mardi 19 novembre 2019

Un petit héron blanc






Plumage nuptial du Héron garde-boeufs / Bubulcus ibis ibis / Cattle Egret. Photo réalisé le 19 mars 2019 le long de Calle Abasolo, près d'El Tuito, Jalisco, Mexique.



Un héron pas comme les autres


En livrée de reproduction, le Héron garde-boeufs / Bubulcus ibis / Cattle Egret est unique parmi les hérons blancs. Mais sous son plumage ordinaire, sa distribution cosmopolite fait qu'il peut être confondu avec bon nombre d'autres espèces. L'habitat terrestre où il se nourrit et sa posture voûtée sont tous deux relativement inhabituels parmi les espèces entièrement blanches de mêmes dimensions générales. Voici, selon Handbook of the Birds of the World, les trois sous-espèces reconnues au niveau planétaire:
  1. Bubulcus ibis ibis (Linnaeus, 1758) -  Afrique et Madagascar; sud ouest de l'Europe jusqu'à la mer Caspienne; les trois Amériques du Canada jusqu'aux Guyanes et le nord du Chili; aussi le nord est de l'Argentine ainsi que des points éparts au Brésil.
  2. Bubulcus ibis seychellarum (Salomonsen, 1934) - Les Seychelles.
  3. Bubulcus ibis coromanda (Boddaert, 1783) - sud et est de l'Asie jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.


Jaune = nicheur     Vert = résident    Bleu = non nicheur


 Un envahisseur opportuniste et efficace


La sous-espèce observée sous les cieux du Québec est la race nominale Bubulcus ibis ibis. Normand David, dans sa très fouillée Liste commentée des Oiseaux du Québec, mentionne au moins 160 présences sur le territoire du Québec avant 1996. Normand le catalogue comme un visiteur rare. Ces présences sont en majorité notées lors des mois de migration ou de dispersion post-nuptiale au printemps et à l'automne. En voici le décompte: 59 pour avril et mai, 75 d'août à novembre (dont 36 en octobre). Il avait alors été signalé dans toutes les régions sauf au Nord-du-Québec, au Témiscamingue et à Anticosti. Son statut au Québec n'a pas changé depuis 1996. Il est rapporté de façon régulière à toutes les années, mais en nombre infime.



Bubulcus ibis ibis à Nicolet, le 27 octobre 2010.


Bubulcus ibis ibis à Saint-Barthélemy, le 09 novembre 2019.


Mais quel est le berceau originel de la race nominale ibis ?  Elle se retrouve dans toute l'Afrique, à l'exception du Sahara aride, tout comme à Madagascar et aux Comores, et sur les îles Aldabra et Maurice.  Cette sous-espèce s'est répandue en direction du nord en Europe méridionale, où son aire de distribution couvre l'Espagne, le Portugal et la France (Hafner 1970), et vers l'est Israël, l'Arabie, la Turquie, le Caucase au sud de Lenkoran et le delta de la Volga (Dementiev & Gladkov 1951). Elle s'est établie en Guyane en Amérique du Sud, par des traversées transatlantiques pense-t-on, et de là elle a rayonné en Amérique du nord et en Amérique du sud. Elle se reproduit sur tout le littoral du Mexique, en Amérique centrale et aux Antilles. Des rapports signalent que, à partir de là, le héron a établi tout d'abord des populations reproductrices en Floride et au Texas au début des années 1950. En quelques années, il a étendu son aire nord-américaine le long de la côte atlantique jusqu'au Canada et s'est installé en Californie. Cette aire va actuellement jusqu'à Terre-Neuve, la nidification étant commune à partir du sud du Maine tout au long de la côte atlantique.


Le Héron garde-boeufs fut observé pour la toute première fois en Amérique du Sud en 1880. Des individus repérés en Guyane en 1915 (Lowe-McConnell 1967) et en Colombie en 1917 (Wetmote 1963) sont considérés comme l'origine probable de ceux qui se répandirent par la suite vers le nord et le sud pour constituer ce qui est désormais une vaste aire de distribution à travers tout le nord de l'Amérique du Sud. On estime que la déforestation, ici aussi, a joué un rôle majeur en ouvrant au héron des zones où s'établir et se reproduire.



Migration


Dans le Nouveau-Monde, les populations septentrionales migrent vers le sud en septembre et novembre, celles du Texas et de la Californie partent pour le Mexique et l'Amérique centrale. Les Hérons garde-boeufs orientaux se déplacent vers le sud par la Floride (Browder 1977) jusqu'aux Grandes Antilles, à l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. Quelques-uns restent en Floride.

Chez cette espèce, il est difficile de distinguer la migration de la dispersion, car ils ont une tendance marquée au vagabondage. Les immatures d'Afrique du Sud se déplacent de 3 500 kilomètres vers le nord, le Zaïre, l'Ouganda et la Zambie. En Europe, des non-reproducteurs se trouvent régulièrement en Scandinavie et à l'ouest jusqu'en Irlande (Rutledge 1978). Dans le Nouveau-Monde, un individu de Californie a été retrouvé aussi loin au nord que l'Alaska (Gibson & Hogg 1982). Cette tendance est sans doute en grande partie responsable de la forte extension de l'aire de distribution qui peut être caractérisée par des incursions répétées, des colonisation temporaires, des régressions et, selon les conditions, l'établissement dans des régions de plus en plus distantes.



Habitat et régime alimentaire


Le régime de cette espèce varie selon l'habitat. Lorsqu'elle chasse au milieu du bétail ou d'autres mammifères, elle mange en général des insectes dérangés par les activités des animaux plus grands qui broutent. Les sauterelles en constituent l'essentiel et les criquets sont communément attrapés, mais d'autres insectes sont aussi capturés y compris des coléoptères, des chenilles et des papillons, des teignes, des punaises, des libellules et des araignées. Des mollusques, des crustacés, des amphibiens y compris les grenouilles et les têtards, des reptiles tels les lézards et les serpents, des poissons et des petits mammifères comme les souris peuvent aussi entrer dans sa diète. On a observé que des Hérons garde-boeufs mangent aussi les oisillons au nid de diverses espèces.




Et pour le Québec ?


Les travaux du deuxième Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec méridional, qui se sont tenus de 2010 à 2014, ne rapportent aucune mention du Héron garde-boeufs en tant que nicheur potentiel au Québec. Pourtant qui aurait dit, avant 1984, que la Grande Aigrette finirait par s'établir et se reproduire un jour au Québec ?  Il aura fallu les travaux du premier Atlas, de 1984 à 1989, pour le confirmer. Trois nids ont alors été découverts sur l'île Dickerson, près de la jonction des frontières du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York (Bannon 1984).


Bien sorcier celui qui pourrait prédire où et quand pourrait s'établir le premier couple de Héron garde-boeufs au Québec. Il était autrefois une espèce nicheuse rare en Ontario, mais on n'a mentionné aucun nid dans la province depuis le milieu des années 1970 (Blokpoel et Tessier 1991; James 1991; Fichier de nidification des oiseaux de l'Ontario {ONRS}) .



Bubulcus ibis ibis à Saint-Barthélemy, le 09 novembre 2019.


@ bientôt.



Bibliographie


del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (1992) Handbook of the Birds of the World. Vol. 1. Ostrich to Ducks, Lynx Edicions, Barcelona.
 
Hancock, James & Kushlan, James (1991) Guide des Hérons du monde, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel (Switzerland).
 
David, N. (1996) Liste commentée des Oiseaux du Québec, Association Québécoise des Groupes d'Ornithologues, Montréal.

Cadman, M.D., D.A. Sutherland, G.G. Beck, D.Lepage et A.R. Couturier (dir.) 2010. Atlas des oiseaux nicheurs de l'Ontario, 2001-2005. Environnement Canada, Études d'Oiseaux Canada, le ministère des Richesses naturelles de l'Ontario, Ontario Field Ornithologists, et Ontario Nature, Toronto, xxii + 706 p.

Robert, M., M.-H. Hachey, D. Lepage et A.R. Couturier (dir). 2019. Deuxième atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional, Regroupement QuébecOiseaux, Service canadien de la faune (Environnement et Changement climatique Canada) et Études d'oiseaux Canada, Montréal, xxv + 694 p.

Gauthier, J. et Y. Aubry (dir.). 1995. Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Montréal, xviii = 1295 p.


4 commentaires:

Stéphane a dit…

Excellent billet encore une fois, merci !

Robert Allie a dit…

Fort intéressant! J'ai eu occasion d'observer des hérons garde-boeufs en Italie près de Florence. Ils étaient cinq avec un groupe de moutons.

Diane Clermont a dit…

Bravo pour cet article, très enrichissant et j'espère qu'on pourra observer bientôt des nids au Québec car ils sont vraiment très beaux.
Tes photos sont splendides !

lejardindelucie a dit…

Bonjour Laval,
Très intéressante cette étude de "l'avancée" du Héron garde- bœufs sur le continent américain. Pour nous c'est oiseau très présent en Camargue avec les troupeaux, mais aussi par chez nous , bien loin des zones pastorales.
Il est magnifique en nuptial et dans les héronnières ce n'est pas le dernier à défendre son territoire.