Cette question m’a encore été posée dernièrement et je me souviens qu'à l'époque de mes voyages organisés vers l'Amérique centrale, j'avais dû y répondre à quelques reprises. Après nos balades dans la forêt tropicale, où nous venions d'observer une bonne variété d'oiseaux plus colorés les uns que les autres, cette question était bien légitime. J'ai pensé dédier un billet à ce sujet. Je connais bien quelques bribes de la réponse, mais par
crainte d’être trop évasif ou superficiel, j’ai préféré consulter à
nouveau les ouvrages de Steven Hilty, auteur
prolifique des livres « A guide of
the Birds of Columbia » et « Birds of Tropical America ».
J’adore sa façon d’écrire si descriptive. On se croirait sur le terrain, à côté
de lui. Son écriture est imagée et fluide. Toujours est-il que,
aujourd’hui, je vais m’inspirer de lui
pour tenter de répondre à cette si belle et si intrigante question.
Quand on voit des publicités
sur les destinations au soleil, les mêmes éléments reviennent
continuellement : des plages au sable blanc bordées de palmiers, des
filles aux formes généreuses qui se camouflent très mal dans des bikinis
minuscules et un perroquet ou deux qui semblent faire partie du décors. Voir
les deux premiers éléments est assez facile en fin de compte, le deuxième se retrouvant
dans l’environnement du premier. Mais rares sont les vacanciers de plage qui
ont la chance d’observer beaucoup d’espèces d’oiseaux très colorées. Je me
rappellerai toujours cette fois où, alors que je me baignais dans la piscine de
l’Estrellamar, à Jaco Beach (Costa Rica), arrivent deux Québécoises qui, m’ayant vu précédemment avec mes jumelles au cou , me demandent : « Mais où sont donc les oiseaux qu’on
nous promettait dans les brochures ! ». Je les regarde avec un
petit sourire et je leur réponds : « Si ça vous intéresse de vous
joindre à nous, nous nous rendons à l’embouchure de la rivière Tarcoles dans
une heure et vous verrez alors des oiseaux assez beaux merci ! ».
Même sous les tropiques, où les espèces sont si diversifiées, il n’est pas évident que l’observateur un peu
distrait en verra une tonne. Surtout sans l’aide de jumelles ou de lunette
d’approche.
La première vraie question à
se poser est d’abord celle-ci : les oiseaux vivant sous les tropiques
sont-ils vraiment plus colorés que ceux vivant sous les zones tempérées ?
Alors que nous sommes enclins à répondre tout de go dans l'affirmative, il faut bien considérer certains
facteurs. La biologiste Mary Wilson
et le peintre naturaliste Robert von
Neumann de l’Université de l’Illinois ont été les premiers à aborder
sérieusement cette problématique. Ils ont d’abord listé les espèces selon le
critère du plumage, les colorés et les ternes. Il en a résulté une plus grande
proportion d'oiseaux colorés que ce qui s'observe en Amérique du Nord et en Europe.
Ils ont aussi conclu que le manque de couleurs n’était pas associé à des
habitats particuliers et que des oiseaux colorés se retrouvaient autant en
milieux ouverts qu’en forêt.
Dans une analyse plus
détaillée de la variation des couleurs de plumage selon les différentes strates
en forêts soient le sol, le sous-bois, la strate inférieure, la strate médiane et la strate
supérieure des grands arbres, Stephen
Bailey, de l’Université de Californie à Berkeley, arrive à d’autres
conclusions. Il a noté qu’il y a plus d’oiseaux colorés sous les tropiques
parce qu’il y a plus d’espèces en présence. La proportion des oiseaux colorés
dans chaque région est semblable et les oiseaux aux couleurs ternes prédominent
partout. Les naturalistes qui ont essayé d’identifier les moucherolles du genre
Empidonax et les bruants d’Amérique du Nord ou les hordes de fourniers (furnariidé), de fourmiliers, de conophages (formicariidé) ou de moucherolles de tout acabit seront,
sans aucun doute, enclins à dire que les oiseaux au plumage terne dominent
partout.
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Conure de Vieillot / Maroon-bellied Parakeet |
Alors que la diversité de couleurs se retrouvent plus en élévation ou
chez des espèces fréquentant la strate supérieure (faîte) des arbres, les forêts
des basses-terres abritent aussi leur part d’oiseaux colorés et ce
sont ces oiseaux qui sont les plus susceptibles d’être observés par Monsieur
tout-le-monde. Quelques uns des oiseaux les plus colorés et les plus
fréquemment observés sont des oiseaux non-passereaux comme les perroquets, les
colibris, les trogons, les toucans, les barbus ou barbicans, les jacamars et
les momots. Comme les forêts tropicales sont vertes à l’année, il n’est pas
surprenant de rencontrer plusieurs individus arborant cette couleur, par souci
de mimétisme sans doute. Il faut avoir vu un groupe de perroquets ou de
perruches disparaître complètement alors qu’elles arrivent en vol et se perchent dans le
feuillage. Même le très coloré Quetzal resplendissant disparaît aussitôt qu’il
se perche sur une branche moussue.
Sous les latitudes tempérées,
on note une augmentation similaire, mais dans les tons de bruns et de gris.
Ceci semble être une conséquence directe de la plus grande abondance de ces
couleurs dans les habitats tempérés, spécialement lors des mois où le feuillage
est absent. Les habitats tropicaux ont eux aussi leur part d’oiseaux bruns et
gris, mais ces derniers sont concentrés soit dans les strates inférieures de la
forêt où le niveau de lumière est bas ou dans les forêts tropicales sèches, les
étendues herbeuses et les déserts.
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Grimpar des plateaux / Planalto Woodcreeper |
Les colibris des genres Glaucis, Threnetes et Phaethornis (tous des Ermites), sont des
habitants des strates inférieures des forêts tropicales et, contrairement à
leurs congénères qui exhibent leurs plumages rutilants aux faîtes des arbres,
ils portent des habits sobres de gris, de brun et de vert terne, dépourvus de
couleurs iridescentes. De cette façon, les Ermites attirent peu l’attention sur
eux. Les autres habitants des strates inférieures sont aussi très conservateurs
dans les couleurs qu’ils arborent. Les grimpars, les fourniers, les fourmiliers
et les troglodytes se confondent avec les feuilles sur ou près du sol, ou sur
les troncs. Occasionnellement, un éclair de couleur viendra égayer les
sous-bois, mais c’est toujours très éphémère. Les manakins viennent à
l’occasion éblouir les yeux de l’observateur. Mais ces petits volatiles,
toujours en mouvement, sont difficiles à localiser et donc, par le fait même,
difficiles à attraper. Les manakins les plus colorés font leurs pariades dans
des « leks » , genre d’arènes
où les mâles exhibitionnistes montrent à des femelles indifférentes (ou du
moins, font-elles semblant de l’être !) leur panoplie de talents de
danseurs accomplis en plus d’émettre des sons bizarroïdes, contenant sans nul
doute des messages non équivoques. Ces « leks » peuvent réunir deux ou trois individus, mais leur nombre peut atteindre des douzaines en certains cas. Plusieurs yeux qui
scrutent tout mouvement suspect sont alors mis à contribution pour prévenir le
groupe de l’arrivée toujours possible d’un prédateur.
Les niveaux inférieurs de la
forêt tropicale appartiennent donc aux oiseaux timides, affublés d’un plumage terne et cryptique. En
fait, certains fourmiliers ont tellement confiance dans leur habit de
camouflage qu’ils n’hésiteront pas à émettre leurs chants sifflés ou leurs
trilles alors qu’ils sont assis sur leurs nids. Plusieurs espèces d’oiseaux des
sous-bois sombres ont également les yeux rouges, des cercles orbitaux, des becs
et des pattes très colorés. Plusieurs fourmiliers ont les yeux entourés de
peau, dépourvus de plume, et de couleur
bleue ou blanche. Ce qui leur donne une allure masquée. On ne retrouve ces caractéristiques que très rarement sur les
oiseaux se retrouvant au nord du Mexique. On ne peut définir avec précision le rôle
de ces ornements , mais ils servent probablement de signaux bien
compréhensibles par les autres habitants de ces lieux ténébreux.
Pour observer les oiseaux vraiment
colorés, il faut les chercher dans la strate supérieure des grands arbres. Mais
ce qui nous surprend d’abord, c’est de voir que, pour camoufler les oiseaux à notre vue, les
couleurs n’ont pas besoin d’être ternes. Tous ceux qui ont tenté de trouver un
trogon, un quetzal ou un araçari perché à 30 mètres et plus de hauteur, savent très
bien comment des couleurs éclatantes peuvent contribuer à « briser »
la forme de l’oiseau. La faîte des arbres est un lieu de contrastes des lumières.
Alors que la pupille de l’œil s’ouvre pour laisser pénétrer plus de lumière,
nous perdons de l’acuité visuelle. De plus, nos rétines ne répondent pas
immédiatement au changement drastique d’intensité lumineuse quand nous passons
de la lumière vive à l’obscurité, de sorte que pour un moment, nos rétines
demeurent stimulées et elles nous font perdre l’oiseau. Ces variations extrêmes de
luminosité, quand l’oiseau quitte l’ombre pour la lumière vive et revient dans
l’ombre, font la vie dure aux prédateurs qui essaieraient de localiser leurs
proies avec précision.
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Ce Colibri rubis-émeraude semble bien terne, mais ... |
Bien que ce soit moins connu,
plusieurs oiseaux tropicaux, en plus des colibris, ont des plumages
iridescents. L’iridescence, qui est rendu possible non par la pigmentation mais
par la structure particulière des plumes, est responsable des reflets vert
bouteille des trogons, des reflets dorés et cuivrés des jacamars et des
myriades de couleurs sur certains tangaras. Les couleurs iridescentes ne sont
observables qu’à partir d’angles très restreints. En d’autres mots, l’observateur
doit être le plus possible au même niveau que la source de lumière afin de
profiter pleinement de l’effet.
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dès qu'il tourne la tête, de splendides couleurs apparaissent. |
Comme
conséquence de cette propriété, les oiseaux au plumage hautement iridescent
vont paraître noirs et seulement une petite partie de l’oiseau va laisser
échapper des rayons de couleurs. Nous n’avons qu’à penser au diamant qui ne
nous renvoie que la lumière qui frappe certaines parties de sa surface composée
de centaines de plans différents. Cette propriété cachera donc la vraie forme
de l’oiseau et servira à le soustraire de la vue d’un prédateur. Lors de la
pariade, l’iridescence permet d’envoyer un
message beaucoup plus direct et localisé que ne le ferait une coloration due à
la pigmentation.
Stephen Bailey
note que l’iridescence est bien adaptée aux grandes variations lumineuses dans
les forêts tropicales parce que l’ombre et
le feuillage épais réduisent les risques que la pariade pourraient
attirer un prédateur potentiel. Par contraste, plusieurs habitats des zones
tempérées sont plus ouverts, au moins selon les saisons, et la possibilité qu’un
reflet iridescent pourrait être capté de plus loin par un prédateur est
toujours plus présent. De plus, l’angle du soleil plus bas dans les zones
tempérées, spécialement en hiver, aurait pour effet d’accentuer l’iridescence,
ce qui rendrait l’oiseau encore plus vulnérable. Si les théories de Bailey s’avèrent exactes, les forêts
tropicales peuvent vraiment procurer un environnement plus sécuritaire pour l’usage
de couleurs iridescentes parce que la combinaison « milieux plus ouverts
et angles de rayons solaires plus bas » ne prévaut pas sous les tropiques. L’iridescence
disparaît presque complètement du plumage des colibris fréquentant les
sous-bois et les seules tangaras avec des plumages iridescents sont ceux qui
habitent les strates médianes et supérieures des forêts pluvieuses.
Plusieurs espèces de jacamars
vivent dans les zones de forêts en basses-terres et peuvent sembler constituer
des exceptions à première vue, mais ces oiseaux demeurent habituellement
perchés, sans bouger, pendant de longues périodes de temps et souvent à l’ombre.
Ce qui revient à dire que l’iridescence chez les oiseaux est associé à des
espèces qui sont relativement immunisées
contre la prédation, comme le sont les colibris, ou à des espèces qui habitent des
habitats où se côtoient la lumière vive et l’ombre. L’iridescence permet aux
oiseaux vivant dans ces habitats d’utiliser des couleurs très vives pour
envoyer des signaux sexuels ou sociaux alors que, simultanément, ils apparaissent
foncés et demeurent invisibles la plupart du temps pour les autres créatures .
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Quiscale bronzé / Common Grackle |
Un petit nombre d’espèces des
zones tempérées, tels les quiscales, les étourneaux et les hirondelles,
arborent des plumages iridescents. Ces oiseaux peuvent compenser l’attraction
apportée par leur plumage par le fait qu’ils se tiennent souvent en groupes et,
dans le cas des hirondelles, par la maîtrise de leur vol rapide. À l’exception
de quelques espèces sociales comme les manakins et les espèces acrobatiques et
difficiles-à-capturer que sont les jacamars, les oiseaux colorés se tiennent majoritairement
dans les strates supérieures des forêts pluvieuses. Quelques espèces, comme les
toucans et les aras, peuvent se permettre le port de couleurs éclatantes, en
partie à cause de leur grande taille qui limite le nombre de prédateurs
capables de les attaquer et de les tuer. Pour la vaste majorité des oiseaux,
cependant, ceci n’est pas vrai. Steven
Hilty suspecte que les oiseaux peuvent se tirer d’affaires malgré leurs
couleurs éclatantes à cause de leurs aptitudes à déceler les dangers de prédation
et à leur comportement en recherche de nourriture. Ils se tiennent toujours en « feeding flocks » , ces regroupements de dizaines d’espèces
différentes qui sont en maraude continuelle dans les strates médianes et
supérieures des forêts, en quête de proies à débusquer. Le nombre d’yeux qui
surveillent continuellement est un gage d’efficacité pour échapper aux
prédateurs embusqués. Les mâles et les femelles des oiseaux tropicaux résidents,
qu’ils soient colorés ou non, sont plus souvent similaires en apparence que le sont les
espèces des zones tempérées ou les espèces qui migrent entre les zones tempérées et
tropicales. Ceci est encore plus
observable quand les espèces migratrices « zones tempérées-zones
tropicales » sont considérées. Les mâles sont souvent plus brillamment
colorés que les femelles sous les latitudes tempérées, et dans quelques cas,
les mâles arborent un plumage plus terne
lorsqu’ils sont sous les tropiques. À travers la sélection sexuelle, les mâles
peuvent développer des plumages plus colorés ou des pariades amoureuses plus
élaborées qui ne feront qu’accroître ses habiletés à attirer les femelles ou à
décourager les rivaux. Si le mâle ne participe pas à la confection du nid et à
l’incubation, ses talents acquis lui permettront de gagner le cœur de plus d’une
femelle et d’augmenter ses succès de reproducteur. Le plumage brillant, qui est
un indicateur de vigueur et de santé physique, est de première importance pour
le mâle, car il doit compter dessus pour ré-établir sa dominance sur un
territoire et sur une ou des femelles à
la prochaine saison des amours.
Les femelles des perroquets, des
toucans, des momots, des tamatias et de
plusieurs tangaras sont virtuellement identiques à leur partenaire. Ceci,
selon les biologistes, résulte d’un processus de sélection plus sociale que
sexuelle. Ceci est très évident chez les toucans. Ils ont les mêmes couleurs
entourant les yeux et les mêmes marques sur le bec. Quoique le mâle a le bec souvent plus
long. Les femelles qui sont autant colorées que leurs
mâles vivent habituellement sur des territoires permanents et sont accouplées
pour la vie. Elles assistent le mâle dans la défense du territoire et leurs
couleurs brillantes est aussi une indication de leur agressivité et de leur
niveau de compétitivité.
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Calliste à tête verte / Green-headed Tanager |
Les espèces d’oiseaux
tropicaux les plus colorées sont habituellement celles qui se nourrissent essentiellement
de fruits ou de nectar. Elles sont suivies par celles qui se nourrissent
partiellement de fruits, alors que les légions d’espèces aux couleurs ternes se
retrouvent dans les rangs des insectivores. Qu’est-ce qui explique tout ceci ? David
Snow, un ornithologue britannique de renom, a travaillé plusieurs années au
fameux Asa Wright Nature Center de Trinidad. Dans son livre « The Web of adaptation », il dévoile que parce que les fruits sont si
faciles à trouver, comparés aux insectes, les femelles des espèces frugivores
peuvent se passer de l’aide de leur partenaire pour les soins du nid. Ceci
accorde plus de temps aux mâles pour parfaire leurs pariades amoureuses. Ce qui
amène une plus grande compétitivité sexuelle entre les mâles pour gagner les
faveurs des femelles. Le mâle le plus performant, le plus en santé, obtiendra
les faveurs des femelles et ses gênes de gagnant se perpétueront au
travers sa progéniture. Et voilà la théorie de Darwin qui nous revient en plein
visage. L’image évoquée par David Snow, i.e. celle de mâles dépensant leur temps et leur énergie dans des groupes de
célibataires qui attendent le passage d’une belle femelle pour étaler leurs
talents de séducteurs, forme un réel contraste avec celle des insectivores qui
doivent dépenser beaucoup d'énergie à épier leurs proies juste pour arriver à se
sustenter eux-mêmes. Le surplus de temps que les insectivores passent à
chercher leur proies, ajouté à la concentration qu’ils doivent y mettent,
les rendent plus vulnérables à la prédation.
Ce qui nous impressionne le
plus dans les régions tropicales est la très grande diversité des oiseaux. Et, au retour à la maison, c’est
peut-être de l’assortiment incroyable des espèces colorées dans cette diversité
que notre subconscient veut le plus se souvenir.
Nous ne pouvons
vraisemblablement pas résoudre toutes les questions relatives aux coloris des oiseaux qui vivent dans les zones tempérées
et tropicales, mais nous avons la chance de comprendre certains aspects
générant ces couleurs. Et qui oserait nier qu’une grande partie du bonheur ressenti
lors de l’observation des oiseaux provient de leurs couleurs et des dessins qu’ils
arborent ?
À bientôt...