jeudi 13 octobre 2011

L'Île aux Basques: une île magique dans le Saint-Laurent



Ornithologue amateur depuis 1963, j’ai parcouru plusieurs pays, sur divers continents, afin d’assouvir cette passion irrésistible qu’est la quête de l’espèce nouvelle. Des plaines basses et inondables du centre du Venezuela au col de Papallacta qui culmine à 4,400 mètres d’altitude en Équateur, des îles Galapagos à celles de Cuba ou de la Jamaïque, des forêts tropicales luxuriantes du Costa Rica aux plantations de chênes ou d’oliviers de l’Espagne, des rizières de la Thaïlande à la plaine aride du Serengeti en Tanzanie, je rapporte des souvenirs impérissables. Chaque endroit est unique et renferme des trésors inestimables, à  la portée de tout esprit le moindrement inquisiteur.

Le fait de visiter des pays lointains et de découvrir des habitats différents de ceux constituant notre environnement immédiat n’altère en rien la capacité d’apprécier les beautés naturelles environnantes. Le Québec regorge de lieux uniques et extraordinaires.

Si le Québec, grâce à ses habitats riches et variés, agit comme un refuge permanent, saisonnier ou fortuit selon le cas, que dire de l’attraction exercée par les îles du Saint-Laurent sur la faune en migration. Des Îles-de-la-Madeleine à l’Île-aux-Grues, on en trouve de toutes les tailles et chacune possède son cachet particulier. Pour en avoir visité plusieurs au fil des ans, mon coup de cœur va à un île que je qualifierais de petite pour la superficie, deux kilomètres de long et un demi kilomètre de large, mais de grande pour les richesses naturelles qu’elle contient : l’Île-aux-Basques.




Cette île flotte à environ cinq kilomètres au large du village de Trois-Pistoles qui est situé dans la communauté régionale Les Basques et dans la région administrative du Bas-Saint-Laurent. Elle est bien visible à partir de la route 132, dès que nous approchons de cette région rendue célèbre par les écrits de Victor-Lévy Beaulieu, en particulier dans le très populaire téléroman l’Héritage (1987-1990).


Elle appartient à la Société Provancher d’histoire naturelle du Canada et elle est ouverte au public selon un calendrier déterminé. Nous pouvons passer par leur site internet  http://www.provancher.qc.ca/ pour faire nos réservations. Il nous est arrivé, à Anne et à moi, d’aller passer quelques jours en juillet ou en août, mais c’est en compagnie des membres du Club des Ornithologues de Québec  http://www.coq.qc.ca/  que nous faisons religieusement deux arrêts par année. Depuis des décennies, le COQ permet à ses membres de profiter des fins de semaine de trois jours que sont les Fête des Patriotes (en mai) et Fête de l’Action de Grâces (en octobre).  Ces dates correspondent aux migrations printanière et automnale. Ce qui est fascinant avec cette île, c’est que nous ne savons jamais à quoi nous attendre vraiment. Elle est tributaire des vents, des marées et des mouvements migratoires des oiseaux. Cependant, une chose est certaine, elle nous réserve toujours des surprises incroyables. C’est fascinant et inspirant. 




Grand Chevalier à l'Anse-du-banc-de-sable, le 09 octobre 2011.

Laissez-moi vous raconter une journée typique. Le lever se fait très tôt, sans qu’il ne soit sollicité par quiconque. C’est comme si c’était dans la norme de vivre au rythme de la nature. On se couche tôt, on se lève tôt. Pas de télévision, pas de radio, pas de téléphone. Juste le son du vent qui s’insinue dans les branches, le clapotis de l’eau qui vient mourir tout doucement au fond de l’Anse-qui-pue. Les douces plaintes des mâles d’Eiders à duvet, continuellement ballottés au gré des vagues du large, se font berceuse la nuit et hymne à la vie le jour. Ça c’est mon Île-aux-Basques. C’est ce qu’il me tarde de retrouver, à chaque fois.

Le temps d’un bon déjeuner où les rires se mêlent volontiers aux sons familiers des oeufs qui cuisent dans le poêlon et de l’eau qui bout, et voilà que chacun entame sa journée en se dirigeant vers le coin d’île de son choix. Rien n’est jamais commandé, tout est régi par l’inspiration du moment. L’important, c’est de se retrouver dans un milieu inspirant, de s’en imprégner et d’observer la vie tout autour.

La partie de l’île qui supporte la forêt est traversée sur toute sa longueur par un sentier nommé la Route-des-Basques. À un moment donné, cette route longe un petit étang autour duquel les oiseaux s’activent habituellement. Il fait toujours bon s’y arrêter quelques minutes afin de prendre le pouls de l’île. Quand la migration printanière est bonne, c’est l’endroit idoine pour rencontrer un grand nombre de passereaux différents. Des colorées parulines aux bruants à la livrée plus terne, en passant par l’imposant Grand Héron qui survole souvent ce lieu en quittant ou en regagnant la héronnière toute proche. Ce plan d’eau est longé du côté sud par le sentier David-Alexis-Déry.



L'Étang change d'aspect selon la saison et les conditions climatiques, mais il reste un endroit paisible qui attire la faune. Photo Anne Déry  en octobre 2009.
 


Ce Quiscale rouilleux en plumage d'automne est une première observation pour moi à l'Étang.


En nous dirigeant vers l’est, nous croisons le Sentier-de-la-Traverse. Il conduit au camp Léon-Provancher du côté sud et à la Butte-à-l’indienne ainsi qu’à une falaise rocheuse du côté nord. En mai, le sentier rocailleux est bordé d’un épais tapis de mousses et de lichens qui ajoute une touche féerique à l’endroit. De retour sur la Route-des-Basques et en nous aventurant davantage vers l’est, nous finissons par déboucher sur l’Anse-d’en-bas où une baie magnifique nous accueille. Un autre lieu de belles observations et de contemplation, particulièrement dans la grande haie de rosiers sauvages qui sépare la forêt de conifère de la plage. Un peu plus loin, nous aboutissons près du quai de pierre et l’Anse-à-la-canistre. C’est le lieu privilégié pour l’observation des oiseaux de mer au large avec nos puissantes lunettes d’approche. Beaucoup d’espèces intéressantes et même rarement observées y ont été rapportées : Plongeon du Pacifique, Plongeon catmarin, Plongeon huard, Arlequin plongeur, Garrot d’Islande, Eider à tête grise, Grèbe esclavon, Fou de Bassan, Grand Cormoran, Faucon pèlerin, Bécasseau violet, Mouette pygmée, Mouette de Sabine, Labbe pomarin, Labbe parasite, Petit Pingouin, Macareux moine

Si nous revenons à l’ouest du petit étang, toujours en empruntant la Route-des-Basques, nous croisons un sentier en U, sur notre droite, qui va longer la falaise du côté nord de l’île. Ce sentier est judicieusement appelé le sentier de la falaise. Ce sentier nous fait grimper d’une quinzaine de mètres et nous fait traverser des habitats très intéressants dont la forêt-des-sorcières (nom non officialisé). Les arbres à cet endroit sont rabougris, pas très hauts et les troncs sont tordus de façon anormale. Nous croyons que ce sont les violents vents du nord est qui ont façonné la végétation de cette façon. Mais qui connaît vraiment le fin mot de l’histoire ? L’île a ses secrets et elle les garde. Quand nous sortons de ce sentier, nous aboutissons près d’un autre endroit privilégié pour trouver des belles espèces. Il s’agit d’un lieu appelé La-source. Nous y trouvons beaucoup d’arbres fruitiers naturels et des buissons propices à l’alimentation et à la nidification des passereaux. La localisation de ce site est idéale aussi puisqu’il est à l’abri des vents dominants et le soleil levant vient réchauffer ce lieu tôt en journée.

La Route-des-Basques nous conduit ensuite au Pré-de-la-vieille-maison. De la maison, aucune trace ne subsiste. Cependant, à partir du Belvédère-Jean-Rioux, nous avons une vue imprenable sur un pré extraordinairement fleuri en juillet et en août. On peut y cueillir des framboises, des fraises et des bleuets…tout en en laissant aux petits rongeurs, aux oiseaux et au renard qui hantent l’endroit. Ce sentier traverse le pré tout entier et se termine sur la plage de sable à l’extrémité ouest. De grands rochers plats accueillent des limicoles durant les trois saisons, dont le Bécasseau violet et le Chevalier grivelé. En contournant l’île vers le sud, nous aboutissons à une longue pointe de sable qui se découvre à marée basse, le Banc-de-l’Île-aux-Basques. C’est le lieu parfait pour y observer des laridés et des anatidés qui vont s’échouer volontairement sur cette plage accueillante pour un peu de repos. Le Harelde kakawi aime particulièrement adopter ce comportement.

Anne se dirige en solitaire vers la flèche de sable qui rapetisse à la faveur de la marée montante. Photo Laval Roy en octobre 2009.



Le Tournepierre à collier est une espèce observée à toutes les visites automnales à l'extrémité ouest de l'Île-aux-Basques.


Nous longeons ensuite l’Anse-du-Banc-de-sable et nous arrivons au Lac-salé. Ce lac, qui n’en est pas un en fait, se forme au gré des marées. Et c’est l’eau salée du fleuve qui vient le remplir à marée haute. De là, son attribut de salée. Et voilà que nous revenons à l’Anse-qui-pue, petite anse désignée ainsi en raison de la décomposition d’algues marines qui s’y déposent et d’une source sulfureuse au fond de l’anse (J.C.R.Rioux, 1997). Les deux autres chalets de l’île, le Rex-Mérédith et le Joseph-Matte, ont été érigés à cet endroit stratégique.

Je reviens tout juste d’un autre séjour avec Anne sur notre île magique. Anne en est peut-être rendue à plus de cinquante visites à cet endroit. Pour moi, ça doit être autour de la trentaine. Chose certaine, nous avons déjà hâte en mai prochain où nous y retournerons avec le COQ. Maintenant, nous pensons à une autre île, l’Australie. Nous partons dans quelques jours. Je vous en parlerai au retour. Je sais que j’avais dit la même chose pour le Brésil, mais le temps manque pour tout faire. So many things to do in so little time… ce sera toujours le drame de nos vies.  

  


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