samedi 25 juin 2022

Une autre façon de considérer la course à l’oiseau rare

 

Les oiseaux, comme bien d'autres êtres vivants, adoptent des niches écologiques bien spécifiques afin d'assurer la pérennité de leurs espèces respectives. Par exemple, je n'ai jamais observé en pleine forêt des espèces inféodées à des milieux ouverts telles la Sturnelle des prés, la Maubèche des champs ou le Goglu des prés. Ceci reste vrai pour l'inverse, soient une Grive des bois ou un Tangara écarlate nichant dans un arbre ou un arbuste en plein champs. Si c'est vrai pour les habitats, c'est également vrai pour les aires de distribution. La plupart des espèces ne dépassent pas certaines limites géographiques à cause des conditions climatiques, de la géomorphologie du terrain, des habitats non propices à leur survie ou de la compétition trop vive qu'elles subiraient dans d'autres secteurs.

Au niveau régional, des espèces bien présentes dans la partie la plus peuplée du Québec méridional voient leurs effectifs fondre à mesure que l'on se dirige vers le nord ou vers l'est de la province. Le Viréo mélodieux, à la robe plutôt sobre, possède un chant qu'il ne se gêne pas de répéter sans cesse, à la façon des autres membres de la famille. C'est une phrase mélodique, bégayée superbement, émise sur une tonalité qui peut faire penser à celle du doux gazouillis d’un roselin. Son chant anime et enjolive nos forêts québécoises, mais pas toutes. Cette espèce privilégie des régions où l'on trouve une mosaïque de forêts feuillues et mixtes, d’espaces ouverts près des plans d’eau, ce qui offrent de nombreux milieux propices à la nidification de l'espèce. Les travaux des deux Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec, effectués entre les années 1984-89 et 2010-14, ont permis de confirmer ces informations. Et ces faits ressortent encore à partir des données amassées durant les trois premières années du deuxième Atlas qui a débuté en 2010 et qui devrait se terminer en 2015. Notre vedette donne bien peu de représentations dans l'est du Québec, ne se présentant tout simplement pas sur la rive sud à partir de Sainte-Anne-des-Monts vers l'est, et sur la rive nord à partir de Charlevoix vers l'est. La région du Lac-Saint-Jean n'est pas sur le circuit non plus.


Mais ce viréo n'est pas le seul à jouer à la vedette. Une autre espèce abondante dans la région la plus peuplée du Québec méridional possède une aire de distribution similaire et même un peu plus restreinte que celle du viréo. Elle fréquente les forêts de feuillus de même que les boisés dans les parcs et elle est une assidue aux mangeoires des résidences que ce soit à la ville ou à la campagne. Sur le terrain, elle se reconnaît facilement aux notes monotones, répétitives et nasillardes qu'elle émet. Elle joue de souplesse acrobatique avec les mésanges et elle s'acoquine bien souvent avec elles en hiver. Et oui, vous l'avez reconnue, la Sittelle à poitrine blanche.


Voici donc une autre espèce qui anime nos forêts et elle le fait toute l'année. Malheureusement, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, entourée comme elle est de forêts de conifères à perte de vue, n'a pas la chance d'accueillir cette espèce. C'est sa cousine, la diminutive Sittelle à poitrine rousse qui prend la relève. Pour les ornithologues de cette région de pays, il s'agit d'une rareté digne de mention. Parlez-en à Claudette Cormier et à Germain Savard de Saint-Fulgence où la Sittelle à poitrine blanche est devenue le 2 mai 20?? la 224ième espèce observée par le couple à partir des limites de leur prolifique terrain. Ils occupent cette maison depuis le 3 août 2003 et, dès la première année, ils avaient contacté 178 espèces. Ce couple est très impliqué dans les inventaires aviaires dans leur région et ils sont bien placés pour apprécier toute la valeur de cette observation.

Au niveau provincial, la rareté peut provenir des quatre points cardinaux. Plus souvent qu’autrement, il s’agit d’espèces égarées originaires de l’est, de l’ouest ou du nord d’autres provinces canadiennes, ainsi que de l’est, de l’ouest ou du sud des États-Unis. Des découvertes comme celle-là font courir les ornithologues de toute provenance et je les comprends très bien. J'avoue même avoir été du nombre pendant plusieurs années. J'en ai fait des allers-retours nécessitant neuf heures de conduite automobile pour me rendre à destination et autant pour en revenir. Tout ceci pour passer environ une heure ou deux sur le site de l'observation.

La dernière espèce à m'avoir fait disjoncter est le Tyran gris / Gray Kingbird qui avait été découvert aux alentours du 6 novembre 2006. C'était une première pour le Québec. Il avait été repéré à L'Anse-à-Beaufils, petit village situé en Gaspésie et à seulement dix kilomètres à l'ouest de Percé. En fait, je m'y suis rendu onze jours plus tard, soit le 17 novembre 2006. À partir de la maison, Anne et moi avions 747 kilomètres à parcourir et le temps de conduite estimé était de 9 heures. Suivant la procédure coutumière lors d'un déplacement de cette importance, nous avons quitté Québec tôt dans la nuit pour arriver vers les 10h00-10h30. Ce que nous avons réalisé sans trop de problème. Heureusement pour nous, nous avons rencontré à destination Pierre Poulin, l'un des meilleurs observateurs de la Gaspésie. Il nous a été d’une grande aide pour trouver le tyran. Il était accompagné de Ginette Roy. 

 

 

Ce Tyran gris était une première pour le Québec. Prise le 17 novembre 2006 à l'Anse-à-Beaufils, Percé. Photo prise en digiscopie.



Nous étions ravis. Nous avons quitté L'Anse-à-Beaufils vers 12h00 pour le retour à la maison. Vers 21h00, nous étions assis dans le salon à Sillery. De retour au bureau le lundi matin suivant, mes collègues me demandent ce que j'ai fait en fin de semaine. Je leur raconte notre périple et l'un d'eux me demande le plus naturellement du monde ce que cet oiseau faisait là, à des milliers de kilomètres au nord de son aire de distribution normale.

Je lui explique alors que les migrations des oiseaux peuvent se faire sur de longue distance selon l'espèce et que des situations hors de leur contrôle peuvent alors survenir. Les oiseaux peuvent se faire déporter sur de longues distances par un ouragan et aboutir à des endroits très inattendus. Il peut arriver aussi qu'un oiseau soit désorienté pour une raison ou pour un autre et qu'il se dirige vers le nord alors qu'il devrait aller vers le sud. Et mon compagnon de travail de commenter le plus sérieusement du monde "Comme ça tu es en train de me dire que tu as parcouru un millage de fou pour aller observer le plus mal pris, le plus inadapté, en fin de compte, le Ti-coune des oiseaux de son espèce." Je l'ai ri pas à peu près. Ce que j'ai aimé de cette analyse vite faite, c'est que ça ne se voulait pas méprisant, c'était juste bien envoyé.

Il y a plusieurs façons de pratiquer l'ornithologie et je respecte toutes ces façons, en autant qu'elles ne me briment pas dans ma liberté de la pratiquer comme je désire le faire moi-même. De très bons observateurs vont mettre tous leurs efforts pour explorer et documenter l'environnement immédiat où ils vivent. D'autres vont se dédier à la quête du plus grand nombre d'espèces observées au Québec. Pour d'autres, le terrain de jeu sera le monde. Et pour certains, il n'existera jamais de liste. Quelle est la différence ? Dans mon esprit, il n'y en a pas. Le dénominateur commun est la passion qui anime tous ces gens. Je n'ai pas toujours pensé comme ça. J'ai connu une période un peu pédante où je croyais tout-savoir-et-tout-bien-faire, où la façon de pratiquer l'ornithologie des autres me semblait inappropriée. 

Et, un jour, un ami m'a parlé d'un certain Ti-coune... oui, je vous l'assure, je l'ai bien ri.

 

 

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