Qui ne rêve un jour de croiser sur sa route une espèce animale non encore connue et reconnue par le monde scientifique ? En fait, à bien y penser, peu d'entre nous pourraient songer à y parvenir. Cela relève du phantasme et nous aimons bien nous considérer nous-mêmes comme étant des gens réalistes et mentalement équilibrés. Et ce n'est pas évident de vouloir quitter notre confort habituel pour aller passer quelques mois dans la jungle tropicale ou dans des endroits reculés et difficiles d'accès.
Mais imaginez si vous appreniez qu'une nouvelle espèce de colibri a été découverte tout dernièrement par des chercheurs bien assis dans des cours arrière de maisons. Oui, bien assis en sirotant un thé avec en mains un micro unidirectionnel, une paire de jumelles, un appareil photo ou un crayon pour prendre des notes sur un tout petit oiseau qui fréquente les abreuvoirs ou les fleurs des jardins.
L'espèce en cause est le Colibri des Bahamas / Bahama Woodstar qui se scinde en deux sous-espèces : Calliphlox evelynae evelynae présente dans les îles les plus au nord des Bahamas et Calliphlox
evelynae lyrura vivant seulement dans les îles de la région d'Inagua plus au sud. Les mâles et les femelles de ces deux sous-espèces sont très similaires en apparence, ce qui a nuit à la reconnaissance de deux espèces distinctes.
Comparaison des deux mâles des deux sous-espèces. Photos de Anand Varna. |
La forme de la queue joue un rôle majeur pour différencier le Colibri d'Inagua (à droite) du Colibri des Bahamas (à gauche). Les plumes des rectrices de la queue, en forme de lyre, du Colibri d'Inagua produisent un son différent de celui du Colibri des Bahamas durant la parade nuptiale alors que l'oiseau mâle plonge vers la femelle en déployant les plumes de la queue.
Physiquement, les mâles des deux sous-espèces diffèrent seulement par la couleur du front et les plumes de sa queue fourchue. Ces différences mineures ont d'ailleurs incité les naturalistes qui ont décrit les oiseaux à l'origine, dans les années 1800, à les classifier comme deux espèces distinctes. Mais James Peters ignora ce précédent quand il a publié la "Check-list of Birds of the World" en 1949 alors qu'il a considéré les deux espèces comme des sous-espèces.
60 ans plus tard, en 2009, Teresa Feo de l'université Yale et Christopher Clark de l'université de la Californie à Riverside, décident de conduire une étude bioacoustique sur le complexe du Colibri des Bahamas. Ils le font d'abord juste pour enregistrer les différents sons émis par l'air qui s'engouffre entre les plumes de la queue durant les plongées effectuées par les mâles lors de la pariade nuptiale. Cependant, dans le cours de ce travail de terrain, il devient vite évident que les deux sous-espèces ne produisent pas les mêmes sons et cette différence est plus grande que ce qui est noté pour des sous-espèces normales.
Photo par Jean Marks Clark. |
Christopher Clark (à gauche) et Jacob Musser (à droite) placent une cage contenant une femelle de Colibri des Bahamas dans le territoire connu pour chacune des sous-espèces afin de prendre un vidéo d'une pariade de mâle de chacune de ces sous-espèces. Feo et Clark remarquèrent que la différence dans les plumes de la queue entre les deux sous-espèces donnaient des signaux sonores et visuels différents de façon à ce que le mâle attire une femelle de la même sous-espèce.
Dans le cours de cette activité, les chercheurs parvinrent à distinguer les sous-espèces juste à partir de leurs vocalisations. Les mâles de la sous-espèce la plus répandue dans le nord du territoire étudié, soit Calliphlox evelynae evelynae, produisent un son classique pour les colibris (light tinkling, rambling song) alors que les mâles trouvés dans les îles du sud émettent un son rappelant celui fait par des semelles de bottes humides (un squeak). Les mâles émettent également des sons et des cris agressifs lors d'interactions entre eux, ce qui semble indiquer une longue séparation géographique des sous-espèces.Comme les colibris apprennent leurs chants et leurs cris de leurs parents et de leurs voisins, les sous-espèces longtemps séparées développent des dialectes uniques, comme le feraient d'ailleurs les humains. Dans le cas qui nous occupe, la séparation entre les deux sous-espèces selon leur provenance dans les îles du nord ou dans celles plus au sud a été assez grande pour former deux espèces distinctes.
L'équipe a aussi comparé la longueur des becs et des ailes en plus de prendre des échantillons de tissus des deux différentes populations pour fin d'analyses génétiques. Les étudiants au niveau doctoral, Jacob Bey de Cornell Lab of Ornithology et Jacob Musser de Yale, travaillèrent ensemble pour séquencer le DNA des oiseaux et trouvèrent plusieurs différences au niveau des espèces qui indiquèrent que les populations ont évolué en isolation pendant environ 500 000 à 1 million d'années.
En conclusion de leurs travaux, Feo, Clark, Bery et Musser concluent que la sous-espèce vivant dans les îles du nord des Bahamas devraient garder le nom familier de Colibri des Bahamas / Bahama Woodstar et ils suggèrent le nom de Colibri d'Inagua / Inaguan Lyretail pour l'autre sous-espèce qui se retouve dans les îles du sud formant la région d'Inagua.
L'équipe a aussi envoyé une pétition auprès de l'American Ornithologists! Union pour officialiser la reconnaissance de deux espèces différentes. Mais cette nouvelle classification soulève également de nouveaux dilemmes. La taxonomie des colibris de cette taille est sujet à beaucoup d'études et connaît de grands changements présentement.
Cette étude permet aussi de croire que de nouvelles découvertes sont possibles encore près de nous.
@ bientôt.
1 commentaire:
Cela doit être un vrai bonheur que de voir ses recherches validées par la reconnaissance de la nouvelle espèce.
Les moyens actuels permettent d'affiner les connaissances et il y a encore un bel avenir pour de jeunes scientifiques ( dans le domaine entomologique c'est encore plus vrai, mais moins spectaculaire que de s'intéresser à de si beaux oiseaux)!
Une belle fin d'été à vous, avec de belles observations lors des migrations!
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