Un héron pas comme les autres
En livrée de reproduction, le Héron garde-boeufs est unique parmi les hérons blancs. Mais sous son
plumage ordinaire, sa distribution cosmopolite fait qu'il peut être
confondu avec bon nombre d'autres espèces. L'habitat terrestre où il se
nourrit et sa posture voûtée sont tous deux relativement inhabituels
parmi les espèces entièrement blanches de mêmes dimensions générales.
Voici, selon Handbook of the Birds of the World, les trois sous-espèces
reconnues au niveau planétaire:
- Bubulcus ibis ibis (Linnaeus, 1758) - Afrique et
Madagascar; sud ouest de l'Europe jusqu'à la mer Caspienne; les trois
Amériques du Canada jusqu'aux Guyanes et le nord du Chili; aussi le nord
est de l'Argentine ainsi que des points éparts au Brésil.
- Bubulcus ibis seychellarum (Salomonsen, 1934) - Les Seychelles.
- Bubulcus ibis coromanda (Boddaert, 1783) - sud et est de l'Asie jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.
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Jaune = nicheur Vert = résident Bleu = non nicheur |
Un envahisseur opportuniste et efficace
La sous-espèce observée sous les cieux du Québec est la race nominale
Bubulcus ibis ibis.
Le regretté Normand David, dans sa très fouillée
Liste commentée des Oiseaux du
Québec, mentionne au moins 160 présences sur le territoire du Québec
avant 1996. Normand le catalogue comme un
visiteur rare. Ces
présences sont en majorité notées lors des mois de migration ou de
dispersion post-nuptiale au printemps et à l'automne. En voici le
décompte: 59 pour avril et mai, 75 d'août à novembre (dont 36 en
octobre). Ce petit héron avait alors été signalé dans toutes les régions sauf au
Nord-du-Québec, au Témiscamingue et à Anticosti. Son statut au Québec
n'a pas changé depuis 1996. Il est rapporté de façon régulière à toutes
les années, mais en nombre infime.
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Bubulcus ibis ibis à Nicolet, le 27 octobre 2010.
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Mais quel est le berceau originel de la race nominale ibis ?
Elle se retrouve dans toute l'Afrique, à l'exception du Sahara aride,
tout comme à Madagascar et aux Comores, et sur les îles Aldabra et
Maurice. Cette sous-espèce s'est répandue en direction du nord en
Europe méridionale, où son aire de distribution couvre l'Espagne, le
Portugal et la France (Hafner 1970), et, vers l'est, Israël, l'Arabie, la Turquie, le Caucase au sud de Lenkoran et le delta de la Volga (Dementiev & Gladkov
1951). Elle s'est établie en Guyane en Amérique du Sud, par des
traversées transatlantiques pense-t-on, et de là elle a rayonné en
Amérique du nord et en Amérique du sud. Elle se reproduit sur tout le
littoral du Mexique, en Amérique centrale et aux Antilles. Des rapports
signalent que, à partir de là, le héron a établi tout d'abord des
populations reproductrices en Floride et au Texas au début des années
1950. En quelques années, il a étendu son aire nord-américaine le long
de la côte atlantique jusqu'au Canada et s'est installé en Californie.
Cette aire va actuellement jusqu'à Terre-Neuve, la nidification étant
commune à partir du sud du Maine tout au long de la côte atlantique.
Le Héron garde-boeufs fut observé pour la toute première fois en Amérique du Sud en 1880. Des individus repérés en Guyane en 1915 (Lowe-McConnell 1967) et en Colombie en 1917 (Wetmote
1963) sont considérés comme l'origine probable de ceux qui se
répandirent par la suite vers le nord et le sud pour constituer ce qui
est désormais une vaste aire de distribution à travers tout le nord de
l'Amérique du Sud. On estime que la déforestation, ici aussi, a joué un
rôle majeur en ouvrant au héron des zones où s'établir et se reproduire.
Migration
Dans le Nouveau-Monde, les populations septentrionales migrent vers le
sud en septembre et novembre, celles du Texas et de la Californie
partent pour le Mexique et l'Amérique centrale. Les Hérons garde-boeufs
orientaux se déplacent vers le sud par la Floride (Browder 1977) jusqu'aux Grandes Antilles, à l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud. Quelques-uns restent en Floride.
Chez cette espèce, il est difficile de distinguer la migration de la
dispersion, car ils ont une tendance marquée au vagabondage. Les
immatures d'Afrique du Sud se déplacent de 3 500 kilomètres vers le
nord, le Zaïre, l'Ouganda et la Zambie. En Europe, des non-reproducteurs
se trouvent régulièrement en Scandinavie et à l'ouest jusqu'en Irlande (Rutledge 1978). Dans le Nouveau-Monde, un individu de Californie a été retrouvé aussi loin au nord que l'Alaska (Gibson & Hogg
1982). Cette tendance est sans doute en grande partie responsable de la
forte extension de l'aire de distribution qui peut être caractérisée
par des incursions répétées, des colonisation temporaires, des
régressions et, selon les conditions, l'établissement dans des régions
de plus en plus distantes.
Habitat et régime alimentaire
Le régime de cette espèce varie selon l'habitat. Lorsqu'elle chasse au
milieu du bétail ou d'autres mammifères, elle mange en général des
insectes dérangés par les activités des animaux plus grands qui
broutent. Les sauterelles en constituent l'essentiel et les criquets
sont communément attrapés, mais d'autres insectes sont aussi capturés y
compris des coléoptères, des chenilles et des papillons, des teignes,
des punaises, des libellules et des araignées. Des mollusques, des
crustacés, des amphibiens y compris les grenouilles et les têtards, des
reptiles tels les lézards et les serpents, des poissons et des petits
mammifères comme les souris peuvent aussi entrer dans sa diète. On a
observé que des Hérons garde-boeufs mangent aussi les oisillons au nid de diverses espèces.
Et pour le Québec ?
Les travaux du deuxième Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec méridional,
qui se sont tenus de 2010 à 2014, ne rapportent aucune mention du Héron garde-boeufs en tant que nicheur potentiel au Québec. Pourtant qui aurait dit, avant 1984, que la Grande Aigrette
finirait par s'établir et se reproduire un jour au Québec ? Il aura
fallu les travaux du premier Atlas, de 1984 à 1989, pour le confirmer.
Trois nids ont alors été découverts sur l'île Dickerson, près de la
jonction des frontières du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York
(Bannon 1984).
Bien sorcier celui qui pourrait prédire où et quand pourrait s'établir le premier couple de Héron garde-boeufs
au Québec. Il était autrefois une espèce nicheuse rare en Ontario, mais
on n'a mentionné aucun nid dans la province depuis le milieu des années
1970 (Blokpoel et Tessier 1991; James 1991; Fichier de nidification des oiseaux de l'Ontario {ONRS}) .
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Bubulcus ibis ibis à Saint-Barthélemy, le 09 novembre 2019. |
@ bientôt.
Bibliographie
del Hoyo, J., Elliott, A. & Sargatal, J. eds. (1992) Handbook of the Birds of the World. Vol. 1. Ostrich to Ducks, Lynx Edicions, Barcelona.
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Cadman, M.D., D.A. Sutherland, G.G. Beck, D.Lepage et A.R. Couturier (dir.) 2010.
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Robert, M., M.-H. Hachey, D. Lepage et A.R. Couturier (dir). 2019.
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Les Oiseaux nicheurs du Québec: Atlas des oiseaux nicheurs du Québec méridional.
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