lundi 30 mars 2020

S'adapter pour survivre.




La crise sanitaire vécue actuellement au niveau planétaire nous le démontre très bien: pour survivre, un être vivant doit s'adapter à toute nouvelle situation qui peut affecter son milieu de vie. Les êtres vivants ont ceci de particulier qu'ils sont continuellement en changement. Mon corps est différent présentement de ce qu'il était quand j'ai commencé à écrire ce billet, tout comme le vôtre et celui de tous les autres être vivants sur la planète. Et ce corps en perpétuelle évolution a su, au fil de ses années de vie, se protéger des dangers extérieurs que sont les virus, les bactéries ou les parasites en fortifiant son système immunitaire. Mais lorsqu'un virus mal connu de la science apparaît, comme la  Covid-19, il arrive qu'aucun remède ne soit disponible dans l'immédiat. Vue la dangerosité de ce virus et la vitesse fulgurante de sa propagation, il devient évident que des mesures exceptionnelles doivent être prises et le gouvernement du Québec le fait de façon magistrale. Sans tomber dans la démesure, des règles strictes de comportement social sont édictées et elles sont heureusement suivies par la grande majorité des citoyens. C'est bien clair, il faut éviter tout rassemblement social où la promiscuité procure inévitablement des contacts pouvant mener à la dispersion du virus. On demande de rester chez soi, de faire une "quatorzaine" obligatoire si on est de retour de voyage depuis peu. Notre préoccupation doit porter continuellement sur notre sécurité sanitaire et celle des autres personnes avec qui nous pourrions établir des contacts. Pour Anne et moi, dont la "quatorzaine" est terminée sans aucun signe de contamination à la Covid-19, il n'est pas question de rapprochement "social" avec la famille et les amis tant que l'avis de confinement ne sera pas levé. Par contre, nous nous réservons le droit de sortir de la maison pour profiter de la nature, en évitant bien entendu tout contact avec quiconque nous pourrions rencontrer ce faisant. C'est très clair et sans compromis.

Dernièrement, j'ai publié sur mon compte facebook la photographie d'une Bécasse d'Amérique que j'avais prise le 10 avril 2017 dans la région de Saint-Nicolas, près de la ville de Québec. Suite à cette parution, mon ami Daniel Gagné de Victoriaville m'a écrit pour mentionner qu'il avait entendu la veille au soir au moins quatre bécasses près de chez lui. Le 28 mars 2020 correspondant à la fin de notre confinement volontaire (devenu obligatoire par la suite par le gouvernement) de quatorze jours, nous avons décidé d'aller vérifier si la bécasse était arrivée dans notre région. Anne en a repéré à deux endroits différents et c'est au deuxième endroit que nous avons été en mesure de prendre les photos qui vont suivre. En examinant les photos, ça m'a rappelé comment, à l'instar de tous les autres êtres vivants, la bécasse est si bien adaptée à son style de vie.

Habitat et adaptation du plumage

Si vous désirez trouver une espèce spécifique dans la nature, rendez-vous dans son habitat de prédilection et ouvrez l'oeil. Une consigne simple me direz-vous, mais dans le cas de la bécasse, la recherche la plus exhaustive n'équivaut pas toujours à la détection de l'oiseau. Elle établit sa niche écologique dans les forêts humides mixtes ou à feuilles caduques avec des ouvertures éparses (40% de la surface de survie semble être minimale). De préférence dans les jeunes forêts et les terres agricoles abandonnées liées à la forêt; souvent des zones à couverture végétale herbacée. Tôt au printemps, au retour de sa migration, elle est principalement crépusculaire et nocturne, mais elle doit se nourrir de jour pour refaire le plein d'énergie. C'est un oiseau qui se déplace peu et très lentement. Il recherche les zones dégagées de neige. Son plumage est cryptique i.e. qu'il se marie très bien aux feuilles mortes et aux végétaux qui tapissent le sol des sous-bois.

Lorsque Anne repère le premier individu, nous sommes en train de déambuler très lentement en auto sur une route secondaire. Je recule lentement l'auto et je vois à mon tour l'oiseau sur ma droite lorsque nous arrivons à sa hauteur. Je recule un peu plus et nous observons l'oiseau avant de sortir lentement de l'auto. Une fois rendu au niveau de l'oiseau, nous le cherchons à l'oeil nu, mais impossible de le retrouver. Nous scrutons les environs à la jumelle, sans plus de succès. Nous ne bougeons pas. Nous nous trouvons à environ cinq mètres de l'endroit où nous avons d'abord localisé l'oiseau. Nous nous disons qu'elle a dû se déplacer au sol ou s'envoler pendant que nous sortions du véhicule. Nous avons tellement fait attention pour ne pas effrayer la bécasse que nous l'avons quittée des yeux pendant une bonne dizaine de secondes. Et alors que nous cogitons sur les possibilités, voilà qu'elle s'envole devant nous et qu'elle s'éloigne en forêt accompagné d'un sifflement produit par ses ailes courtes et rigides. En fait, ce sont les 3 primaires externes qui produisent ce sifflement lorsque l'oiseau décolle brusquement de terre ou lorsqu'il exécute ses envolées lors de la parade nuptiale. Nous sommes pour le moins confondus et grandement déçus de notre incapacité à la repérer.  

Il faut vraiment être attentif pour trouver une Bécasse d'Amérique immobile sur un lit de feuilles mortes. Photo prise le 28 mars 2020 à Leclercville, comté de Lotbinière, Québec.


Alimentation et adaptation du bec


Quand ils sont disponibles, les lombrics (vers de terre) forment de 68 à 86% de sa diète. La bécasse peut ingurgiter deux fois son poids en vers de terre sur une période de 24 heures. Elle complète avec des diptères, des coléoptères, des hyménoptères, des lépidoptères, des limaces, des araignées et d'autres arthropodes. Elle va plus rarement ingurgiter des matières végétales. Elle diversifie sa diète lorsque la terre est trop gelée au printemps ou lorsqu'elle est trop sèche et compactée au cours de ou à la fin de l'été. Elle utilise trois façons de se nourrir. Elle peut enfouir son long bec à l'aveugle dans la terre meuble, elle peut voir, chasser et capturer des proies qui se déplacent à l'air libre ou elle peut soulever la végétation morte au sol afin de s'y nourrir des matières vivantes qui y ont trouvé abri.

Son long bec est un outil de haute technologie, car il allie à la fois la rigidité, la flexibilité et la sensibilité. Rigide, il peut pénétrer la terre afin d'y déloger des proies qui ne pourraient être atteints d'autres façons.  Flexible est la mandibule supérieure qui peut s'écarter pour pincer les proies sans devoir ouvrir tout le bec, autant au-dessus qu'en dessous du sol. Et le nec plus ultra de cet appendice est la présence de récepteurs nerveux à sa terminaison qui peuvent détecter la présence d'une proie sans même la voir. Et voilà pour la sensibilité.



La rigidité et la forme de son bec lui permet de s'enfoncer facilement dans le sol meuble.
     
  
La flexibilité de sa mandibule supérieur lui permet de pincer une proie sans devoir ouvrir complètement le bec. Ce caractère est de première importance quand le bec est enfoui complètement sous la terre.
 

Les vers de terre constituent de 68 à 86% de sa diète. Grâce à des récepteurs nerveux présents au bout du bec, la bécasse peut détecter les proies sous terre sans les voir.


Une autre adaptation du bec pour permettre la recherche de proies bien enfouies se remarque au niveau des narines. Ces dernières sont situées très haut sur la mandibule supérieure, à égalité avec la commissure du bec. L'image suivante montre ce trait.




Le positionnement des narines permet à l'oiseau de bien respirer après qu'il ait enfoui son bec dans le sol.



Adaptation au niveau du positionnement des yeux


La dernière photo montre également un autre trait morphologique très important. Les yeux sont placés hauts et vers l'arrière du crâne, près de la nuque. C'est certain que la vision binoculaire frontale, telle que les humains la connaissent, est impossible pour la bécasse, mais est-elle forcément handicapée pour autant ? Elle n'a pas besoin de voir très près en avant d'elle car son bec sensible lui permet de trouver de quoi se nourrir. Par contre, lorsqu'elle est occupée à se nourrir avec le bec bien planté dans le sol, il est important pour elle de bien voir tout ce qui l'entoure y compris les dangers qui pourraient provenir de l'arrière, au-dessus et de chaque côté. Le hibou, dont les yeux sont situés vers l'avant de sa tête, a un champ frontal total d'environ 60-70 °; cependant, les hiboux peuvent faire tourner leur tête très rapidement d'environ 270 °, ce qui compense leur vision monoculaire insuffisante. La bécasse, grâce à ses yeux situés près du sommet de la tête, peut voir de façon binoculaire vers l'arrière et vers le haut ainsi que vers l'avant et vers le haut. Son champ monoculaire est de près de 180° de chaque côté. Oui, la bécasse voit très bien et ça ajoute à la difficulté de la surprendre.

J'ai essayé de trouver dans la littérature une explication au balancement de tout le corps qui accompagne ses déplacements lorsqu'elle est en recherche de nourriture. Personnellement, j'ai tendance à voir un rapport entre ces mouvements, autant latéralement que verticalement, avec le besoin de focaliser sur son environnement. La vision binoculaire est très utile dans l'estimation précise des distances. Pour vous le prouver, regardez un objet près de vous. C'est facile d'estimer la distance qui nous sépare de lui parce que nous avons deux angles différents de vision qui permettent au cerveau de la calculer instantanément. Ça se fait naturellement. Par contre, regarder maintenant le même objet, mais en fermant un oeil. Oups ! Petit problème. Beaucoup plus difficile maintenant. On peut comparer ce comportement avec celui des petits rapaces comme le Faucon émerillon ou la Crécerelle d'Amérique, avec celui de certains strigidés qui contorsionnent leur tête de multiples façons ou avec d'autres limicoles comme les chevaliers. En bougeant rapidement leur tête de bas en haut ou de chaque côté, ils peuvent observer la même image sous différents angles et leur cerveau enregistre les données et effectue les bons calculs.

J'espère que ce billet aura su vous plaire. Je vous invite à suivre toutes les règles de sécurité qui s'imposent vu la situation exceptionnelle que nous vivons présentement. Éviter tout contact rapproché avec les autres humains et restez chez vous au maximum. Cependant, si vous décidez de sortir, faites le de façon responsable. Demeurez dans votre véhicule le plus possible et lorsque vous sortez à l'extérieur pour une petite randonnée, assurez-vous de ne pas être un vecteur de contamination. Pas de repas au restaurant, pas d'arrêt dans les dépanneurs. Apportez avec vous ce qu'il faut et tout ira bien.

@ bientôt.


      

5 commentaires:

Stéphane a dit…

Excellent billet qui m'interpelle beaucoup car depuis 3 printemps j'ai la chance d'avoir une bécasse d’Amérique qui vient dans ma cour. Je ne sais pas si les probabilités que ce soit la même sont forte. Je la vois matin et soir et surtout je l'entends et même des fois j'en entends 2. Je possède exactement l'habitat que vous énumérez, mais je n'ai malheureusement jamais réussi de belle photos comme les vôtres. Je crois que le jour elle va ailleurs et qu'elle revient le soir seulement.

Laval Roy a dit…

Merci Stéphane pour la visite et le commentaire très intéressant. Les chances que ce soit le même individu sont bonnes, mais difficile de le confirmer à 100%. Il faut ajouter que les oiseaux reviennent souvent près des lieux où ils sont nés. Si ce n'est pas le même individu, il peut s'agir de sa descendance. Il ne doit pas se tenir très loin durant le jour. Je ne sais pas si vous connaissez le Cardinal rouge, mais il se comporte un peu comme la bécasse dans ce sens qu'il apparaît à mes mangeoires très tôt le matin et tard l'après-midi. Du moins, c'est ce qu'il fait hors de la saison de nourrissage des jeunes. Il est très furtif. Pour ce qui est de la bécasse, je crois qu'on est présentement au meilleur temps de l'année pour la repérer. Chercher les endroits dépourvus de neige. Surtout si c'est dans un sol spongieux où il y a un bon tapis de feuilles mortes. Si le sol est trop gelé, il va soulever les feuilles pour fouiller à la recherche de proies potentielles. Un peu plus tard, lorsqu'il fait sa parade aérienne, je vous propose un défi. Regardez le faire à quelques reprises et remarquez bien l'endroit d'où l'oiseau décolle et l'endroit où il vient atterrir. J'avais déjà remarqué qu'il s'agissait presque du même endroit. C'est ainsi que j'ai pensé à un subterfuge pour l'observer de près. Dès qu'il s'est envolé pour entreprendre sa longue montée dans le ciel, je ne suis précipité vers l'endroit et je me suis couché sur le dos sans bouger. Même si je ne le voyais plus, j'entendais tous les sons émis selon les étapes où il était rendu dans sa prestation. Quand j'ai entendu qu'il se laissait tomber comme une feuille morte tout en émettant des sons de clochette, je l'ai vu descendre directement sur moi. À environ 4 mètres, elle m'a vu et elle a esquissé une fainte vers ma droite. Elle est tombée au sol à moins de 3 mètres de moi. C'était incroyable. Elle n'est restée que quelques secondes et elle est partie en courant. Une expérience que je n'oublierai jamais de toute ma vie. J'avais alors environ 16 ans.

Stéphane a dit…

Merci pour votre réponse et de vos judicieux conseils, vous avez vécu une belle expérience et je vais probablement tenter la même chose. Face aux animaux j'ai une attitude assez sur les freins car j'ai toujours peur de les dérangés. Ici il y a encore beaucoup de neige sur tout le terrain, j'ai encore plusieurs juncos, ma première mention en 2018 était le 4 mai et en 2019 le 30 avril pour la bécasse. Je reste quand même aux aguets et vous remercie encore pour vos conseils et votre blogue dont j'apprends énormément. C'est très agréable pour des amateurs comme moi de lire des professionnels comme vous.

Stéphane a dit…

Re-bonjour, Je suis très content car ma Bécasse d'Amérique vient d'arrivé aujourd'hui(26 avril 2020). Cette fois je l'ai vue avant de l'entendre.

Laval Roy a dit…

Wow ! Je suis tellement content pour toi. Bravo et je te souhaite de bons contacts avec la bécasse. Merci de me lire et de me tenir au courant de tes trouvailles. Amitiés.