dimanche 7 septembre 2014

Un limicole rare au Québec.



Même s'ils ne sont pas toujours faciles à identifier sur le terrain, j'aime beaucoup les limicoles, ces oiseaux qui ne semblent heureux que lorsqu'ils se retrouvent les orteils bien plantées dans la boue ou dans les milieux humides. Je sais les bains de boue gagnent de plus en plus de faveur auprès de la gent féminine, mais ce ne sont pas pour les mêmes raisons :-) que ces oiseaux ont adopté ces habitats.

Limicole vient du latin limus qui peut se traduire par limon ou boue et cole emprunté au suffixe du latin cola, issu du verbe colere (« cultiver », « habiter », « rendre un culte »). Et il n'y a rien d'esthétique dans ce choix d'habitat

La règle numéro UN dans la nature étant la survie, la majorité des espèces dites limicoles consomment des petits invertébrés vivant dans la vase ou l'humus. Mais il n'en est pas ainsi pour TOUS les limicoles. Une espèce Québécoise préfère nettement les zones plus sèches sur les plages et son manteau le démontre clairement. Il s'agit du très beau et rare Pluvier siffleur / Charadrius melodus / Piping Plover.  Son manteau très pâle épouse bien la couleur du sable sec où il niche et où il se nourrit tout aussi bien. L'adulte ici photographié n'est pas en train de couver des oeufs, il se repose tout simplement. Avouez qu'il a su s'accroupir à un endroit lui permettant une communion parfaite avec son environnement. Il est très difficile à repérer à l'oeil humain et, grand bien lui en fasse, probablement aussi à celui d'un prédateur. Même le noir de son bec, de ses yeux et des lignes au-dessus de l'épaule et sur son front l'aide à se confondre avec le noir des plantes qui poussent dans le sable.
 




Je vous invite à comparer son manteau avec celui d'un Pluvier semipalmé / Charadrius semipalmatus / Semipalmated Plover qui partage souvent la même plage lors des migrations, mais qui se tient dans une zone où le sable est plus humide, correspondant étonnamment  à son manteau.






Non, il n'y a rien de laisser au hasard dans la nature. La couleur plus sombre du manteau du Pluvier semipalmé lui aide sûrement à échapper aux attaques des prédateurs comme le fait celui plus pâle du Pluvier siffleur.

La présence du Pluvier siffleur au Québec est très localisée puisqu'il ne niche qu'aux Îles-de-la-Madeleine où il n'occupe qu'environ 5% des 130 km de plage (Shaffer et Laporte,1989). En 1991, la population mondiale de Pluviers siffleurs se chiffrait à 5 482 individus (Haig et Plissner,1993). En 1994, une centaine d'individus (50 couples) ont été répertoriés comme nicheurs aux Îles-de-la-Madeleine (Attention Frag'Îles, données inédites).

Historiquement, le Pluvier siffleur a déjà niché en Gaspésie et sur la Basse-Côte-Nord, mais lors d'un inventaire complet effectuée en 1988 dans les sites potentiels de ces deux régions, aucun pluvier de cette espèce n'a été découvert (Demers et Laporte,1988). Lors d'un inventaire international organisé en 1991 dans l'ensemble de l'aire de reproduction et d'hivernage de l'espèce en Amérique du Nord, au cours duquel tous les sites potentiels connus ont été visités, on n'a trouvé nulle part au Québec le Pluvier siffleur en dehors des Îles-de-la-Madeleine (Laporte et Shaffer, 1994). Sa population totale est actuellement estimée à environ 6 410 individus en 2003 dont 3 350 sur la côte atlantique à elle seule, soit 52 % du total. La population est en augmentation depuis 1991.

Il fut un temps où cette espèce était constituée des deux sous-espèces suivantes :
  • Charadrius melodus circumcinctus (Ridgway) 1874 ; présente dans l'ouest de l'Amérique du Nord.
  • Charadrius melodus melodus Ord 1824 ; présente à l'est de l'Amérique du Nord.

Ces sous-espèces étaient reconnues sur la base des différences de largeur de la bande pectorale, mais cette subdivision s'est avérée rapidement insatisfaisante à cause de la variabilité considérable selon les individus et la saison. Cette espèce est maintenant reconnue comme monotypique et le nom latin reconnu est Charadrius melodus.

C'est à la fin de juin 1996 que je me rends aux Îles-de-la-Madeleine en compagnie de mon bon ami Normand David. Ce dernier y a passé quelques temps dans le cadre de ses travaux et il connaît bien le biologiste Pierre Laporte (celui mentionné dans les rapports ci-haut présentés) qui est encore présent sur l'île. Le 22 juin a lieu ma première rencontre avec le fameux pluvier et voici ce que j'écris dans mes notes de terrain

"à l'Île d'Entrée, Bassin aux Huîtres. 4 nids. Les jeunes ne sont plus au nid et ils courent dans le sable. Des petites boules de duvet d'une exceptionnelle beauté."

Ne prenant pas de photo à cette époque, je ne ramène que des images dans ma tête, mais elles sont encore bien vivaces, même 18 années plus tard. Cette année, je sens qu'il est temps de renouer avec ce splendide oiseau et nous nous dirigeons, Anne et moi, sur la côte est des États-Unis, à seulement 6 heures de route de la ville de Québec. Nous quittons le 26 juillet à 5h00 du matin et nous arrivons à Pine Point (Maine) vers les 11h00. Pine Point est situé un peu au nord de Old Orchard. Un instant de répit en arrivant et nous sommes sur la plage vers les 13h00. 

Les pluviers sont bien au rendez-vous. Même si les plages sont utilisées par les vacanciers et les gens locaux, des zones sont bien délimitées tout autour des nids afin que les gens ne gênent pas la nidification des pluviers. Et ça marche. Anne et moi avons couvert du terrain, jusqu'au Massachusetts, et c'est la même réalité partout. Un grand respect est accordé aux oiseaux et ces derniers le rendent bien en déambulant tout à fait sans crainte sur la plage, souvent à quelques mètres des plaisanciers. Voici donc des photographies faites avec la collaboration de six Pluviers siffleurs bien curieux à leurs heures.




Il est très difficile de déterminer avec certitude le sexe d'un adulte de Pluvier siffleur. Ici, je serais tenté d'y aller  avec un mâle, la femelle portant des traits plus gris que noirs (voir The Crossley Guide, page 153).




Le Pluvier siffleur défend un territoire durant toute la saison de reproduction. La superficie de ce territoire varie de 0,05 ha à 0.8 ha (Cairns, 1982) et les deux membres du couple participent à sa défense; bien que le mâle soit le plus actif. Pour défendre son territoire, l'oiseau adopte une posture horizontale, cou tendu vers l'avant, plumes du cou et du dos hérissées. Il pourchasse ainsi l'intrus en courant et au vol. Cette attitude n'est pas propre qu'à cette espèce puisque le Pluvier semipalmé démontre également ce comportement lorsqu'il est de passage en période migratoire.




Migrateur, le Pluvier siffleur hiverne le long de la côte est de l'Amérique du nord, du Maine jusqu'en Floride, ainsi que sur les côtes du golfe du Mexique. On le rencontre même parfois dans certaines îles des Antilles (Haig et Plissner, 1993). Le suivi d'un oiseau bagué a révélé que le trajet entre les Îles-de-la-Madeleine et la côte ouest de la Floride prend environ un mois, à l'aller comme au retour (Shaffer et Laporte, 1992a).



Les jeunes sont précoces et quittent le nid quelques heures à peine après l'éclosion. Dès lors, ils prélèvent eux-mêmes leur nourriture, constituée de vers marins, de crustacés, de mollusques et d'insectes (Tyler, 1929a; Cairns,1977), dont de nombreux diptères et coléoptères, principalement les Staphylinidés et Curculionidés (Shaffer et Laporte, 1994).



À l'instar de beaucoup d'autres espèces de limicoles, le statut du Pluvier siffleur demeure préoccupant. Les habitats recherchés par ces oiseaux sont soumis à bien des pressions et ils disparaissent beaucoup trop vite au profit de domaines hôteliers ou autres projets immobiliers. Mais de voir comment les gens se préoccupent de protéger les zones de reproduction le long de la côte est des États-Unis constitue un baume et permet d'espérer un avenir meilleur pour ce rare limicole au Québec.


@ bientôt.


Bibliographie
del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds (1996). Handbook of the Birds of the World. Vol. 3. Hoatzin to Auks. Lynx Edicions, Barcelona.
Shaffer, F., Laporte, P. 1995. Pluvier siffleur, p. 462-465 dans Gauthier, J. et Y. Aubry (sous la direction de). Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région de Québec, Montréal, xviii + 1295p.



2 commentaires:

Noushka a dit…

WOW!
Quel article intéressant, surtout que tu nous présente une espèce assez rare.
C'est vrai que son camouflage est parfait, seuls ses mouvements doivent le trahir.
J'ai aussi un gros coup de cœur pour les limis mais je vis hélas trop loin des côtes.
Souhaitons bonne chance à cette espèce et espérons que ses effectifs repartent à la hausse.
Bonne continuation cher Laval!

lejardindelucie a dit…

Très bel article concernant ce joli Pluvier américain. Ces petits limicoles sont attendrissants quand ils se déplacent avec leurs petits. J'ai souvenir de belles scènes familiales avec d'autres Pluviers lors de vacances.
Lorsque l'on explique pourquoi il faut protéger les zones de nidification de certains oiseaux fragiles , le public participe volontiers.
Ce joli Pluvier siffleur arrivera peut être ainsi à voir son effectif se maintenir voire augmenter!
Merci de nous faire mieux connaitre les oiseaux d'outre- Atlantique!