jeudi 23 février 2012

Les manakins, ces incroyables danseurs !

L'un des spectacles les plus fascinants à observer sous les tropiques en Amérique centrale et en Amérique du sud est sans aucun doute celui d'un lek de manakins. D'abord, qu'est-ce qu'un lek !  Un lek est un genre d'arène où plusieurs mâles de la même espèce viennent performer autant vocalement que physiquement devant quelques femelles qui, même si elles semblent indifférentes devant une telle dépense d'énergie, épient leurs moindres gestes pour élire finalement celui qui sera le géniteur de leur descendance. Alors que d'autres animaux préconisent les confrontations physiques pour déterminer qui gagnera les faveurs de la ou des femelles en présence, ces petits oiseaux que sont les manakins démontrent leur supériorité à travers des pas de danses, des sauts, des culbutes et aussi en émettant des sons qui mettent à contribution non seulement leur syrinx, mais également certaines autres parties de leur corps.

L'observateur qui voit de visu ces comportements ne peut faire autrement que d'être (dans l'ordre) surpris, étonné, subjugué, amusé et rempli d'admiration devant autant de talent et de persévérance. Car rien n'est acquis dans le monde des manakins. Les mâles lorgnant le harem des femelles doivent pratiquer des années avant de prétendre au trône. Quand on sait qu'une trentaine de mâles peuvent se rassembler dans un même lek, il est facile de comprendre que la compétition est grande et l'ÉLU représente vraiment la quintessence en matière de chorégraphie et de rendu sur le terrain.

Un mâle de Manakin casse-noisette / Manacus manacus gutturosus / White-bearded Manakin répond au claquement de mes doigts en surgissant tout près, les plumes de la gorge toutes ébouriffées (ce qui lui a valu son nom), à la recherche du prétendant mâle qui vient de produire ces sons. Photo prise à Folha Seca, Brésil, le 08 Août 2011.
Les 58 espèces de manakins de la famille des Pipridés (ordre des Passeriformes) sont réparties en 18 genres et en 146 taxons. Ils sont compacts, largement frugivores et ils hantent les forêts tropicales sèches ou humides des basses terres. Alors que les mâles sont habituellement très colorés, les femelles sont plutôt ternes dans leur livrée vert olive ou jaunâtre. Tout est court chez la majorité des manakins: la queue, les ailes également rondes et un bec épais, muni d'un faible crochet à son extrémité. Quelques espèces ont une queue plus longue, mais ce n'est pas la norme.


Mâle de Manakin fastueux / Chiroxiphia linearis linearis / Long-tailed Manakin / Saltarín de Cola Larga. Photo réalisée le 08 mai 2016 au parc Biosfera La Sepultura, près de San Cristobal de las casas, Chiapas, Mexique.

 Ils cueillent les fruits en voletant et ils complimentent leur diète avec des arthropodes. La femelle a la charge de construire le nid, d'incuber les oeufs et de nourrir les jeunes. Le mâle ne fait que danser et procréer, la belle vie quoi !!! Par contre, et heureusement pour la femelle, la couvée est petite, soit un à deux oeufs par nichée.

Les manakins mâles sont habituellement brillamment colorés. Si quelques uns sont moins exubérants dans leur plumage (le mâle du Manakin noir est entièrement...noir), d'autres arborent toute une gamme de formes et de couleurs inusitées:

1) le corps ou le dos noir lustré, jaune, orange ou bleu ciel
2) la tête et/ou la gorge blanche, jaune, rouge orangée ou dorée
3) les cuisses jaunes éclatants ou rouges
4) un bleu profond sur la poitrine ou sur le dos
5) une queue courte, longue, carrée, ronde, pointue, très fine qui peut même servir de fouet par un mâle excité

Ils ont aussi cette capacité de hérisser des parties de leur plumage pour faire apparaître une crête ou des aigrettes ou pour ébouriffer les plumes au niveau de la gorge ou du bas du dos. Ce sont des boules d'énergie qui peuvent passer jusqu'à 90% de leur temps au lek. La seule activité qui les éloigne du lek est la mue. Comment peuvent-ils faire pour se permettre d'investir autant de temps à établir et à maintenir ces arènes ? Le secret réside amplement dans le fait qu'ils sont frugivores. Les frugivores, contrairement aux insectivores ou aux carnivores, n'ont pas à chercher quotidiennement leur nourriture. Les sources de nourriture sont nombreuses et, surtout, elles ne bougent pas. Les manakins peuvent donc quitter leur lek, se rendre au lieu de nourrissage, s'empiffrer littéralement et revenir au point de départ dans un délai assez rapide. Ils peuvent répéter cette activité aussi souvent qu'ils en ressentent le besoin.

Deux exemples de lek

Même si j'ai eu la chance d'observer 31 des 58 espèces de manakins, je suis loin d'être un expert de leur comportement. Car il faut ajouter que, même si ces oiseaux peuvent être colorés, ils fréquentent les sous-bois ou les canopées des arbres où des milliers de branches et de feuilles s'entrecroisent et forment un écran difficile à percer. Les oiseaux sont petits de taille, se déplacent très vite et restent immobiles lorsqu'ils sont perchés. S'il n'était des sons qu'ils émettent, ils passeraient très facilement inaperçus. Cependant, j'ai pu surprendre à quelques reprises des manakins de deux genres différents en plein spectacle. Les manakins du genre manacus adoptent tous le même modus operandi. D'abord, présentons-les:

1) Manakin à col blanc / Manacus candei / White-collared Manakin
2) Manakin à col orange / Manacus aurantiacus / Orange-collared Manakin
3) Manakin à col d'or / Manacus vitellinus / Golden-collared Manakin
4) Manakin casse-noisette / Manacus manacus / White-bearded Manakin

et voici une illustration de leur "arène"




Les oiseaux performent très près du sol. Ils commencent par nettoyer les lieux en enlevant tous les éléments gênants qui pourraient distraire l'attention des femelles de leurs acrobaties (feuilles, branches mortes, débris de toutes sortes). Les éléments obligatoires à leur mise en scène sont peu nombreux, mais combien importants. Ils comprennent obligatoirement des repousses d'arbres qu'ils utilisent comme des perches stratégiquement positionnés. Ils veulent être observés sous tous les angles par les femelles et ils ne ménagent aucun effort pour en mettre plein la vue et plein les oreilles. Les oiseaux passent d'une perche à l'autre à une vitesse incroyable. Il est très difficile de les suivre, même à l'oeil nu. Ce n'est qu'après avoir compris leur routine incessante qu'on arrive à positionner nos jumelles sur les lieux précis où les oiseaux se perchent pendant une fraction de seconde. Quand une femelle adopte un mâle, elle se joint à sa course effrénée entre les tiges et elle va s'installer au sol, en dessous du point no 5. Quand le mâle se laisse glisser le long de la tige (à l'instar d'un pompier ou d'un batman moderne), il aboutit sur la femelle et il l'accouple en une fraction de seconde. David Snow, un chercheur américain, a étudié et filmé ces performances à multiples reprises et ce n'est qu'en visionnant ses prises de vue qu'il a découvert qu'une femelle a été accouplée alors qu'il n'avait rien perçu lors de l'observation de visu. Le mâle manakin est sûrement le spécialiste des "p'tites vites".

Passons maintenant au modus operandi des manakins du genre pipra . Qui sont-ils ?

1) Manakin auréole / Crimson-hooded Manakin
2) Manakin à queue barrée / Band-tailed Manakin
3) Manakin filifère / Wire-tailed Manakin
4) Manakin à tête d'or / Golden-headed Manakin
5) Manakin à tête rouge / Red-headed Manakin
6) Manakin à cuisses jaunes / Red-capped Manakin
7) Manakin à queue ronde / Round-tailed Manakin
8) Manakin à cornes rouges / Scarlet-horned Manakin

Ces espèces établissent leurs leks entre 2 et 6 mètres au-dessus du niveau du sol et leurs perches sont plus horizontales que verticales. Je me souviendrai toujours de ma première expérience avec le Manakin à cuisses jaunes. En fait c'était ma première expérience avec un lek de manakins et je ne connaissais absolument rien de leur comportement. Ça se passe le 26 décembre 1991. Alors que j'arrive sur le site de Punta Leona, au Costa Rica, mon ami Mario Grégoire, qui est présent sur le site depuis quelques jours,  me dit qu'il a découvert un lek de Manakin à cuisses jaunes sur le site même de ce vaste domaine hôtelier. Je m'y rends donc le 27 décembre et je suis subjugué par ce que j'y découvre.

Nous empruntons le sentier El Trogon et nous marchons à peine une centaine de mètres. Nous entendons des bruits hétéroclites, inconnus pour moi. Mario me fait signe d'arrêter et de lever la tête. J'aperçois juste au-dessus de moi, à environ trois mètres de hauteur et sur une branche horizontale, un petit oiseau très coloré qui exécute la célèbre "moon walk" de Michael Jackson. Un oiseau verdâtre se tient sur la même branche et notre danseur ne fait ni un ni deux et il chevauche pendant une fraction de seconde cet oiseau qui, on le devine facilement, est sans aucun doute une femelle de son espèce. Nous sommes alors secoués de fous rires incontrôlables. C'est tellement drôle de voir cet oiseau noir, aux cuisses jaunes, à la tête entièrement rouge et aux yeux jaunes exorbités qui danse comme un forcené pour gagner le droit de s'accoupler et de perpétuer la race. Je vous invite à visionner ce vidéo qui explique et montre bien le tout:

http://www.youtube.com/watch?v=YHCBPC-7Bq4&feature=related

Intéressant, n'est-ce pas ?  J'adore les balades en forêt tropicale. Il y a tant d'odeurs, d'images et de sons qui nous sont inconnus et qui piquent notre curiosité. La vie est présente partout et nous n'en percevons qu'une infime partie. Combien de fois passons-nous au côté d'êtres bien camouflés dans cette nature luxuriante sans même douter de leur présence ?  Heureusement pour nous, ces bijoux étincelants que sont les manakins sont tellement expressifs, ils sont tellement animés de cette force qu'on appelle la vie, qu'ils réussissent à illuminer les sous-bois de leurs jeux incessants.



Merci à Pierre Bannon pour cette belle photo d'un Manakin auréole / Crimson-hooded Manakin, prise à Vuelta Larga, Venezuela, le 24 novembre 2008.






1 commentaire:

Anonyme a dit…

magnifique oiseau et celui qui a fait l'article un grand grand merci c'est génial