mercredi 8 mai 2013

À la recherche de Ti-coune...

Je sais, de la façon dont il est formulé, mon titre peut porter à de multiples interprétations aussi je vous demanderais de ne pas tirer de conclusion trop vite tout au long de ce billet. Comme dans tout bon "thriller", je vous demande d'attendre à la toute fin.

Cette semaine, une de mes sources d'information les plus sûres m'apprend qu'il y a eu du nouveau du côté du Saguenay (à moins que ce soit du Lac-Saint-Jean...je n'ai jamais rien compris à leur histoire). Un évènement difficile à prévoir, car tout à fait inattendu et plutôt impressionnant.

Mais avant d'aller plus loin, je crois qu'il convient de rappeler que les oiseaux (car, vous vous en doutez un peu, il s'agira d'un billet sur les oiseaux), comme bien d'autres êtres vivants, adoptent des niches écologiques bien spécifiques afin d'assurer la pérennité de leurs espèces respectives. Je ne sais pas pour vous, mais moi je n'ai jamais observé en pleine forêt des espèces inféodées à des milieux ouverts telles les Sturnelles des prés / Eastern Meadowlark, les Maubèches des champs / Upland Sandpiper ou les Goglus des prés / Bobolink. Ceci reste vrai pour l'inverse, soient une Grive des bois / Wood Thrush ou un Tangara écarlate / Scarlet Tanager nichant dans un arbre ou un arbuste en plein champs. Si c'est vrai pour les habitats, c'est également vrai pour les aires de distribution. La plupart des espèces ne dépassent pas certaines limites géographiques à cause des conditions climatiques, des habitats non propices à leur survie ou de la compétition trop vive qu'elles subiraient dans d'autres secteurs.

Ceci fait que des espèces bien présentes dans la partie la plus peuplée du Québec méridional voient leurs effectifs fondre à mesure que l'on se dirige vers le nord ou vers l'est de la province. Hier, j'ai photographié au Marais Provancher, à Neuville, mon premier Viréo mélodieux / Warbling Vireo de l'année 2013. Je l'avais entendu la veille au Cap Tourmente, sans réussir à mettre la jumelle dessus. Cette espèce à la robe sobre possède un chant qu'elle ne se gêne pas de répéter sans cesse, à la façon des autres membres de la famille. C'est une phrase mélodique, bégayée superbement, émise sur une tonalité qui me fait penser à celle des deux roselins ou du Cardinal à poitrine rose / Rose-breasted Grosbeak. Ceci étant naturellement une évocation toute personnelle.


Son chant anime et enjolive nos forêts québécoises, mais pas toutes. Ce viréonidé privilégie des régions où l'on trouve une mosaïque de forêts feuillues et d'espaces ouverts, ce qui offrent de nombreux milieux propices à la nidification de l'espèce*. Les travaux du premier Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec, effectués entre les années 1984 et1989, ont permis de confirmer ces informations. Et ces faits ressortent encore à partir des données amassées durant les trois premières années du deuxième Atlas qui a débuté en 2010 et qui devrait se terminer en 2015. Notre vedette donne bien peu de représentations dans l'est du Québec, ne se présentant tout simplement pas sur la rive sud à partir de Sainte-Anne-des-Monts vers l'est, et sur la rive nord à partir de Charlevoix vers l'est***. La région du Lac-Saint-Jean (à moins que ce soit du Saguenay...je n'ai jamais rien compris à leur histoire) n'est pas sur le circuit non plus.

Mais le Viréo mélodieux n'est pas le seul à jouer à la vedette. Une autre espèce abondante dans la région la plus peuplée du Québec méridional possède une aire de distribution similaire et même un peu plus restreinte que celle du viréo. Elle fréquente les forêts de feuillus de même que les boisés dans les parcs et elle est une assidue aux mangeoires des résidences que ce soit à la ville ou à la campagne. Sur le terrain, elle se reconnaît facilement aux notes monotones, répétitives et nasillardes qu'elle émet. Elle joue de souplesse acrobatique avec les mésanges et elle s'acoquine bien souvent avec elles en hiver. Et oui, vous l'avez reconnue, la Sittelle à poitrine blanche / White-breated Nuthatch.


Voici donc une autre espèce qui anime nos forêts et elle le fait toute l'année. Malheureusement, la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean (bon, je ne me tromperai plus), entourée comme elle est de forêts de conifères à perte de vue, n'a pas la chance d'accueillir cette espèce. C'est sa cousine, la diminutive Sittelle à poitrine rousse / Red-breasted Nuthatch qui prend la relève. Pour les ornithologues Saguenay-Lac-Saint-Jeannois ( à moins que ce ne soit Lac-Saint-Jean-Saguenois ???) il s'agit d'une rareté digne de mention. 

Et c'est justement ce qui est arrivé, toujours selon mes sources, à une résidence de Saint-Fulgence le 2 mai dernier. Voilà que cette rareté se présente sans invitation et sans s'annoncer aux mangeoires de Claudette Cormier et de Germain Savard. Déjà que cette apparition non sollicitée, mais grandement espérée, relève du phantasme, mais, en plus, il s'agit de la 224ième espèce observée par le couple à partir des limites de leur terrain. Une réalisation tout à fait exceptionnelle. Ils occupent cette maison depuis le 3 août 2003 et, dès la première année, ils avaient contacté 178 espèces. Ce couple est très impliqué dans les inventaires aviaires dans leur région et ils sont bien placés pour apprécier toute la valeur de cette observation.

Maintenant pour continuer mon propos (et finalement aboutir à Ti-coune, mais attendez jusqu'à la fin), ces jours-ci, une espèce européenne est présente dans le marais de Hope, en Gaspésie, soit dans la partie est du Québec. Il s'agit du Vanneau huppé / Northern Lapwing. Selon la Liste commentée des oiseaux du Québec, par Normand David **, il s'agirait de la 5ième observation de l'espèce au Québec. Cette liste date de 1996, mais je n'ai pas eu connaissance d'une autre apparition de cette méga rareté au Québec depuis sa publication. Des découvertes comme celle-là font courir les ornithologues de toute provenance et je les comprends très bien. J'avoue même avoir été du nombre pendant plusieurs années. J'en ai fait des allers-retours nécessitant neuf heures de conduite pour me rendre à destination et autant pour en revenir. Tout ceci pour passer environ une heure ou deux sur le site de l'observation. Je me croise les doigts, mais ces déplacements d'aussi longue distance ont toujours porté fruit. Je ne peux cependant pas en dire autant de toutes mes tentatives. Mon pourcentage d'efficacité n'est pas très élevé.

La dernière espèce à m'avoir fait disjoncter est le Tyran gris / Gray Kingbird qui avait été découvert aux alentours du 6 novembre 2006. C'était une première pour le Québec. Il avait été repéré à L'Anse-à-Beaufils, petit village situé en Gaspésie et à seulement dix kilomètres à l'ouest de Percé. En fait, je m'y suis rendu douze jours plus tard, soit le 18 novembre 2006. À partir de la maison, Anne et moi avions 747 kilomètres à parcourir et le temps de conduite estimé était de 9 heures. Suivant la procédure coutumière lors d'un déplacement de cette importance, nous avons quitté Québec tôt dans la nuit pour arriver vers les 10h00-10h30. Ce que nous avons réalisé sans trop de problème. Heureusement pour nous, nous avons rencontré à destination Pierre Poulin, l'un des meilleurs observateurs de la Gaspésie (c'est d'ailleurs lui qui a trouvé le Vanneau huppé). Il nous a grandement aidé à trouver le tyran. Il était accompagné de Ginette Roy.

Ce Tyran gris était une première pour le Québec. Prise le 18 novembre 2006 à l'Anse-à-Beaufils, Percé. Photo prise en digiscopie.
Nous étions ravis. Nous avons quitté vers 12h00 pour le retour à la maison. Vers 21h00, nous étions assis dans le salon. De retour au bureau le lundi matin suivant, mes collègues me demandent ce que j'ai fait en fin de semaine. Je leur raconte notre périple et l'un d'eux me demande le plus naturellement du monde ce que cet oiseau faisait là, à des milliers de kilomètres au nord de son aire de distribution normale.

Je lui explique alors que les migrations des oiseaux peuvent se faire sur de longue distance selon l'espèce et que des situations hors de leur contrôle peuvent alors survenir. Les oiseaux peuvent se faire déporter sur de longues distances par un ouragan et aboutir à des endroits très inattendus. Il peut arriver aussi qu'un oiseau soit désorienté pour une raison ou pour un autre et qu'il se dirige vers le nord alors qu'il devrait aller vers le sud. Et mon compagnon de travail de commenter le plus sérieusement du monde "Comme ça tu es en train de me dire que tu as parcouru un millage de fou pour aller observer le plus mal pris, le plus inadapté, en fin de compte, le Ti-coune des oiseaux de son espèce." Je l'ai ri pas à peu près. Ce que j'ai aimé de cette analyse vite faite, c'est que ça ne se voulait pas méprisant, c'était juste bien envoyé.

Il y a plusieurs façons de pratiquer l'ornithologie et je respecte toutes ces façons, en autant qu'elles ne me briment pas dans ma liberté de la pratiquer comme je désire le faire moi-même. De très bons observateurs vont mettre tous leurs efforts pour explorer et documenter l'environnement immédiat où ils vivent. D'autres vont se dédier à la quête du plus grand nombre d'espèces observées au Québec. Pour d'autres, le terrain de jeu sera le monde. Et pour certains, il n'existera jamais de liste. Quelle est la différence ? Dans mon esprit, il n'y en a pas. Le dénominateur commun est la passion qui anime tous ces gens. Je n'ai pas toujours pensé comme ça. J'ai connu une période un peu pédante où je croyais tout-savoir-et-tout-bien-faire, où la façon de pratiquer l'ornithologie des autres me semblait inappropriée. 

Et, un jour, un ami m'a parlé d'un certain Ti-coune... oui, je vous l'assure, je l'ai bien ri.


Bibliographie consultée




*     Gauthier J. et Y. Aubry (sous la direction de) 1995. Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional. Association québécoise des groupes d'ornithologues, Société québécoise de protection des oiseaux, Service canadien de la faune, Environnement Canada, région du Québec, Montréal, xviii + 1295 p.

**   David, Normand. (1996). Liste commentée des oiseaux du Québec. Association québécoise des groupes d'ornithologues.

*** Site web de l'Atlas des Oiseaux nicheurs du Québec méridional:  
       http://www.atlas-oiseaux.qc.ca/.



         


2 commentaires:

lejardindelucie a dit…

J'ai d'abord cherché le sens de l'expression ti-coune!
Je suis plus optimiste: les oiseaux sont comme les ornithos, jeunes ils sont fougueux et curieux, plus tard vient la sagesse. Ce sont les plus intrépides des oiseaux, les plus curieux, ceux qui sortent du groupe qui ensuite se retrouvent loin de leur chemin ou de l'endroit où il fallait se rendre.
Il se battent ensuite pour survivre!

Anonyme a dit…

Je ne me suis encore jamais déplacé pour une rareté, ma situation familiale ne me le permettant pas. De toute façon, il me reste tant encore à découvrir à deux pas de chez mou ou lors de mes voyages et escapades planifiés. Je me vois bien toutefois à la retraite parcourir les routes du Québec avec mon mari, à la recherche de L'oiseau espéré. Ça nous sortiras de la routine. En attendant, je vais me satisfaire de "ma vieille âme" et opter pour la sagesse ;) Au fait, il y a peut-être le pélican d'Amérique vu tout près qui m'invitera au déplacement !...