jeudi 13 juillet 2023

Le Grand Pic

De toutes les espèces de pics présentes au Québec, le Grand Pic est sans doute la plus convoitée par l'ornithologue amateur qui débute ce beau hobby. En raison de sa grande taille, proche de celle de la Corneille d'Amérique, nous pourrions nous attendre à le rencontrer plus fréquemment. Après tout, il n'est pas considéré comme rare et il peut même nicher dans des boisés relativement petits. En Amérique du Nord, en nous basant sur les données des BBS (Breeding Bird Survey), nous pouvons voir certaines tendances comme la diminution des effectifs des Pic de Lewis, Pic à tête rouge et Pic flamboyant. Par contre, les Grand Pic, Pic à ventre roux et Pic chevelu connaissent une augmentation de leur population. Cependant, la réalité nous démontre que ce pic format géant élude souvent nos recherches en forêt. Même celles hébergeant des habitats idoines où sa présence est confirmée par les traces bien particulières qu'il imprime sur le tronc des arbres.

Alors que j'habitais à la campagne, je me rendais souvent près de la rivière du Chêne, à Leclercville, afin de repérer un Grand Pic qui y résidait depuis nombre d'années. Alors que sa présence était rapportée sporadiquement par d'autres observateurs, je n'arrivais jamais à mettre la jumelle dessus. Pourtant, l'entrée oblongue de la cavité lui servant de nid était visible sur plusieurs grands arbres dans la région. J'arrivais même à l'occasion sur des sites où de gros copeaux encore bien frais s'entassaient au pied d'un arbre où une cavité bien visible venait d'être forée. C'était plutôt frustrant. Un beau samedi matin de juin, je me lève avec la ferme intention de le trouver quitte à y mettre toute la journée. Ça m'a pris quatre heures de traque intensive avant de finalement trouver un beau mâle en pleine recherche de nourriture sur un tronc pourri couché par terre dans le sous-bois d'une érablière. En fait, l'expérience m'a démontré que ce pic pouvait s'observer souvent à moins de deux mètres du sol.

Ce n'est pas par malice que le plus grand de nos picidés québécois creusent le tronc laissant souvent d'énormes échancrures qui nous font quelques fois craindre, à tort ou à raison, pour la survie de l'arbre. L'alimentation de base du Grand Pic est constituée de Fourmis charpentières du genre Camponotus. Ce sont les grosses fourmis noires que nous rencontrons près de nos maisons et que nous ne désirons pas abriter à l'intérieur de nos murs. Ces dernières creusent des tunnels qui peuvent atteindre le coeur, ou si vous préférez, le centre du tronc d'un arbre. Le pic ne cesse de forer que lorsqu'il capture sa proie.

 


 

Sa diète de fourmis est complétée par des larves de coléoptères xylophages, des termites et des chenilles. L'importance des fruits (cerises, fruits du cornouiller, raisins sauvages), des baies (houx, sumac vénéneux, micocouliers de Virginie) et des noix varie selon les régions. Ils peuvent constituer jusqu'à 30% du menu. En hiver, il visite régulièrement les postes d'alimentation où du gras animal ou végétal lui est offert.

Les Grands Pics occupent différentes sortes de forêts, les feuillus aussi bien que les conifères et les forêts mixtes. A l'intérieur de ce dernier habitat, ils semblent marquer une préférence pour les parcelles ouvertes de feuillus et les zones denses de grands conifères parvenus à maturité. Nous pouvons également les trouver dans des boisements en cours de régénération, à condition que ceux-ci soient pourvus de grands arbres et d'arbustes qui aient au moins cinq ans d'âge. Ils pénètrent aussi dans les parcs à la périphérie des villes. Des rapports indiquent que, pour se nourrir, ils choisissent des parcelles de vieux arbres en bordure de rivières. Les lieux de nidification sont également situés dans de vieux arbres âgés de plus de 70 ans et jamais très éloignés de l'eau. Les monocultures de pins sont généralement évitées. Ils nichent jusqu'à 1500 mètres dans les zones montagneuses de l'est du Canada et jusqu'à 2300 m dans l'ouest.

Ces oiseaux sont relativement solitaires. Les couples entretiennent des rapports assez lointains, excepté pendant la période hivernale où ils peuvent se percher à faible distance les uns des autres. Mes photos ont d'ailleurs été prises avec la complicité d'un couple de pics qui, à un moment donné, cherchaient de la nourriture sur deux arbres situés à moins de deux mètres l'un de l'autre. Ces oiseaux ne sont pas réputés très timides. Ils recherchent leur nourriture à toutes les strates de la végétation, y compris sur le sol où ils visitent les souches et les fourmilières. Les bois morts constituent des lieux privilégiés d'exploration. Les coups de bec et le tambourinage constituent plus de 60% des méthodes d'investigation en hiver. Le décollement et la désincrustation de morceaux d'écorce est également une activité importante. Sur la photo qui suit nous pouvons voir que l'oiseau s'apprête à soulever un morceau d'écorce et à l'arracher d'un mouvement sec de la tête.

 


L'une des questions les plus fréquemment posées sur les pics par les profanes et les scientifiques est probablement la suivante : Pourquoi les pics n'ont-ils pas de maux de tête? Cette question, bien sûr, fait allusion au fait qu'ils donnent des coups de bec. La réponse n'est certainement pas simple, et avant d'essayer de résoudre certains problèmes, il est utile de décrire brièvement ce qui se passe exactement lorsqu'un pic frappe un bois plus ou moins dur avec son bec. Un coup commence avec la tête qui est tirée vers l'arrière au maximum ; elle est ensuite tirée vers l'avant vers la surface dans une trajectoire droite, les yeux se ferment un clin d'œil avant l'impact, et le bec frappe le substrat avec une vitesse considérable (600-700cm/s). Cet impact entraîne une décélération, mesurée chez le Grand Pic à environ 600-1500g. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les contacts répétés ne causent pas de blessures évidentes. Tout d'abord, le cerveau des pics est proportionnellement petit, du moins par rapport à celui de l'homme (mais pas par rapport à celui d'oiseaux de taille similaire), et le rapport masse/surface est donc faible, ce qui signifie que les forces d'impact sont réparties sur une surface relativement plus grande (ce seul fait rend les pics cinquante à cent fois moins vulnérables que les humains). La trajectoire rectiligne réduit les foyers de rotation et de secousse dangereux. En outre, les pics, comme les oiseaux en général, possèdent peu de liquide céphalorachidien qui transmettrait des ondes de choc dangereuses. Il faut aussi considérer que les forces d'impact sont transmises sous la boîte crânienne, qui est située au-dessus de la ligne allant de la pointe du bec à l'os quadrangulaire. Certains muscles, contractés avant l'impact et attachés à l'extrémité arrière de la mandibule, peuvent agir comme des amortisseurs. 

L'oiseau peut donc compter sur des structures hautement spécialisées au niveau du bec et de l'ossature du crâne. L'articulation entre le point le plus à l'avant du crâne et celui de la mandibule supérieure, ou maxille, est repliée vers l'intérieur. Ceci fait que, lorsque le bec frappe une surface solide, l'os subit une tension plutôt qu'une compression. Normalement l'impact devrait porter la base du bec à glisser vers le haut. Ce mouvement potentiellement dangereux est contré par l'os frontal qui excède la base du haut du maxillaire. Parce que le choc produit une tension, celle-ci peut être contrecarrée par un muscle spécial qui l'absorbe. Ce dispositif est optimisé lorsque le bec est bien droit et bien aligné avec le muscle lorsque le coup est porté. Comme cette ligne se situe en bas du cerveau de l'oiseau, cet organe précieux est préservé de la vague de choc. Vous remarquerez qu'un pic, lorsqu'il fore énergiquement, garde sa tête au même niveau et en droite ligne devant lui. Ici c'est le mâle qui nous fait une démonstration. Yeux fermés, il frappe avec puissance et précision afin de creuser et aller dénicher l'insecte qui se cache. Heureusement pour lui, sa belle crête rouge est plus affectée par le choc que son cerveau.


 

Pour en savoir davantage, je vous suggère de consulter les ouvrages qui suivent.

À bientôt.

 

 

Bibliographie

del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (2002) Handbook of the Birds of the World. Vol. 7. Jacamars to Woodpeckers. Lynx Edicions, Barcelona.

Winkler, H., Christie, D.A. & Nurney, D. (1995) Woodpeckers: An Identification Guide to the Wodpeckers of the World, Houghton Mifflin Company,  Boston / New York.

Proctor, N.S. & Lynch, P.J. (1993) Manual of Ornithology: Avian Structure & Function, Yale University Press, New Haven / London.

Sibley, D.A. (2001) National Audubon Society The Sibley Guide to Birds, Alfred A. Knopf, Inc, New York.

 

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