lundi 2 juin 2014

L'étrange pompe du marais.



Qu'ils étaient étranges ces sons en provenance du fond du marais où je me tenais du haut de mes treize ans !  Ça se passait au début juin 1963, à Sainte-Croix-de Lotbinière. Ça sonnait à mes oreilles comme une vieille pompe en manque d'eau et qui n'est pas capable de commencer à faire le travail pour lequel elle a été inventée i.e. pomper l'eau. Car, nous le savons évidemment tous (hum, hum, hum),  pour qu'une pompe fonctionne, il faut d'abord la "partir" en lui procurant assez d'eau pour que la succion se fasse et qu'elle draine l'eau vers la sortie du boyau. Sinon, il s'ensuit un paquet de gargouillis, de sons hétéroclites où s'entremêlent ceux de l'eau qui peine à s'engouffrer dans le système et ceux de l'air qui y trouve de la place pour s'insérer et pour compliquer la manoeuvre. Ça peut ressembler aux sons que je venais d'entendre, un "GOU...GA...OU", tout de suite suivis par deux ou trois autres "GOU...GA...OU". Wow !  Plutôt impressionnant pour un naturaliste en herbe doté d'une curiosité insatiable qui n'avait d'égale que sa méconnaissance de la nature. Mais ça correspond à quoi ces sons ?  Non, il n'y a pas de crocodile au Québec, pas plus que d'hippopotame et, d'ailleurs, qui me dit que ce seraient les sons qu'ils émettraient ? C'est quoi alors cette bête au cri impressionnant. Je n'en ai aucun idée, ça a l'air énorme... plus que moi... et je décide de quitter sans demander mon reste.

De retour à la "civilisation", je vais voir mon mentor Gabriel Allaire, professeur de sciences émérite qui m'a inculqué le goût de l'observation des oiseaux et en qui j'ai une confiance ABSOLUE , et je lui demande d'éclaircir ce mystère. Gaby esquisse un petit sourire en coin et, après un semblant de petit moment de cogitation, il commence à me raconter une histoire qui ne semble pas de prime abord correspondre à mon premier questionnement.

"Tu sais Laval" qu'il me confie d'un ton ferme et très sérieux, "les sons que tu viens d'entendre ne s'entendent pas seulement dans les marécages. Les cultivateurs les entendent souvent au printemps et ils peuvent provenir de champs inondés ou de milieux humides en bordure de rivière. À leurs oreilles, ça sonne plutôt comme un homme qui serait en train de construire une clôture en plantant des piquets de cèdre avec l'aide d'une masse et ça donnerait un KONG...ka...KONG.  Le "ka" correspondant à l'intermède alors qu'il place le maillet sur le sommet du piquet afin d'assurer de viser juste. "

"Ouais... KONG...ka...KONG  ou  GOU...GA...OU, ça se ressemble" que je me dis. " Mais quel animal produit ce son ?". Gaby lâche finalement le morceau "Laval, c'est un Butor d'Amérique.  Une espèce d'échassier qui se tient dans les milieux humides et qui attire la femelle, le printemps et en pleine période d'accouplement, par ces bruits que je trouve très peu poétiques et attirants, mais qui semblent faire l'affaire de madame butor." Enfin, le mystère est résolu. Je connais bien l'oiseau à partir de mon "Peterson", le seul guide de terrain disponible à l'époque, mais je ne le connais que par l'image.


Voici un mâle de Butor d'Amérique / Botaurus lentiginosus / American Bittern dans son habitat le plus caractéristique soit celui des marécages à quenouilles où, grâce à son plumage cryptique, il se fond si bien dans la végétation. Photo prise au Marais Léon Provancher de Neuville le 20 mai 2014.


Afin de mieux se camoufler dans son habitat, il étire le cou et les stries qui partent de la gorge pour s'étendre jusqu'à son entrejambe s'imbriquent parfaitement dans la verticalité des joncs qui l'entourent. Il pousse même jusqu'à se balancer de côté afin d'imiter le mouvement des joncs qui bougent sous l'action du vent. Notez la position de ses yeux qui lui permet de continuer à observer devant lui. Photo prise au Marais Léon Provancher de Neuville le 20 mai 2014.



Ce n'est que des années plus tard que je réussis finalement à observer un butor alors qu'il émet ces sons si caractéristiques à l'espèce... et c'est seulement en mai 2014 que je peux le photographier en pleine action.


Le mâle et la femelle ont exactement le même plumage. Seul le mâle produit ces sons gutturaux et il le fait seulement en période de reproduction. Je n'ai jamais entendu ces sons hors de cette période qui se situe à la fin mai pour les observateurs de la région de Québec.


Le butor commence d'abord par emmagasiner de l'air à l'aide d'inspirations profondes réalisées avec le bec entrouvert et avec des balancements de son corps d'avant en arrière.




Une fois bien remplie d'air, sa région ventrale se gonfle et nous entendons un "GOU"




Ce même air remonte ensuite vers la gorge et ce transfert se matérialise en un "GA...OU" lorsque l'air est expulsé par le bec.




Il répète ce stratagème quelques fois, jusqu'à ce que le volume d'air emmagasiné soit épuisé. Du moins, c'est ce qu'il m'a présenté lors de sa prestation du 20 mai dernier.

C'est quand même fascinant de voir que l'on peut s'éloigner de seulement quelques kilomètres de la ville pour pouvoir profiter de si belles scènes de la vie animale. Il ne reste qu'à espérer que les habitats marécageux seront préservés afin de nous garantir la présence de tant de richesses naturelles.


@ bientôt.







2 commentaires:

Noushka a dit…

HAHAHAHA!!!!
J'ai eu la même histoire il y a 2 ans en Camargue avec notre amie Lucie (Le Jardin de Lucie)!!
Elle m'a fait découvrir les Aiguamolls en Espagne catalane, refuge et réserve ornitho!
J'ai entendu ce son et nous nous sommes regardées, moi avec toute l'interrogation du monde dans les yeux, elle riant et sachant bien que c'était un butor, mais l'étoilé, celui-là!

Bravo pour ces belles photos, c'est encore un challenge pour moi que de pixeliser cette famille correctement!
Amuses-toi bien et bonne continuation! :)
Mes amitiés, Laval

lejardindelucie a dit…

Bon je ne peux qu'approuver ce que vient d'écrire Noushka!
Ayant un peu d'avance sur elle je connaissais le coup de trompette du Butor l'ayant entendu auparavant en Camargue. Mais je n'ai jamais pu le photographier. Je ne désespère pas!
C'est vrai que ce sont des sonorités inoubliables!
Joli récit, merci de nous le faire partager et surtout bravo pour les photos!