lundi 21 septembre 2015

Ornithologue et photographe.



J'écris ce billet parce que je me pose des questions. De très sérieuses questions. Des questions qui soulèvent annuellement des frictions entre les observateurs d'oiseaux et les photographes qui se disent "de la nature". Des véritables photographes de la nature, il y en a c'est certain. Des véritables observateurs d'oiseau, il y en a c'est certain. Les uns comme les autres sont des personnes en mesure d'apprécier la biodiversité dans la nature. Ils investissent du temps dans la connaissance des comportement et des habitats où évoluent les sujets qu'ils désirent observer ou immortaliser sous forme de pixels. Juste à leur parler, juste à voir l'étincelle dans leurs yeux, nous savons qu'ils sont des vrais. Ils peuvent vous entretenir de leur passion pendant des heures. Pour eux, l'idée d'investir quelques heures à attendre l'animal, à le voir évoluer dans son habitat de façon naturelle (sans provoquer de stress), est la seule voie à prendre. C'est le prix à payer pour réussir l'instantané qui illustrera une fraction de seconde dans la vie privée de l'animal. Ceci illustre tout le respect entre le photographe et son sujet ou celui de l'ornithologue envers l'oiseau qu'il désire connaître un peu plus.



Nous sommes bien loin de ce que les ornithologues à la recherche de limicoles vivent présentement. Nous savons tous que la meilleure heure pour observer les oiseaux de rivages se situe à environ deux heures avant la marée haute. À la faveur de la marée montante, l'eau inonde peu à peu la zone intertidale et les oiseaux n'ont pas d'autres choix que de s'approcher des observateurs qui se tiendraient en retrait, en bordure du rivage. Il est très important pour les oiseaux en migration de profiter pleinement des sources de nourriture qui lui sont offertes. Quand nous les voyons se nourrir goulûment, ce n'est pas par gourmandise, mais bien parce qu'ils doivent emmagasiner le plus de calories possibles pour assurer la suite de leur migration vers le sud. De là, l'importance de leur laisser toute la place. Les ornithologues munis de télescopes et de jumelles ne ressentent pas le besoin de s'approcher inutilement des oiseaux. Les photographes au fait du comportement des limicoles savent aussi qu'il suffit de les attendre patiemment. Ils seront bien récompensés lorsque les oiseaux seront presque à leurs pieds.



Mais qu'en est-il de ceux qui courent après le trophée ?  La photo parfaite, celle dont la vue déclenchera des WOWs et des OHs ou l'observation parfaite, celle dont le récit déclenchera des WOWs et des OHs. Laquelle de ces situations est la meilleure. Aucune si la réalisation n'est faite en tout RESPECT du sujet de notre quête.


Au lieu de nous dénigrer les uns les autres, nous devrions plutôt réaliser que nous sommes dans le fond tous pareils. Nous sommes des collectionneurs avides de tout observer, jamais assouvis parce qu'il y a tant à découvrir et à assimiler. Comme en nature, la cohabitation devrait se faire automatiquement, en toute convivialité.  Mais, s'il vous plaît, les photographes, arrêtez de vous asseoir en plein milieu de la rivière ou de la zone qui sera bientôt inondée par la marée montante dans le but de réaliser une photo plus près de l'oiseau. Vous pourriez très bien obtenir le même résultat en attendant patiemment sur le rivage. Et, SVP, si vous désirez devenir des photographes "de la nature", envisagez donc la nécessité de vous procurer l'équipement qui vous permettra d'accéder à ce statut. Trop souvent, j'ai vu des photographes s'approcher trop près du sujet parce que mal équipés. Les Oies des neiges sont souvent victimes de ces photographes du dimanche. Et j'ai déjà expérimenté la même chose avec des ornithologues pour des espèces dites rares.


En cette fin d'été, Anne et moi avons parcouru plusieurs endroits propices à accueillir des limicoles et nous en avons vu de toutes les couleurs. Mais la dernière expérience vécue à Saint-Denis-de-la-Bouteillerie a déclenché l'écriture de ce billet. Nous arrivons à la bonne heure de marée. Trois photographes sont installés près du niveau où l'eau est rendue. Assis entre les rochers, ils attendent l'approche des oiseaux. Une bande de Pluviers argentés, accompagnés de Bécasseaux maubèches, ne cessent de passer en vol devant eux. À cet instant, cela aurait dû allumer une petite lumière. "Pourquoi les oiseaux passent-ils continuellement devant nous sans s'arrêter ?". "Peut-être parce que nous sommes là" aurait très bien pu être une réponse envisageable. Mais, non, la sonnerie n'a pas retenti. Pendant ce temps, un collégien, dont la thèse est le recensement des limicoles en migration dans le secteur, se tient près de nous en retrait. Tout comme nous, il sait très bien que son recensement vient d'être grandement perturbé par la présence de ces photographes. Pour nous, il est facile de nous diriger ailleurs en espérant de meilleures conditions, mais pour le recenseur, c'est "just too bad".


En fin de semaine dernière, les 18-19-20 septembre 2015, Anne et moi avons réservé le chalet Mérédith sur l'Île-aux-Basques. Pour nous, c'est un rendez-vous annuel qui nous permet l'observation des limicoles et des passereaux en migration. La meilleure journée de limicoles s'est présentée le samedi 19 septembre et j'aimerais vous faire expérimenter ce qu'est une approche des limicoles en tout respect.


Voici une première observation faite à environ 30 mètres


Des Bécasseaux sanderling et des Bécasseaux variables se nourrissent dans la zone intertidale à la faveur d'une marée montante. Ils sont à environ 30 mètres de distance.

À environ 20 mètres de distance, ils apparaissent déjà beaucoup mieux sur la photo.

Connaissant la limite de la montée de la marée, je m'installe sur une roche, bien assis et j'attends tout en n'arrêtant pas de multiplier les prises de vue. Avec les limicoles, on ne sait jamais quand ils vont décider de s'éloigner. Le passage imprévisible d'un faucon est toujours à considérer. Il se passe un bon 20 minutes.


Et voilà qu'un Bécasseau variable se rapproche à environ 5 mètres de moi...

 
Et la photo agrandie donne ce résultat.


Oui, j'aurais peut-être pu réussir encore mieux. J'aurais peut-être pu m'en approcher à 3 mètres, mais j'aurais aussi pu les stresser et provoquer leur fuite et l'arrêt de nourrissage.


Ce billet se veut un appel au respect de la nature. Et c'est un appel très sérieux. Si nous continuons à envahir les zones de nourrissage des oiseaux migrateurs, nous ne ferons que contribuer à la baisse des populations. Depuis les années 1970, une diminution moyenne de 55% a été enregistrée dans les différentes familles d'oiseaux. Ceci est très préoccupant et nous ne devrions pas, nous les ornithologues et les photographes, faire partie de l'un des éléments contribuant à ces baisses.


@ bientôt.



5 commentaires:

Noushka a dit…

AHA!
Tu me coupes l'herbe sous le pied, j'étais en train d'envisager un article très similaire au tien.
Sans tous le dénigrer, certains photographes en effet ne pensent qu'à LA PHOTO qui va déclencher des AAAHH. C'est valable pour toute la faune dans son ensemble, ici je pense aux cerfs des Pyrénées qui ont plus de moins en moins de places de brame parce que les touristes munis de compacts arrivent en rouge ou en blanc en claquant les portières et en lâchant leurs chiens qui courent partout en aboyant et qu'ils sont tirés pour les trophées PENDANT le brame... Tu m'as comprise!
Alors bien sûr pourquoi se poser des questions quand des oiseaux passent repassent devant un c... parce qu'il ne pige pas qu'il les dérange pour s'alimenter, ce qui est crucial pour leurs déplacements.
Je ne vais pas te répéter ici mais je te soutiens à 200%.
Etre photographe animalier n'est pas qu'un plaisir égoïste, il comporte au moins un devoir essentiel: le RESPECT de la nature et de la faune, ce qui implique une bonne connaissance des habitudes de chaque espèce auquel on s'intéresse en amont, AVANT de vouloir faire les clichés.
Merci pour ton coup de gueule que je trouve très... "mild"!!
Bonne continuation Laval :)

Loulouer a dit…

C'est exactement ce que je pense. Tout est dit avec cet excellent billet. Merci
Lyse Roberge

Anonyme a dit…

Bonjour Laval... Je t'avoue que je reste songeuse suite à la lecture de ton blogue.
Je suis une photographe mais avant tout, une passionnée des oiseaux. Il me semble que je ne fais rien qui pourrait déranger les oiseaux. Mais si j'arrive, comme tu dis, une heure avant la marée haute et que je m'assoie sur une roche sur la plage et que j'attend sans bouger , avec la marée, les oiseaux viennent tout autour de moi. Ils continuent de se nourrir et moi je bouge à peine le doigt pour peser sur le déclencheur.
J'ai sur mon site une photo du Bécassin à long bec de Ste-Martine, il est arrivé en vol à quelques pieds devant moi. Il était encore là quand je suis partie. Ces moments sont magiques et en aucun temps, je n'ai fait un geste pour le faire décoller. Nous n'avons pas tous les moyens financiers de s'acheter une 600 mm et nous pouvons être respectueux des oiseaux avec une lentille plus petite.

J'ai résilié mon abonnement à Ornitho QC parce que j'en avais assez de l'animosité des observateurs contre les photographes. Pour la plupart d'entre nous, nous aimons les oiseaux tout comme vous. Ce ne sont que quelques photographes qui ne pensent qu'à leurs photos et c'est toute la communauté photographique qui en vivent les conséquences.

Et, je n'ai jamais osé écrire ça ailleurs mais qui crois-tu vend leurs photos à la fameuse revue Québec Oiseaux? Et cette revue est très aimée des observateurs comme des photographes.

La photo c'est une passion et un art, l'ornithologie c'est une passion et l'objet de ces passions sont les oiseaux. Et nous, les humains, on ne réussit même pas à se communiquer simplement et poliment pour se demander de se retirer en douce ou tout simplement pour s'entraider.

Je suis allée faire de la photo au Parc Presqu'Île en Ontario. Des observateurs m'ont montré où était le Pluvier bronzé, et m'ont même souhaité bonne chance quand je suis partie pour aller le photographier. Aucun photographe n'était trop proche des oiseaux. Tout le monde se respectait et surtout partageait ensemble la passion des oiseaux.

Pourquoi ça semble impossible ça sur les sites au Québec.

Il me semble que de simplement avoir demandé poliment aux photographes de se retirer doucement auraient peut-être contribué à ce que la personne fasse ses inventaires.

Ce qui se passe, c'est qu'aussitôt qu'un photographe arrive sur un site avec une lentille, les observateurs se mettent sur la défensive et un monsieur qui te parlait joyeusement la veille lors d'une conférence, te regarde avec animosité et ne répond même pas à ton bonjour. Je n'exagère pas dutout. Nous en sommes vraiment rendus là et toutes les communications sur ce sujet tendent à éloigner encore plus les uns des autres.

Claudette Archambault
Boucherville

Laval Roy a dit…

Bonjour Claudette,

Le but de ce billet était justement de faire réfléchir. Je te suis à 100% sur ce que tu écris et je ressens la même chose que toi. Je suis ornithologue et amoureux de la nature avant d'être photographe. Et quand je prends des photos, c'est toujours pour rendre hommage à la beauté de la nature et des êtres qui y évoluent. Peut-être ai-je mal écrit mon billet, mais le but n'était pas de dénigrer plus les photographes que les ornithologues. Les deux peuvent aider ou nuire aux oiseaux et aux animaux selon le comportement qu'ils adoptent envers eux.

Et je suis d'accord pour dire que les frictions entre ornithologues et photographes résultent plus d'une méconnaissance du but que les uns et les autres poursuivent. Il est le même. Arrêtons donc de montrer de l'intolérance entre ceux qui ne pensent ou n'agissent pas comme nous. C'est le mal du siècle. Trop de gens sont intolérants et irrespectueux. Intolérants envers les autres et irrespectueux envers leur environnement.

En suggérant aux photographes, tout comme aux ornithologues, de s'équiper adéquatement à ce qu'ils veulent faire, je ne voulais non plus dénigrer personne. J'ai fait de la photo à partir de mauvais équipement et j'ai eu les résultats que cela méritait. J'ai fait de l'ornitho avec du mauvais équipement et j'ai eu les résultats que cela méritait. Quand je vois un photographe muni d'une lentille 135 mm, qui est super pour un gros plan d'une personne, essayer de prendre une photo potable d'un hibou perché, je sais très bien qu'il finira par décider de s'approcher tellement près qu'il va le faire s'envoler. Personnellement, tu le sais, je n'ai pas une lentille 500, 600 ou 1000 mm. Je n'ai qu'une 300 mm avec un multiplicateur 1.4, mais je sais que c'est le minimum pour espérer réussir de bonnes photos. Pour un ornithologue désireux d'observer mieux les oiseaux, une jumelle 10X42 est de beaucoup préférable à une 7X35. Et une lunette d'approche (télescope) devient indispensable pour Tout dépend de ce qu'on veut faire et c'est très bien ainsi. Je ne veux dénigrer personne. On est rendu dans la vie, comme dans notre passion, à une étape où tout est correct. Suffit juste de penser à respecter les sujets de nos passions.

Merci encore Claudette pour tes commentaires et je te souhaite encore de belles occasions pour saisir des moments dans la vie de nos beaux oiseaux.

Amicalement.

Unknown a dit…

En complet accord avec ce que vous avez écrit.
JM BAUDRY