pourraient le blesser.




Un bec droit à la base large est, à lui seul, loin d'être suffisant pour expliquer la capacité des pics à frapper à répétition et à creuser dans un bois dur et vivant pendant de longues périodes de temps.




L'oiseau peut compter sur des structures hautement spécialisées au niveau du bec et de l'ossature du crâne. L'articulation entre le point le plus à l'avant du crâne et celui de la mandibule supérieure, ou maxille, est repliée vers l'intérieur. Ceci fait que, lorsque le bec frappe une surface solide, l'os subit une tension plutôt qu'une compression. Normalement l'impact devrait porter la base du bec à glisser vers le haut. Ce mouvement potentiellement dangereux est contré par l'os frontal qui excède la base du haut du maxillaire. Parce que le choc produit une tension, celle-ci peut être contrecarrée par un muscle spécial qui l'absorbe. Ce dispositif est optimisé lorsque le bec est bien droit et bien aligné avec le muscle lorsque le coup est porté. Comme cette ligne se situe en bas du cerveau de l'oiseau, cet organe précieux est préservé de la vague de choc. Vous remarquerez qu'un pic, lorsqu'il fore énergiquement, garde sa tête au même niveau et en droite ligne devant lui. Ici c'est le mâle qui nous fait une démonstration. Yeux fermés, il frappe avec puissance et précision afin de creuser et aller dénicher l'insecte qui se cache. Heureusement pour lui, sa belle crête rouge est plus affectée par le choc que son cerveau.


 

D'autres spécialisations de l'oreille interne, des narines, de la langue et des muscles au niveau des vertèbres pourraient être élaborées dans cet article, mais le propre d'un blog étant d'être court, il faut que je m'arrête ici. Je vous invite à aller consulter la bibliographie que je vous mentionne à la fin.

Mais, avant de partir, voici un portrait du mâle.





À bientôt ...


Bibliographie

 

del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (2002) Handbook of the Birds of the World. Vol. 7. Jacamars to Woodpeckers. Lynx Edicions, Barcelona.
Winkler, H., Christie, D.A. & Nurney, D. (1995) Woodpeckers: An Identification Guide to the Wodpeckers of the World, Houghton Mifflin Company,  Boston / New York.

Proctor, N.S. & Lynch, P.J. (1993) Manual of Ornithology: Avian Structure & Function, Yale University Press, New Haven / London.
Sibley, D.A. (2001) National Audubon Society The Sibley Guide to Birds, Alfred A. Knopf, Inc, New York.



mardi 7 janvier 2014

Gros-bec errant / Coccothraustes vespertinus vespertinus / Evening Grosbeak



Et oui, c'est lui cet oiseau qui a éveillé en moi ce ravissement envers les oiseaux. Je m'en rappelle comme si c'était hier et pourtant ça fait plus de 50 ans aujourd'hui. Ça se passe à l'automne 1963, j'ai 12 ans. En remontant la rue menant à la maison paternelle, je m'approche d'un Érable negundo / Acer negundo et je perçois du mouvement dans les feuilles. Un oiseau, perché bas et affairé à bouffer une samare, attire davantage mon attention. Je ne connais rien des oiseaux et je suis subjugué par la beauté de celui qui me fait la grâce de se laisser observer de si près, sans même faire attention à moi.

Ce qu'il est beau avec son gros bec clair, son large bandeau jaune au front qui se prolonge au-dessus de l'oeil, le dépasse légèrement pour s'amincir et disparaître au niveau de la couronne. Le jaune étant ma couleur préférée, je ne pouvais tomber sur une plus belle espèce pour m'extasier. Sa cagoule noirâtre fait ressortir encore davantage son énorme pif. Ses ailes sont noires et ses secondaires sont d'un blanc immaculé.



Il est accompagné de sa femelle qui possède une belle robe même si, pour un daltonien comme moi, elle manque d'éclat comparé à son macho de partenaire.


Cet oiseau porte bien son nom d'"errant" puisque ses déplacements sont très imprévisibles. Il peut être abondant une année dans un secteur donné et y être complètement absent dans un autre temps. Originaire de l'ouest canadien, le Gros-bec errant a été observé pour la première fois dans le sud du Québec à la fin du XIXième siècle. Par la suite, il a été aperçu de plus en plus souvent et, aujourd'hui, on le retrouve aussi bien dans son habitat en saison de nidification qu'aux mangeoires durant l'hiver. Ce gros-bec est querelleur et très bruyant l'hiver lorsqu'il se tient en groupes, mais il devient plus discret et moins grégaire dès le début de la saison de nidification alors qu'il se déplace en couple (Scott et Bekoff, 1991). L'été dernier, j'ai été en mesure de le constater lors de la découverte d'un couple au nord du Réservoir Gouin. J'ai pu le repérer grâce à ce cri fort qui le caractérise lorsqu'il est en vol.

Durant la saison de nidification, les insectes, dont les coléoptères, les Chenilles arpenteuses et la Tordeuse des bourgeons de l'épinette, constituent une part importante de son alimentation (Terres,1980). Il est bon de préciser que le Gros-bec errant est, avec la Paruline obscure, l'un des meilleurs indicateurs de la présence de la tordeuse; en effet, là où la forêt est envahie par cet insecte, on note une concentration élevée de couples nicheurs (Blais et Parks, 1964; Erskine, 1977). Bien qu'il consomme des insectes, ce gros-bec est avant tout un granivore qui se nourrit de bourgeons et de graines de plusieurs types de plantes herbacées, d'arbustes et d'arbres, principalement ceux des érables et des conifères. Son bec puissant lui permet de briser le noyau des fruits, comme ceux du Cerisier à grappes, tout en rejetant la partie charnue. En hiver, les graines de l'Érable à Giguère (nom vernaculaire donné à l'Érable negundo) et les graines de tournesol des mangeoires sont une nourriture de choix pour l'espèce (Speirs, 1968; Aubry et Laporte, 1990).


Vu son errance et sa beauté, c'est toujours un privilège et une fête lorsque nous en rencontrons un. La réserve du Cap Tourmente, près de Saint-Joachim, est l'endroit tout indiqué pour en trouver en hiver. En ce beau dimanche nuageux du 5 janvier 2014, nous avons la chance de tomber sur quelques groupes de gros-becs. Voici quelques photos que j'ai pu faire à cette occasion.






Et cette dernière que j'aime beaucoup.




Je vous souhaite de belles aventures en 2014 et que votre route croise celle d'un Gros-bec errant.


À bientôt...


Bibliographie consultée

Vincent, J. 1995. Gros-bec errant, p 1086-1089 dans Gauthier, J. et Y. Aubry (sous la direction de). Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseau, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Montréal, xviii + 1295 p.