Anne et moi nous nous rendons les 18, 19, 20 et 21 mai avec 21 autres membres du Club des Ornithologues de Québec (COQ) sur cette petite île, dans le cadre d'une activité régulière et bi-annuelle du COQ. Il y a tellement d'impondérables lorsque nous nous rendons à cet endroit que c'est impossible de prédire de façon certaine ce qui nous attend d'une fois à l'autre. Le point le plus litigieux se range sans aucun doute du côté de la température. S'il fait trop mauvais (pluies abondantes et continues, froids pénétrants, vents violents) ou s'il fait trop beau (soleil tout azimut, aucun vent, grandes chaleurs), les conditions ne sont pas optimales pour s'assurer d'une bonne présence de nos amis ailés. S'il fait trop beau, les oiseaux en migration ne sont pas poussés à toucher terre et ils continuent leur route migratoire jusqu'à leur terrain de nidification. J'ai connu ces conditions trop souvent dans un lieu migratoire comme Pointe Pelée dans le sud-ouest de l'Ontario, en bordure du lac Érié. Température trop belle égale moins d'oiseaux. Ce que nous pouvons espérer de mieux, c'est un mélange de toutes les températures. Ce sont des températures clémentes le jour avec un front froid la nuit. Ceci crée des conditions adverses qui agissent comme un mur incitant les oiseaux à se poser pour se nourrir afin de récupérer et de reprendre des forces pour la suite du périple.
Ces échouages d'oiseaux (ou fall-out) sont espérés par tout ornithologue. Mais il faut faire la différence entre une arrivée massive d'oiseaux suivant une nuit propice à un bon déplacement et un vrai "fall-out". Je n'ai connu un vrai "fall-out" qu'une seule fois dans ma vie et c'était le 6 mai 1972, à Pointe-Pelée. Une situation tellement unique et impressionnante alors que des centaines d'oiseaux gisent au sol, totalement épuisés à la suite d'une lutte féroce contre des conditions météorologiques adverses intenses. Ces oiseaux prennent réellement le temps de retrouver leur souffle avant de penser seulement à s'alimenter pour se refaire des forces. On peut alors observer les oiseaux à quelques centimètres seulement de nos pieds et ils ne semblent faire aucun cas de notre présence. Il est 6h00 du matin, à l'extrémité de la pointe et voilà que ces premiers "échoués" sont suivis de milliers d'autres qui ne se perchent que pendant quelques secondes dans les buissons environnants. Je suis alors accompagné de mon frère Clodin, un peintre animalier de renom, de Gaétan Couture et de François Lambert (2 biologistes en devenir) et nous convenons, devant le nombre ahurissant d'individus, de zones d'observation afin d'en manquer le moins possible. J'écope des premiers 2 mètres à partir du sol, Clodin des 3 à 4 mètres, ainsi de suite pour les autres. C'est irréel d'entendre tous ces noms d'oiseaux criés en anglais, car nous ne sommes vraiment pas seuls au bout de la pointe ce matin-là. À la fin juin de cette même année, je me retrouve à Jamaica Bay, en banlieue de la grosse pomme (New-York) et je rencontre une dame qui était là ce même matin à Pointe Pelée. Pour elle également, il s'agissait d'une première dans sa vie d'ornithologue amateure. Le monde est bien petit.
Maintenant, fini l'aparte, et revenons à nos moutons. Même si nous ne connaissons pas d'échouage lors de notre séjour, nous avons droit à des changements climatiques intéressants. Le 18 mai, nous accostons l'île vers 12h00. La température est superbe en cette première demie-journée. 45 espèces sont observées dans les 6 heures qui suivent. Comme on le sait, les heures en après-midi ne sont pas les plus productives pour entendre et voir toutes les espèces présentes sur le site. Plusieurs d'entre elles demeurent très discrètes. Cependant, les 7 espèces différentes de parulines nous réconfortent quant au "timing" de notre présence sur l'île. Ça indique que la diversité risque d'y être et c'est très motivant pour la suite.
Le 19 mai au matin nous trouve, Anne et moi, sur la côte nord-ouest de l'île alors que nos télescopes sont dirigés vers le large. Entre 7h00 et 8h15, nous sommes témoins du passage de 200 Plongeons catmarin, 10 Plongeons huard, 65 Petits Pingouins, 38 Fous de Bassan et 20 Guillemots à miroir. Ce qui nous étonne le plus, c'est l'absence complète de mouettes. Et comme les mouettes n'y sont pas, leurs harceleurs de prédilection, les labbes, risquent fort d'être absents eux aussi. Les canards de mer sont bien présents: 200 Eiders à duvet, 1 Eider à tête grise, 20 Macreuses à front blanc, 12 Macreuses brunes,30 Macreuses à bec jaune et 30 Hareldes kakawi. Deux Colibris à gorge rubis font la joie de bien des observateurs alors que ces bijoux ailés passent en super vitesse devant leurs yeux incrédules. Les deux espèces de roitelets sont très vocales et nous les entendons partout tout le long du sentier des basques. 10 espèces de parulines, 3 de pics et 5 de bruants se retrouvent dans les 72 espèces observées cette journée-là.
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cette Paruline masquée
ou cette Paruline à calotte noire
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Un Pic à dos noir femelle. Nous verrons deux femelles et un mâle durant la fin de semaine.
Je termine ce billet sur cette photo et je n'écrirai à nouveau que d'ici sept semaines environ. Dans cinq jours, je quitte pour une autre expérience en forêt boréale dans le cadre du projet de l'Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec. La région située au nord ouest de l'Abitibi nous attend, François Gagnon et moi-même, et elle va sûrement nous réserver de très belles surprises. Nous y passerons un miminum de six semaines.
J'ai bien hâte d'y aller et je vais sûrement avoir plusieurs aventures à vous raconter à mon retour, aventures que je documenterai avec quelques photos. Bel été 2012 à tous !