mercredi 11 janvier 2012

La forêt boréale ou le royaume de l'usnée

La forêt boréale est un immense écosystème qui s'étend surtout sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, mais dont on retrouve des parcelles plus ou moins grandes en Gaspésie, dans le Bas Saint-Laurent et le long de la vallée du Saint-Laurent. Elle couvre 73.7% du Québec forestier, ce qui en fait le principal domaine de végétation au Québec.

Traversant le Québec d'est en ouest , ses vastes étendues recouvrent quelques 560 000 kilomètres carrés, soit un peu plus du tiers de la superficie du Québec. Dans la région de la Baie James, elle est remplacée par la taïga, une forêt de conifères plus clairsemée. Au sud du 49ième parallèle, elle cède progressivement la place à la forêt mixte et à la forêt feuillue.

Si elle projette l'image de vastes alignements uniformes d'Épinettes noires, la forêt boréale accueille pourtant une faune et une flore extrêmement variée. La faune des forêts boréale comprend 30 des 70 espèces de mammifères terrestres et 150 des 300 espèces d'oiseaux nicheurs répertoriés au Québec, ainsi que 10 000 espèces d'arthropodes (insectes, araignées, etc.). On y retrouve également plus de 850 espèces de plantes vasculaires - des bleuets aux sorbiers en passant par le « Thé du Labrador » et les « Quatre-temps » - et de nombreuses plantes non vasculaires comme les mousses, les lichens et les champignons.

Et me voilà enfin arrivé au sujet en titre: l'usnée. Mais qu'est-ce que c'est ? L'usnée est un lichen, une combinaison d'une algue et d'un champignon grandissant ensemble. Aussi connue sous le nom de barbe de Jupiter, elle pousse en filaments entremêlés ressemblant à des touffes de poils, avec les algues vertes couvrant les fils blancs, les champignons. On en voit partout, accrochées aux branches rugueuses des résineux, laissant pendre ses grands filaments comme autant de tentacules qui captent l'humidité de l'air ambiant. La présence de l'usnée est garante d'un lieu exempte de pollution.

De mémoire, je fais la connaissance de l'usnée dès mes premières excursions d'ornitho. Ça se passe en 1965 dans l'immense Seigneurie Joly, à la hauteur de Saint-Édouard-de-Lotbinière. S'y retrouve une bonne étendue de forêt dominée à 75% par des essences résineuses (Épinette noire, Épinette blanche, Mélèze laricin et Sapin baumier), et à 25% par des feuillus (principalement le Peuplier faux-tremble et le Bouleau à papier ou Bouleau blanc) qu'on retrouve en thalles disséminées au milieu des peuplements résineux. L'arbre vedette, l'Épinette noire, peut vivre jusqu'à 200 ans et sa hauteur maximum peut atteindre 25 mètres. Comparitivement aux vastes étendues plus nordiques (i.e. situées du côté nord du fleuve), il y a peu de plans d'eau ou de tourbières dans la forêt de Saint-Édouard. Ceci élimine plusieurs espèces inféodées aux milieux aquatiques comme les anatidés (canards), les gaviidés (plongeons), les pandionidés (Balbuzard plongeur), les scolopacidés (chevaliers, bécassines), les hirundinidés (hirondelle) et les alcédinidés (martin-pêcheurs).

Ce site constitue pour moi un point chaud dans le comté de Lotbinière pour l'observation d'espèces d'oiseaux associées à la forêt dite boréale. Je ne croyais pas possible la présence de ce genre de forêt si près du fleuve et, de surcroît, si bas en altitude. À travers les années, j'y retourne plus d'une centaine de fois afin d'ajouter à ma liste annuelle des espèces plus faciles à voir là qu'ailleurs. Si vous désirez observer une espèce donnée, recherchez son habitat et vous obtiendrez l'espèce convoitée. C'est une règle d'or à laquelle tout bon ornithologue doit obéir s'il désire avoir du succès dans ses recherches.


Carte d'une petite partie de la forêt boréale située au sud-est du village de Saint-Édouard dans Lotbinière. Bordée à l'est par la route Leclerc et au nord par le rang Juliaville ouest. L'enclos à chevreuils (petit quadrilatère gris au sud du rang Juliaville) a été démantelé dans les années 90 et il ne reste aujourd'hui que peu de vestige de cette installation. Même si cette forêt a été passablement coupée au cours de la dernière décennie, elle permet encore quelques belles trouvailles.
Photo Google Earth avec des images datant du 8 mai 2004.
Voici la liste des oiseaux et des mammifères que le site de Saint-Édouard-de-Lotbinière m'a permis de colliger au fil des années (ce ne sont pas toutes des observations personnelles): 

Oiseaux

Gélinotte huppée, Tétras du Canada (un mâle adulte tué à l'automne 1970), Autour des palombes, Grand-duc d'Amérique, Chouette rayée, Chouette lapone, Petite Nyctale, Pic maculé, Pic mineur, Pic chevelu, Pic à dos noir, Pic flamboyant, Pie-grièche grise, Viréo à tête bleue, Moucherolle à côtés olive, Mésangeai du Canada, Geai bleu, Corneille d'Amérique, Grand Corbeau, Mésange à tête noire, Mésange à tête brune, Sittelle à poitrine rousse, Grimpereau brun, Troglodyte des forêts, Roitelet à couronne dorée, Roitelet à couronne rubis, Grive solitaire, Merle d'Amérique, Jaseur d'Amérique, Paruline à joues grises, Paruline à tête cendrée, Paruline à croupion jaune, Paruline noir et blanc, Paruline à gorge noire, Paruline à gorge orangée, Bruant chanteur, Bruant à gorge blanche, Junco ardoisé, Quiscale bronzé, Vacher à tête brune, Durbec des sapins, Roselin pourpré, Bec-croisé bifascié, Sizerin flammé, Tarin des pins, Chardonneret jaune et Gros-bec errant.

Animaux

Lièvre d'Amérique, Écureuil roux, Tamias rayé, Hermine, Renard roux, Coyote, Ours noir, Cerf de Virginie, Orignal et Porc-épic.

Depuis environ une décennie, je parcoure avec plaisir une autre forêt beaucoup plus étendue et située à environ 70 kilomètres au nord de la ville de Québec, juste à côté du Parc National de la Jacques-Cartier et qui se nomme la Forêt Montmorency. C'est une forêt expérimentale de 6 664 hectares, gérée par la Faculté de foresterie et de géomatique de l'Université Laval. Cette dernière a reçu ce territoire du Gouvernement du Québec en 1964 par un bail de 99 ans. En échange, elle s'est engagée à y développer la recherche et l’enseignement dans divers domaines des sciences naturelles.

Située dans les Laurentides, la Forêt Montmorency est drainée par la rivière Montmorency et par un de ses affluents, la rivière Noire. Il s'y trouve quatre lacs : les lacs Piché, Bédard, Laflamme et Joncas. L’altitude varie entre 600 et 1 000 mètres avec une moyenne de 750 mètres. Le peuplement forestier prédominant est la sapinière à Bouleau blanc. Les précipitations annuelles dépassent les 1 500 mm et, en hiver, la moyenne des précipitations de neige dépasse les 6 mètres. La température moyenne annuelle est de 0,4°C et on compte environ 133 jours sans gel dans l'année.

Vue aérienne d'une partie de la Forêt Montmorency montrant la route menant au pavillon central, en bordure du lac Piché. Cette route se prend au kilomètre 102 de l'autoroute 175 menant au Saguenay-Lac-Saint-Jean. 
Anne et moi commençons habituellement l'année par une sortie à la Forêt Montmorency, c'est l'endroit idéal pour observer les fringillidés et espérer aussi surprendre un Tétras du Canada. C'est ainsi que nous nous y rendons en ce 6 janvier 2012. Malgré le ciel bleu annoncé, nous arrivons sous un ciel gris, mais la température est douce. Après avoir acquitté nos droits de passage pour la journée, nous nous dirigeons vers la mangeoire où nous sommes certains d'avoir nos premiers Durbec des sapins de la journée. Nous y rencontrons aussi un Geai bleu. Quelques Mésangeais du Canada sont tout près et nous empruntons ensuite le sentier balisé qui fait le tour du Lac Piché. Le tour du lac prend environ 1h30, car nous le faisons à la vitesse ornitho, prenant le temps de nous arrêter fréquemment afin d'écouter le moindre son qui nous permettrait de localiser un oiseau ou un animal. Cet hiver, il y a plusieurs petits groupes de tarins, sizerins et bec-croisés qui nous survolent régulièrement. Le son nasillard de la Sittelle à poitrine rousse nous prévient de sa présence tout le long du trajet et le "chick-a-deeee" lent et enrhumé de la Mésange à tête brune nous fait esquisser un sourire, car c'est une espèce que nous recherchons à chacune de nos visites. Beaucoup plus furtive que sa cousine à tête noire, son observation n'est jamais garantie. Il faut être patient et surveiller tout mouvement suspect parmi la végétation dense des résineux.











C'est certain qu'une balade en forêt boréale n'a pas le charme d'une autre faite en forêt mixte où la diversité de forme et de coloris des différentes essences forestières est un baume pour l'oeil, où la flore abondante des sous-bois exhalent autant de couleurs que de senteurs et où la présence de beaucoup plus d'espèces d'oiseaux est perceptible à l'oreille avertie. Cependant, l'odeur omniprésente de "résine" en forêt boréale, les bruits de nos pas feutrés au max au contact du tapis moelleux constitué par les millions d'aiguilles qui couvrent le sol, les sentiers étroits et tortueux qui peuvent dévoiler des surprises à chaque détour, tout ceci concoure à garder tous nos sens en éveil et c'est là que nous "sentons" vraiment toute cette vie qui nous entoure.


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