mardi 25 août 2015

En attendant le Hibou des marais.



C'est le 13 août 1997 que j'observe pour la dernière fois au Québec le Hibou des marais / Asio flameus flameus / Short-eared Owl. Je suis en compagnie d'Alexandre Renaudier, un professeur français en visite au Québec et qui m'a été introduit par mon bon ami Arne Rasmussen. Nous nous trouvons alors tous les deux à l'Île-aux-Grues, une île de taille moyenne flottant au large de Montmagny et située à 70 kilomètres à l'est de la ville de Québec. Un lieu facile d'accès puisqu'un traversier assure gratuitement la navette entre la rive sud du fleuve Saint-Laurent et l'île. Le seul hic est que ce bateau n'est fonctionnel qu'à marée haute et il faut donc en tenir compte lorsque nous désirons nous y rendre. Cette contingence réduit les traversées à seulement 3 ou 4 par jour. Avec Alexandre, j'ai la chance d'observer deux hiboux, un adulte et un immature, sur le Chemin de la Batture, près d'une grande croix blanche que les visiteurs de l'île connaissent bien.


En fait, c'est pratiquement impossible de se perdre à l'Île-aux-Grues. Il y a une route principale (Chemin du Roi) que nous rejoignons à environ 1.5 kilomètres du quai (par la Route du Quai). Comme nous arrivons à une intersection en T, deux choix se présentent. Première possibilité, en tournant à droite, nous passons dans le seul village de l'île et nous pouvons ensuite rejoindre le Chemin de la Batture (du côté gauche de la route) ou continuer tout droit sur environ 800 mètres pour aboutir à un cul-de-sac où un chemin pédestre part en bordure du fleuve. Deuxième possibilité, en tournant à gauche sur le Chemin du Roi, nous rencontrons un embranchement après environ 600 mètres. Le chemin de droite (Chemin de la Basse Ville) nous mène à la maison des Dunes et à son fameux bateau ivre (bateau échoué de bonnes dimensions et servant de restaurant et de salle d'exposition) alors que celui de gauche (Chemin de la Haute Ville) se termine au parc Jean-Paul Riopelle, d'où part également un sentier pédestre, mais en milieu forestier celui-ci. Ce parc, inauguré depuis quelques années seulement, a été nommé en l'honneur du célèbre peintre québécois qui a résidé sur l'île de façon permanente jusqu'à sa mort en mars 2002. Cette partie ouest de l'île se nomme La Cédrière. Une autre route (Chemin de la Volière) se prend près de l'église, du côté sud de la route principale. Elle conduit notamment à une roulotte où un professionnel de la santé assure les premiers soins aux habitants de l'île. Un terrain d'atterrissage pour petits avions s'étend pas très loin et il assure aux habitants autant qu'aux visiteurs un accès à des soins plus élaborés en cas d'extrême urgence. Ce terrain d'atterrissage sert tout l'hiver lors de l'arrêt de service du traversier en raison des glaces sur le fleuve. C'est un avion qui assure alors l'approvisionnement des commerces de l'île et les va-et-vient des personnes.


Juste en face de cette roulotte, se dresse sur une dizaine de mètres une tour récente où une vue imprenable des environs nous récompense de l'effort.





Le Chemin de la Volière mène à une forêt, mais l'état de la route, lorsqu'on pénètre dans cet habitat, décourage vivement tout conducteur de véhicule non muni de quatre roues motrices d'aller plus avant.


Et voilà le tour de l'île fait en moins de deux heures lorsqu'on est en véhicule moteur. Comme il y a peu de circulation, c'est l'endroit idéal pour traverser avec sa bicyclette et profiter d'un cadre paisible et enchanteur. Bon, assez pour le tourisme et revenons à nos hiboux.



Et voilà que 18 ans plus tard, le 1er Août 2015, Anne et moi décidons d'aller passer une nuit sur l'île dans l'espoir de trouver le fameux Hibou des marais qui n'est pas encore sur notre liste commune commencée en 2005. Dès 8h00 du matin, nous prenons la première traversée de la journée. Comme cette espèce peut aussi bien chasser de jour que de nuit, nous espérons l'observer de clarté. Mais nous nous accordons une chance additionnelle en passant la nuit à cet endroit. Nous réservons une nuitée à la maison des Dunes. La journée se passe de façon très agréable. Nous assistons à une grosse vague migratoire d'hirondelles. Avec ses longues étendues humides et herbeuses, l'endroit est un lieu idyllique pour ces insectivores qui se gavent en vol de ces calories indispensables à la poursuite de leur périple migratoire. Tout en demeurant très conservateurs, nous estimons avoir vu passer devant nous 400 Hirondelles bicolores, 800 Hirondelles de rivage et 75 Hirondelles rustiques. Un Faucon émerillon s'amuse à semer l'épouvante en passant régulièrement dans les environs. Nous prenons plusieurs heures à parcourir lentement tous les chemins décrits plus haut. Nous sommes surpris aussi de la présence de 8 individus différents de Pygargues à tête blanche: 2 adultes et 6 immatures de différents âges.


Nous terminons notre excursion diurne avec 45 espèces, mais sans avoir aperçu la moindre plume de notre très désiré Hibou des marais. Le repas du soir pris très tôt, c'est aux environs de 18h00 que  nous retournons sur le Chemin de la Batture, près de la croix blanche. Je crois mordicus à cet endroit et je suis certain que c'est là que nous allons le trouver.






Le Chemin de la Batture est sans contredit le chemin le plus long de l'île. D'après la carte obtenue sur Google, la longueur totale devrait avoisiner les 14 kilomètres. Cependant, nous avons mesuré avec l'odomètre de l'automobile 5.3 kilomètres entre le début du chemin, à l'intersection avec le Chemin du Roi, et la barrière fermée qui nous empêche de poursuivre notre route plus à l'est. C'est bizarrement à partir de la croix que nous commençons à entendre le très abondant Bruant de Nelson / Ammodramus nelsoni subvirgatus / Nelson's Sparrow. Son cri très particulier, faisant penser à une goutte d'eau tombant dans une casserole très chaude, nous permet de le localiser assez facilement, car il le fait lorsqu'il est perché et le plus souvent bien en vue.





Entre la croix et la barrière nous empêchant de continuer plus avant sur le Chemin de la Batture, soit sur une distance de 5.3 kilomètres, nous repérons au son 32 individus différents. Un rapide coup d'oeil à la jumelle nous permet même d'en voir facilement quelques uns. La région de la croix est également l'endroit idéal pour entendre les cliquetis réguliers du Râle jauneCoturnicops noveboracensis / Yellow Rail, mais nous n'en entendrons aucun lors de notre visite. Michel Robert, biologiste au Service canadien de la Faune et spécialiste du Râle jaune, m'a déjà confirmé que ce râle nicheur voyait le nombre de son cheptel grossir en août. Comme si tous les râles des deux côtes du Saint-Laurent se réunissaient sur l'île avant d'entreprendre la grande migration vers le sud. Et non, je n'ai pas de photos à vous fournir  ;-)  malgré que j'aie déjà eu la chance d'en observer un en vol au Cap Tourmente. Le miroir blanc ne laisse aucun doute sur son identité.


En attendant le Hibou des marais, nous passons près d'une heure en stationnaire près de la croix. Ceci me permet les photos suivantes.


Un coucher de soleil somptueux...



L'Angélique noire-pourprée / Angelica atropurpurea / Angelica est une grande plante vivace indigène et aromatique, qui se distingue des berces (le genre Heracleum) par sa tige glabre et non pubescente. Elle est très visible puisqu'elle se projette au-dessus des herbes avoisinantes.


Butome à ombelle / Butomus umbellatus / Flowering Rush




Alors qu'il fait presque noir, mon oeil perçoit un mouvement sur la route. En utilisant la jumelle d'approche, voilà que je reconnais une femelle Cerf de Virginie accompagnée d'un faon. Toujours exceptionnel comme observation. J'ai tout juste le temps de régler l'ISO de ma caméra afin de capter une image potable, mais, par manque de lumière et de vitesse d'obturation, l'élan de la femelle est impossible à prendre sans un certain floue. Par contre, le faon immobile apporte une certaine précision à l'image. Anne et moi avons été agréablement surpris de trouver ce cervidé dans un tel habitat.



Arrive ensuite un grand oiseau au vol lent et paisible. Il se dirige vers le soleil couchant comme s'il voulait profiter de la vue imprenable qu'il doit avoir de là-haut d'un si beau spectacle. Un Grand Héron / Ardea herodias herodias / Great Blue Heron glisse sur l'air éthérée de fin de journée pour aller rejoindre un dortoir à quelque part.


Il commence à faire sombre et le strigidé n'est pas encore en vue. Je décide d'aller lentement sur le Chemin de la Batture pendant qu'on y voit encore quelque chose. Nous nous rendons à la clôture. En revenant, un autre Cerf de Virginie se tient immobile le long de la route. J'arrête le véhicule et je ferme le moteur. Ma caméra est sur mes genoux, mais je n'ose faire le moindre geste pour ne pas effrayer l'animal. Nous sommes là à retenir notre souffle quand le cervidé s'approche et vient sentir l'avant de l'auto. Comme les fenêtres sont baissées, j'ai même l'impression qu'il va venir sentir d'un côté ou de l'autre. Un moment féérique. Après une couple de minutes, il se désintéresse de cet étrange machine de métal et il s'enfonce lentement dans les herbes hautes. Un moment magique.


Revenus à la croix, nous faisons demi-tour et retournons à la barrière. De retour à la croix, je propose  d'aller nous promener sur le Chemin du Roi. La pleine lune nous accompagne maintenant. Après 20 minutes, Anne me suggère de retourner sur le Chemin de la Batture pour une dernière fois. Il est près de 21h00. Pourquoi pas ! Nous nous rendons encore jusqu'à la barrière et c'est en revenant à la croix que nous observons le Hibou des marais debout au bord du chemin. Notre arrivée le fait s'envoler sur quelques mètres et il se repose encore sur le chemin avant de repartir en vol au-dessus des herbes. Il est 9h38 et nous pouvons enfin penser à aller nous reposer.



@ bientôt.





1 commentaire:

lejardindelucie a dit…

J'aime beaucoup ce récit : on y reconnait toutes difficultés et les connaissances à mettre en oeuvre pour rencontrer dans la nature ces visiteurs si particuliers que sont les oiseaux. L'attente et la recherche d'un sujet offre bien souvent des surprises que vous savez apprécier.Voir s'approcher des cerfs ou d'autres animaux est toujours source d'intense émotion!
Nous avons eu la chance de rencontrer un hiver des hiboux des marais(Asio flammeus) en Camargue.
C'était heureusement en plein jour car ce n'est pas une zone où on s'aventure la nuit sans se retrouver dans l'eau!
Chez nous , la fin de l'été est toujours marqué par le passage des guêpiers d'Europe au -dessus de nos têtes, c'est un moment plein de nostalgie quand on pense au long périple qu'ils entreprennent!