dimanche 13 mars 2011

1 000, 1 500, 2 000 coches... et après ?

Je terminais mon blog du 3 mars dernier avec une photo et un commentaire disant que j'avais atteint une étape importante de ma vie d'ornithologue amateur, en ce 3 mars 1993, après avoir observé ma 1 000ième espèce d'oiseaux. Pourquoi celle-ci est-elle particulièrement plus importante que la 46ième, la 112ième, la 448ième, la 602ième ou la 998ième ? Je sais que le tout a l'air futile, voire même enfantin. Dans le monde des observateurs d'oiseaux, il y a autant de façons de considérer cette passion qu'il y a de personnes qui s'adonnent à cette activité. Et AUCUNE façon n'est meilleure qu'une autre. Tout ce qui compte, c'est que chacun y trouve du plaisir et du contentement. Je sais que j'appartiens à cette espèce qu'on appelle dans le milieu ornithologique, un peu péjorativement il faut l'avouer, un "cocheux". Vous savez ce genre d'énergumène pour qui seul le nombre semble important. Oui, je suis un "cocheux", un collectionneur d'espèces, mais je suis loin d'être insensible à la beauté de chaque oiseau qui se présente devant mes jumelles. Chaque fois que j'observe un merle, un carouge, un cardinal ou un chardonneret, je retrouve l'âme du jeune garçon de 12 ans qui les observait jadis, il y a 48 ans. Et je veux toujours en découvrir davantage sur chacune de ces espèces. Je ne pourrais pas vivre dans un monde sans oiseau. C'est ce que je me disais d'ailleurs, il y a à peine une heure alors que je marchais avec Anne au Domaine de Maizerets, ici à Québec.


Peinture de ma 1 000ième espèce à vie, le Tangara loriot / Black-and-yellow Tanager,  faite par ma fille adorée, Anne-Marie, alors qu'elle n'était âgée que de 12 ans.

Pourquoi l'étape de la 1 000ième espèce était-elle si importante pour moi ? Il faut remonter à mes débuts en ornithologie pour en comprendre la teneur. En fait, c'est au cours de ma première excursion avec le Club des Ornithologues de Québec (COQ) que le tout prend forme. Nous sommes le samedi 25 avril 1970. Gabriel Allaire (qui d'autre ?) m'amène vivre ma première excursion organisée par un club d'ornithologie et ça se passe à Cap Rouge, près du campus Notre-Dame-de-Foy, sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent et à 30 kilomètres à l'ouest de la ville de Québec. Ça fait drôle d'être parmi un groupe de personnes qui sont toutes réunies avec la même idée en tête, soit trouver et identifier des oiseaux. Moi qui suis habitué à faire de l'observation seul, loin en campagne. Ici, il y a plusieurs passionnés équipés d'une paire de jumelles performante et même, pour certains plus nantis, d'un télescope pour observer encore plus les détails du plumage. Je me sens plutôt timide parmi tous ces gens. Je mets en application la loi naturelle qui veut que si l'on a deux oreilles et une seule bouche, c'est qu'on doit écouter deux fois plus qu'on ne doit parler.

Je ne me souviens plus si c'est lui qui est le guide attitré par le COQ ou s'il agit comme simple participant, mais je suis très impressionné par le Frère Gérard Harvey, un frère mariste qui enseigne sur le campus. À partir de 1950, il consacre une grande partie de ses temps libres à l'ornithologie et il devient membre fondateur du COQ en 1955. Comme Gabriel le connaît, nous le côtoyons souvent pendant cette excursion. Je suis admiratif devant le fait qu'il connaît bien les oiseaux, leurs chants et leurs comportements. Même qu'à un moment donné, il perçoit le mouvement d'un oiseau de bonne taille qui décolle du sol, exécute un court vol plané et se laisse tomber un peu plus loin. Il nous dit alors que ça lui fait beaucoup penser aux agissements du Hibou des marais. Je suis très impressionné, moi qui adore les strigidés et qui n'ai pas encore eu la chance d'observer cette espèce. Nous ratissons les lieux du mieux que nous le pouvons, car le terrain est très accidenté et il y a énormément de branchages, ce qui rend la tâche difficile, voire impossible. Finalement, nous ne retrouvons pas le rapace. Mais je suis quand même très heureux d'ajouter trois espèces à ma liste à vie, soient les:
  • 145ième espèce:  Pic à ventre roux, femelle
  • 146ième espèce:  Goéland arctique
  • 147ième espèce:  Buse à épaulettes
À l'heure du casse-croûte, le Frère Harvey nous entretient de son travail d'enseignant au Malawi (Afrique) pendant 15 ans et en Nouvelle-Calédonie pendant 3 ans. Il nous raconte avec excitement ses aventures en sol étranger, mais il déplore le fait qu'il manque des guides de terrain aussi bien faits que notre Peterson. Oui, pour l'Afrique, il existe un livre aussi épais qu'un annuaire téléphonique, mais ce ne sont pas toutes les espèces qui y sont illustrées. Il fait l'analogie avec l'oeuvre colossale du Frère Marie-Victorin où ce ne sont pas nécessairement toutes les plantes qui sont dessinées. Si on veut vraiment espérer identifier une espèce d'oiseau, il faut prendre des notes complètes et précises sur le terrain afin de les comparer avec les informations contenues dans le livre.

Malgré sa rigueur, bien des espèces lui ont échappé. Vient alors la question qui me brûle les lèvres: "Combien avez-vous vu d'espèces d'oiseaux jusqu'à présent ?". "Ah, j'ai dépassé le cap des 1 000 espèces" me répond-il sans hésitation. Et voilà, sa réponse frappe tellement mon imaginaire. Comment peut-on voir 1 000 espèces d'oiseaux différentes ? Ça fait 6 ans que j'observe les oiseaux et je suis rendu à 147 espèces, combien ça va me prendre d'années pour me rendre à 1 000 ? Et bien aujourd'hui je sais que ce n'est que 23 ans plus tard que j'atteindrai cette étape. Le souvenir du Frère Harvey m'a suivi et m'a motivé pendant toutes ces années. Je ne l'ai jamais revu suite à cette excursion. Dans une biographie, j'ai appris que, dans ses randonnées sur les cinq continents, il a pu identifier plus de 2 600 espèces d'oiseaux. J'aurais bien aimé le rencontrer et lui dire combien la réponse qu'il m'a donnée un jour a pu transformer ma vie.

Le Frère Gérard Harvey lors du lancement d'une autobiographie en 2009. Il s'agissait du troisième volume de "L'homme aux milles visages".

Aujourd'hui, je continue ma quête sur la même lancée initiale et j'en suis à 3 356 espèces différentes. Entre le 15 décembre 2009 et le 14 décembre 2010, j'ai observé 1 317 espèces. Cela m'a pris 29 années pour observer mes 1 000 premières espèces et j'en vois maintenant plus en une seule année. Serais-je malheureux si, pendant toute une année, je n'ajoutais pas une nouvelle espèce à ma liste ? Non, pas du tout, à condition bien sûr d'avoir pu observer les oiseaux à mon goût (i.e. le plus souvent possible). Il y a tellement de choses à apprendre sur une seule espèce d'oiseaux, peu importe laquelle.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Salut Laval!
Je suis en train de lire ''Kingbird Highway'' de Kenn Kauffmann, l'histoire de son ''big year'' qu'il a fait en 1973. Ton histoire me fait penser à ce livre. C'est tout aussi bien écrit. De mon côté, j'en suis rendu à 501 espèces. J'ai vécu les mêmes émotions dernièrement avec mon 500ème oiseau, le Microbate à long bec (non, mais quel nom!), et avec le 501ème, le Grand Ibajau.
Bon printemps,
Sylvie Robert

Laval Roy a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Laval Roy a dit…

Salut Sylvie,

Merci pour ton commentaire. Moi, j'ai lu "To see every bird on earth. A Father, a Son, and a Lifelong Obsession." de Dan Koeppel. Hudson Street Press, 2005. Dan raconte la vie de son père, Richard Koeppel, qui a passé une grande partie de sa vie à parcourir la planète à la recherche de la nouvelle espèce. Ce qui est intéressant, c'est qu'il parle aussi des autres grands listeurs comme Phoebe Snetzinger, Joel Abramson, Peter Kaestner... J'en ferai peut-être le sujet d'un prochain blogue.
Félicitations pour ta 500ième. C'est une belle étape et je suis certain que chacune des prochaines espèces que tu ajouteras t'apportera beaucoup de satisfaction. La réussite d'un voyage ne tient pas que dans sa finalité, mais plutôt dans tous les petits bonheurs glanés çi et là en cours de route.
Je te souhaite beaucoup d'oiseaux sur TA route.

laval