mardi 5 novembre 2019

La chouette des forêts boréales






Cette silhouette est si caractéristique qu'elle nous permet une identification rapide de ce visiteur du nord. Image captée à la brunante sur l'île-aux-Basques, le 11 octobre 2019.




Cette unique et magnifique chouette est le seul membre du genre Sturnia. Selon la bible moderne qu'est le Handbook of the Birds of the World, trois sous-espèces sont reconnues dans le monde, soient

  • Surnia ulula ulula:  Nord de l'Eurasie à l'est jusqu'à Kamchatka et Sakhalin, Centre de la Sibérie au sud jusqu'à Tarbatay.
  • Surnia u. tianschanica: Centre de l'Asie et le Nord-Ouest et Nord-Est de la Chine, possiblement aussi le Nord de la Mongolie.
  • Surnia u. caparoch: Alaska à l'est jusqu'à Terre-Neuve, au Sud jusqu'à l'extrême Nord des États-Unis (durant l'hiver).

L'Épervière boréale (Northern Hawk Owl) occupe la zone de toundra forestière et la taïga boréale au nord jusqu’à la limite des arbres et au sud jusqu'à la steppe et les terres cultivées. Même si cette zone sied également bien à la Nyctale de Tengmalm, les deux chouettes n'occupent pas la même niche écologique. L'épervière cherche toujours un accès facile aux clairières, aux zones brûlées, aux tourbières et aux forêts claires, y compris les forêts de bouleaux, de trembles et de forêts mixtes, avec une certaine préférence pour les pins, les mélèzes et les arbres rabougris, en particulier si ces derniers se terminent en troncs brisées ou par des branches nues. Elle évite les forêts de conifères denses. En hiver, en Amérique du Nord, elle fréquente les landes et les prairies ouvertes, allant même jusqu'à se percher sur des meules de foin.



Épervière boréale / Surnia ulula caparoch / Northern Hawk Owl



C'est un prédateur redoutable. Autant diurne que nocturne, l'épervière chasse normalement à partir de perchoirs exposés. Dans un premier temps, elle repère les endroits permettant la meilleure vue sur le territoire et elle se déplace ensuite d'une perche à l'autre après de longues minutes de guet à chaque endroit. Dès qu'une proie est repérée, elle fond dessus ou elle descend au ras du sol. Comme la crécerelle, le busard et certaines buses, elle peut faire du vol de surplace. Elle peut saisir une proie en vol et son acuité auditive lui permet de plonger dans la neige pour dénicher tout rongeur qui s'y cacherait.


Cette Épervière boréale nous montre bien les outils dont elle bénéficie et qui font d'elle un prédateur accompli. Une vue et une ouïe exceptionnelles, des serres puissantes pourvues de griffes acérées et un bec crochu qui lui sert à pénétrer les chairs pour les déchirer. Elle dépèce la proie en morceaux qu'elle avale tout rond.



En saison de nidification, elle se nourrit presque entièrement de petits rongeurs (Microtinae: Clethrionomys, Arvicola, Microtus), avec quelques petits oiseaux et des mammifères plus gros. Des oiseaux allant jusqu'à la taille des merles sont capturés et on a même documenté des captures de lagopèdes (Lagopus lagopus). Elle peut compléter ce régime avec des amphibiens, des poissons et des insectes. Des cas de cannibalisme, i.e. des adultes mangeant leurs propres rejetons, ont été rapportés par des chercheurs. La race caparoch est friande de levrauts (jeunes lièvres). Lors des années d'abondance de sa population, qui obéit à un cycle de dix ans, ce léporidé peut contribuer à la hauteur de 40%-50% de la biomasse récoltée par la chouette durant la période de nourrissage de sa nichée. En général, les lièvres, ainsi que les écureuils (Tamiasciurus, Spermophilus) peuvent devenir une source critique de nourriture lorsque le cheptel des rongeurs diminue.



Épervière régurgitant une boulette de réjection faite des éléments non digestibles de ses proies (poils, os, dents, griffes...).


Le 19 juin 2011, je me retrouve au nord du réservoir Gouin, en Haute-Mauricie, en compagnie de mon collègue François Gagnon. Nous y sommes dans le cadre des inventaires d'oiseaux commandités par l'Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec en régions éloignées. Pour nous deux, il s'agit d'une deuxième visite dans cette parcelle. C'est durant la première visite que François avait trouvé un nid occupé par une Épervière boréale. Bien installé tôt le matin à un point d'écoute pré-établi par le bureau de l'Atlas, il entend nettement des pépiements d'oisillons tout près. Une fois les cinq minutes d'écoute effectuées, il trouve la nichée qui prône au sommet du tronc coupé d'un gros bouleau. Ce moignon d'arbre est bien camouflé entre les épinettes. Vraiment pas évident à trouver. N'eût été du babillage des jeunes, il aurait été difficile pour François de le trouver.









Alors que la moyenne des oisillons par nichée est de six à dix, nous n'avons pu observer que quatre individus dans ce nid. Aucun arbre assez gros ne se trouvant à proximité, il était impossible de le savoir sans grimper directement à partir du tronc. Et il n'était pas question pour nous deux de nous approcher davantage du nid. Nous aurions pu laisser une odeur qui aurait conduit d'autres prédateurs vers ce nid.


Lors de cette deuxième visite dans la parcelle, je devais passer au moins six heures dans le secteur pour récolter des indices de nidification.  J'ai donc repassé devant le nid et j'ai noté que tout était correct. Je voyais encore les têtes des jeunes dépasser au sommet du tronc. J'ai donc continué ma route et, à à peine un demi kilomètre de là, j'aperçois un adulte en vol et il se dirige vers moi. Il émet une série de cris aigus et il se perche pas très loin, tout en continuant de maugréer.




 


Devant ce comportement non sollicité, je décide de ne pas trop m'attarder dans ce secteur ouvert, déforesté depuis environ une dizaine d'années.


Alors que le mâle de la Nyctale de Tengmalm réside habituellement dans son territoire de reproduction pendant l'hiver, même lorsque la nourriture peut être rare, celui de l'Épervière boréale est parfois plus mobile. Le mâle de la nyctale doit rester sur place s'il veut sécuriser un site de nidification pour le printemps suivant. Les sites de nidification de l'épervière sont moins restreints parce qu'elle est moins sélective et elle a donc moins besoin de défendre un territoire et un nid contre tous les arrivants. Néanmoins, il pourrait bien rester sur son territoire tout l’hiver afin de se familiariser avec les localités des proies et de trouver un site de nid, de sorte qu’il soit prêt à se reproduire tôt au printemps. Les mâles sont donc beaucoup plus susceptibles de rester toute l'année sur les mêmes territoires que les femelles.

La femelle adulte de l'Épervière boréale se déplace souvent vers des zones plus basses en hiver. Pour la femelle, les risques liés à la migration sont compensés par la perspective de trouver plus de nourriture dans des zones moins susceptibles d'être sous une neige profonde. Il y a souvent moins de juvéniles dans les basses terres productives que les femelles adultes, ce qui indiquerait que les oiseaux plus âgés revendiquent les meilleurs terrains de chasse. Comme chez le Harfang des neiges, c'est le statut social de ces hiboux qui détermine leurs déplacements et leur répartition en hiver.


 
@ bientôt,


Bibliographie


del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (1999) Handbook of the Birds of the World. Vol. 5. Barn-owls to Hummingbirds, Lynx Edicions, Barcelona.
 
Hume, Rob & Boyer, Trevor (1991) Owls of the World, Running Press, Philadelphia / Pennsylvania.
 

2 commentaires:

Stéphane a dit…

Très agréable de lire des articles de cette qualité-là, j'ai hâte au prochain.

Diane Clermont a dit…

Merci pour ce magnifique billet. Grâce à toi, j'en sais davantage sur cette chouette que j'aime beaucoup.
Tes photos sont splendides et illustrent très bien ton billet.