Le Harfang des neiges / Bubo scandiaca / Snowy Owl est l'emblème aviaire de la province de Québec. Il a été choisi parmi 17 espèces candidates et a obtenu ce statut officiel en décembre 1987*. La couleur de son manteau, son adaptation aux hivers rigoureux et le fait qu'il niche dans la toundra québécoise ont penché en sa faveur. Comme chez bien des rapaces, le mâle est de plus petite dimension que la femelle. Le mâle harfang est d'un blanc presque immaculé alors que la femelle est rayée sur presque toute la superficie de son corps, à l'exception de la face qui est toujours blanche. Même si elle blanchit en maturant, la femelle gardera toujours des lignes foncées sur les ailes, le dessus de la tête et la nuque. Plus la femelle est âgée et moins ses lignes sont apparentes, mais elles seront toujours présentes. L'immature, quant à lui, est fortement rayé et il s'observe en plus grand nombre que les adultes lors des visites hivernales sous nos latitudes **.
Son ère de distribution est circumpolaire et on peut l'observer autant dans l'Ancien que dans le Nouveau Monde. Comme il niche dans l'arctique, ce n'est que pendant la période hivernale qu'il nous visite en quête de nourriture. La raison de ces irruptions hivernales est un peu contestée ou contestable, car on les a souvent associées au manque de nourriture occasionnée par la baisse soudaine des populations de lemmings dans le nord. Il faut ajouter tout de suite que le harfang ne se nourrit pas seulement de lemmings. En Alaska, on l'a observé se sustentant d'une grande variété de proies: lagopèdes, grèbes, petits de goélands, guillemots, macareux, Petits Pingouins, mergules, canards, jeunes oies, foulques, bécasseaux, corneilles et même, aux endroits où l'eau ne gèle pas, de poissons qu'il attrape avec ses pattes. Quand ces proies deviennent rares, il se déplace vers le sud où il se nourrit de tout ce qu'il peut trouver sur place: lièvres, lapins, écureuils terrestres, rats, visons, mulots et musaraignes, et, lorsqu'il est vraiment affamé, il s'en prend même aux animaux à fourrures pris dans des pièges et il se nourrit aussi de restes de cadavres. Sur son terrain de chasse en arctique, il peut même s'en prendre à des jeunes Faucons pèlerins au nid, mais il peut en retour y laisser quelques plumes si ce n'est sa vie ***.
Photo © Norman Smith |
L'observation
de ces individus sauvages a permis de documenter la recherche d'habitat
leur convenant, leurs besoins alimentaires ainsi que leur mode de vie
nomade. Norman a ainsi pu colliger beaucoup d'informations sur leurs
activités autant diurnes que nocturnes. Les points d'intérêt de cette
étude étaient d'en savoir plus sur la chronologie et les techniques de
chasse, sur la diète, sur les déplacements et les interactions entre les
harfangs qui partagent le même site d'hivernage. L'utilisation d'une
lunette d'approche permettant la vision nocturne a été d'une importance
capitale puisqu'il s'est avéré que les harfangs étaient plus actifs la
nuit.
En
fait, Norman voulait aussi répondre à ces questions que nous nous
posons tous quand nous avons la chance d'observer des harfangs qui
reviennent année après année au même site d'hivernage.
Norman Smith. Photo © Shawn Carey |
- Quand les harfangs arrivent-ils sur ce site d'hivernage ?
- Combien de temps y demeurent-ils ?
- Combien d'individus passent sur le site sans y demeurer ?
- De quoi se nourrissent-ils ?
- Quels sont leurs comportements au repos et en chasse ?
- Le même harfang revient-il sur le site d'une année à l'autre ?
En 15 ans, la date la plus hâtive d'arrivée sur le site est le 24 octobre et le départ le plus tardif est le 7 juillet. Ces dates extrêmes excluent, la moyenne se situe de la mi-novembre à la fin avril.
Le
nombre de harfangs observés chaque hiver varie de 5, durant les hivers
1980-81 et 1995-1996, jusqu'au record de 49 en 1986-87. Le matin du 23
Janvier 1987, 23 individus occupent le site aéroportuaire en même temps.
227 harfangs capturés ont permis d'ajouter beaucoup de données à cette
étude. 10 individus ont été repris sur le site de l'aéroport de 1 à 10
ans suivant leur capture initiale. Au Canada, des oiseaux bagués à Logan
ont été repris dans les années subséquentes en Ontario et des oiseaux
morts (tués par des armes à feu) ont été trouvés au Québec et en
Nouvelle-Écosse.
Le
marquage de couleur a permis de prouver que ces strigidés se déplacent
beaucoup. Plusieurs individus ont été observés dans d'autres sites de la
Nouvelle-Angleterre. 56 rapports font état d'individus colorés repérés
au Maine, au New-Hampshire, au Vermont, au Massachusetts, au Rhode
Island, au Connecticut, à New York et au Delaware. 11 de ces 56 rapports
proviennent de lieux situés à plus de 150 kilomètres de East Boston.
Un
individu en particulier a été capturé à Logan le 9 Novembre 1991 et a
été coloré en vert. Il a été photographié à Bath, Maine, le 19 Décembre
1991, à 197 kilomètres au nord est. Le 24 Janvier 1992, l'oiseau revient
à Logan. Ensuite, on l'observe à Martha's Vineyard, Massachusetts, le
25 Février, à 115 kilomètres au sud est de Logan et à Charlestown, Rhode
Island, le 26 Février, à 92 kilomètres de Martha's Vineyard. Le gardien
du phare de Boston Light, à Little Brewster Island, Massachusetts,
photographie l'oiseau le 16 Mars, 125 kilomètres au nord est de
Charlestown. Le 23 Mars, il revient à Logan jusqu'au 20 Mai alors qu'il
quitte Logan. D'autres oiseaux, cependant, sont demeurés toute la saison
sur le site même de Logan.
Toutes ces heures d'observation ont permis de noter que le Harfang des neiges
préfère se reposer au sol durant la journée. C'est ainsi que nous
l'observons souvent de jour, comme le montre bien cette photo d'un harfang adulte mâle prise sur le chemin de l'Azur, près de La Durantaye, le 12
Février 2012.
Dès que le soleil disparaît, le harfang devient très actif. Après s'être étiré les pattes et les ailes, il régurgite habituellement une boulette en préparation à sa chasse nocturne. Il repère alors un perchoir d'où il fera le guet dans le noir. En plus d'utiliser un perchoir, il peut également faire du surplace en vol à la manière de la Buse pattue / Buteo lagopus sanctijohannis / Rough-legged Hawk. Grâce aux instruments permettant la vision nocturne, tous ses faits et gestes ont pu être documentés tout au long de la nuit. Au cours de cette étude, des harfangs ont été surpris en train de chasser ou de se nourrir de 192 proies provenant de 35 espèces différentes. Le harfang préfère attraper sa proie en plein vol tel un gros faucon. Extrêmement agile, il a été observé éludant les tentatives de fuite des Plectrophanes des neiges ou attrapant un Canard noir en plein vol. La proie la plus grosse a été un Grand Héron et la plus lourde une Bernache du Canada. Le harfang n'hésite pas à attaquer d'autres oiseaux de proie, comme le démontre la liste suivante:
nom français | nom scientifique | nombre |
Alouette haussecol | Eremophila alpestris | 2 |
Bécasseau variable | Calidris alpina | 8 |
Bernache cravant | Branta bernicla | 2 |
Bernache du Canada | Branta canadensis | 1 |
Busard Saint-Martin | Circus cyaneus | 2 |
Canard noir | Anas rubripes | 23 |
Chevalier sp | 1 | |
Cormoran à aigrettes | Phalacrocorax auritus | 1 |
Crécerelle d'Amérique | Falco sparverius | 2 |
Effraie des clochers | Tyto alba | 1 |
Étourneau sansonnet | Sturnus vulgaris | 5 |
Faisan de chasse | Phasianus colchicus | 2 |
Fuligule sp | 2 | |
Garrot à œil d'or | Bucephala clangula | 1 |
Goéland à bec cerclé | Larus delawarensis | 4 |
Goéland argenté | Larus argentatus | 1 |
Grand Héron | Ardea herodias | 1 |
Harfang des neiges | Nyctea scandiaca | 1 |
Harle huppé | Mergus serrator | 5 |
Hibou des marais | Asio flammeus | 5 |
Huîtrier d'Amérique | Haematopus palliatus | 1 |
Lièvre sp | 1 | |
Maubèche des champs | Bartramia longicauda | 1 |
Mouffette rayée | Mephitis mephitis | 3 |
Petit Garrot | Bucephala albeola | 1 |
Pigeon biset | Columbia livia | 13 |
Plectrophane des neiges | Plectrophenax nivalis | 4 |
Pluvier argenté | Pluvialis squatarola | 2 |
Pluvier kildir | Charadrius vociferus | 6 |
Poisson sp | 2 | |
Râle gris | Rallus longirostris | 1 |
Rat brun ou d'égoût | Rattus norvegicus | 47 |
Rat musqué | Ondatra zibethicus | 7 |
Rongeur sp | 31 | |
Sturnelle de l'Est | Sturnella magna | 2 |
À l'instar des autres strigidés, le harfang peut compter sur une acuité visuelle et auditive exceptionnelles qui sont essentielles à sa survie. On a documenté le plongeon d'un harfang dans environ 20 centimètres de neige et sa sortie avec un mulot dans les griffes. Comme le rongeur n'était pas visible, il a fallu que le hibou l'ait entendu. Et tout ceci en même temps qu'un immense avion de ligne 747 circulait sur le tarmac juste à côté. Un autre individu, difficilement visible même avec une paire de jumelles 10X50, a quitté son perchoir quelques minutes après le coucher de soleil pour venir fondre sur un Étourneau sansonnet. Cet étourneau était dans une cage et il servait d'appât aux harfangs afin de les attraper au filet pour prendre les mesures, les baguer et les marquer. Il lui a fallu parcourir une distance d'environ 1.6 kilomètres pour rejoindre sa proie potentielle. Et son vol direct ne laissait aucune équivoque sur ses intentions.
En conclusion
Le nombre de Harfangs des neiges hivernant à l’aéroport de
Logan varie grandement d’une année à l’autre. Durant les années où plusieurs
individus sont observés et capturés, il s’agit surtout d’immatures et ils
semblent en bonne santé. Ceci pourrait indiquer que la nourriture a été
abondante sur leur territoire de nidification, que les femelles ont pondu plus
d'oeufs (jusqu'à 14, les années d'abondance *) et qu’il en a résulté plus d’oisillons qui ont survécu et plus d’oiseaux
sous nos latitudes en hiver. Les années où peu de harfangs sont présents, un
haut pourcentage d’individus sont plus maigres que ce qu’ils devraient être. Ceci
suppose que la nourriture a été plus difficile à obtenir sur le territoire de
reproduction. Les nichées ont été plus petites, ce qui se répercute sur le
nombre d’oiseaux observés chez nous en hiver.
Des 227 hiboux capturés, 19 étaient des mâles adultes, 14
des femelles adultes, 102 des mâles immatures, 81 des femelles immatures et 11 n’ont
pu être catégorisés. Des recherches plus poussées sont nécessaires afin de voir
si le manque ou l’abondance de nourriture dans la toundra arctique peut
influencer le nombre d’individus qui viennent hiverner ici.
Dans la brique "Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional", on peut lire à la page 1162 ce qui suit:
En faisant les recherches pour écrire ce billet, j'ai appris énormément sur la diète et le comportement de ce gros strigidé, l'un des plus beaux à se présenter sous nos cieux lorsque l'hiver étend son manteau blanc sur nos champs et nos forêts. Un ami chasseur, amoureux lui aussi des hiboux, m'a raconté un jour avoir observé un harfang en pleine activité de chasse. Ça se passe en plein jour, à Saint-Édouard-de-Lotbinière. Le rapace est perché au sommet du toit d'une vieille grange. Juste en dessous de lui, un oeil de boeuf percé dans le mur du bâtiment permet à des Pigeons bisets de se percher sur le rebord, se croyant à l'abri des griffes du harfang. Et voilà que notre prédateur astucieux se laisse tomber devant lui, dans le vide, et il se contorsionne lorsqu'il arrive à la hauteur des pigeons. Les griffes bien dirigées vers un individu, il ne le manque que de quelques centimètres. Ne semblant pas débobiné du tout par son essai raté, le hibou rejoint son perchoir en quelques battements d'ailes et il tente à nouveau sa chance à quelques reprises, toujours sans succès, avant de s'envoler vers d'autres proies plus accessibles. La nature n'arrêtera jamais de nous surprendre.Dans la brique "Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional", on peut lire à la page 1162 ce qui suit:
Des études récentes indiquent qu'en Amérique du Nord, il existe des différences importantes dans les mouvements et la répartition du Harfang des neiges en hiver, et que ces différences sont fonction des groupes d'âge et du sexe (Kerlinger et Lein, 1986). Les mâles immatures hivernent plus au sud et les femelles adultes, plus au nord; entre les deux se trouvent les femelles immatures et les mâles adultes. Les adultes semblent hiverner régulièrement au sud des grandes plaines du nord, tandis qu'au Québec, plus à l'est et sur la côte ouest, la plupart des migrateurs d'hiver sont associés aux invasions périodiques et irrégulières des juvéniles (Kerlinger et al., 1985a; Kerlinger et Lein, 1988b).
Bibliographie consultée
* Gauthier, J. et Y. Aubry (sous la direction de) 1995. Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Montréal, xviii + 1295 p.
** del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (1999). Handbook of the Birds of the World, Vol. 5, Barn-owls to Hummingbirds. Lynx Edicions, Barcelona.
*** Terres, John K. 1956. The Audubon Society encyclopedia of North American birds. Alfred P. Knopf Inc, ed.
**** Smith, Norman 1997. Observations of wintering Snowy Owls (Nyctea scandiaca) at Logan Airport, East Boston, Massachusetts, from 1981-1997.
http://www.ncrs.fs.fed.us/epubs/owl/SMITH.PDF
1 commentaire:
Super ton article!
Comme j'aimerais pouvoir les photographier!
Ces rapaces ont quelque chose de très particulier je trouve, ils sont d'une grande beauté et ont un côté magique avec cette livrée très claire!
Une chose que je ne savais pas c'est qu'ils se reposent au sol mais avec leur couleur pourquoi être surpris, c'est le parfait camouflage!
Bon dimanche, Laval et à bientôt!
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