vendredi 11 mars 2016

Des airs de printemps




Après deux bonnes bordées de neige consécutives et qui ont laissé au sol une trentaine de centimètres de neige supplémentaires, il fait plaisir de s'évader en ce beau samedi matin ensoleillé du 5 mars 2016.



Ni verglas, ni ciel gris, ni vents décoiffants. Dès la sortie de la maison, vers les 08h00, nous sentons la chaleur du soleil sur nos joues. Direction la rive sud, vers le beau comté de Lotbinière. Tout comme nos amis les oiseaux, nous obéissons à une routine bien établie lors de nos excursions. Ce faisant, nous connaissons chaque recoin du territoire visité. Nous savons que telle espèce se tient dans telle zone et nous la saluons au passage. Cette expertise des milieux nous permet de mieux constater les changements d'habitats ou le degré de fréquentation des espèces d'oiseaux. Dans un milieu donné, une espèce peut disparaître pour laisser place à une autre. Rien d'alarmant. Les habitats changent et il est normal que les êtres qui les fréquentent fassent de même.



Notre premier arrêt à un poste d'alimentation habituellement bien fréquenté nous indique déjà que la journée sera généreuse. Un air de printemps envahit les lieux. Des dizaines de Roselins pourprés sont bien en voix et leurs doux gazouillis se mêlent à ceux des Tarins des pins, des Chardonnerets jaunes et des Sizerins flammés. C'est un vrai délice pour l'ouïe que d'entendre tous ces sons qui indiquent bien que le printemps est à nos portes.




Roselin pourpré / Carpodacus purpureus purpureus / Purple Finch



On dirait qu'une vague migratoire de roselins a déferlé dans le ciel de Lotbinière en cette journée, car nous en croisons tout le long de notre route et par petits groupes. Habituellement, nous nous comptons chanceux d'observer un couple. Il en est de même pour une bonne quarantaine de Corneilles d'Amérique qui croassent à qui mieux mieux alors qu'elles sont perchées dans les arbres environnants.





Les anglais appellent ces rassemblements de corneilles, des "parliament of crows". Ça me fait toujours sourire.




Corneille d'Amérique / Corvus brachyrhynchos brachyrhynchos / American Crow


 
Et voilà que le plus gros de nos corvidés, le Grand Corbeau, passe en vol en transportant une branche dans son bec. Je n'ai pas le temps de dégainer la caméra, mais voilà qu'arrive le deuxième membre du couple. C'est ma chance. Le corbeau construit son nid au début du mois de mars sous nos latitudes. Il peut le faire dans une falaise, dans une grande structure ou dans un conifère. Le couple se dirige résolument vers une forêt au-dessus de laquelle ils disparaissent.




Grand Corbeau / Corvus corax principalis / Common Raven




Et comme il arrive quelques fois, une grosse surprise nous attend le long de la route. Alors que nous roulons très lentement sur le rang Bois Francs ouest, à Saint-Apollinaire, mon regard est attiré par un oiseau perché dans un arbuste à quelques mètres du véhicule. Je freine, je pointe mes jumelles et j'ai juste le temps, avant son envol, d'identifier une espèce inusitée en hiver dans notre région. Il s'agit d'un Moqueur roux / Toxostoma rufum rufum / Brown Thrasher. Cet individu a probablement hiverné dans ce secteur puisque cette espèce est migratrice et les premiers n'arrivent que vers la fin du mois d'avril dans cette région du Québec.



Ce moqueur farfouille dans la végétation dégagée de neige devant une porte de garage exposée au soleil du matin.



Au début des années 1970, j'ai eu la chance de  trouver un nid de Moqueur roux. À ma surprise, il était au sol, au pied d'un arbuste assez branchu. Malgré sa grosseur, cet oiseau passe souvent inaperçu. C'est un oiseau habitué à se déplacer rapidement en courant sur le sol. Cette photo nous montre bien son comportement lorsqu'il se déplace en milieu ouvert. Le plus souvent, nous le repérons facilement à son chant qui peut être constitué de plus de 1 100 types différents. Et il a l'habitude de se percher bien en vue lorsqu'il chante.



Ce Moqueur roux / Toxostoma rufum rufum / Brown Thrasher me rappelle le Grand Géocoucou / Greater Roadrunner (espèce des déserts du sud-ouest américain)  dans la pose aérodynamique qu'il adopte lors d'une course.




Anne et moi sommes ravis de cette sortie qui sent le printemps à plein nez. Cependant, pas d'arrivée des petits oiseaux noirs que sont les carouges, quiscales et vachers. Et bien, ce matin, le 11 mars 2016, je sors en solitaire, car Anne travaille. Je me dirige vers le chemin Aubin, dans le secteur Saint-Nicolas de la ville élargie de Lévis. Le soleil brille par son absence, ce qui déçoit un peu le photographe en moi. L'ornithologue, lui, est un peu fébrile de constater si les "oiseaux noirs" sont de retour de leurs quartiers d'hiver. 



En cours de route, je ne peux m'empêcher de faire un arrêt en entendant mon amie chérie la mésange. Ceux qui suivent ce blogue connaissent mon faible pour cette espèce. Et je sais très bien qu'elle n'est jamais seule. Elle sait s'entourer de ses amis les fringillidés, les sittidés et les picidés. C'est immanquable. Quelques chuintements plus tard, me voilà entouré d'une jolie marmaille très bruyante et enjouée.



Il est facile d'attirer la diminutive Sittelle à poitrine rousse / Sitta canadensis / Red-breasted Nuthatch. Juste à lancer une série de "hank" très nasaux et le tour est joué. Quelques secondes plus tard, vous avez la petite curieuse à quelques mètres de vous.  Pour ce qui est de sa plus grosse cousine, la Sittelle à poitrine blanche, le "hank" est moins nasal, mais l'imitation fonctionne tout autant.



Après m'être concentré sur la sittelle, je me tourne maintenant vers la mésange que j'attire facilement en sifflant un "niaiSEUX" bien senti. La Mésange à tête noire / Poecile atricapillus atricapillus / Black-capped Chickadee se tient en couple en période de nidification. Le couple protège alors jalousement son territoire. En hiver, les mésanges occupant des territoires limitrophes se rassemblent en petits groupes comptant chacun une dizaine d'individus. Ainsi réunies, elles peuvent plus facilement trouver de la nourriture pour le groupe ou se prémunir contre les attaques de prédateurs comme les faucons, les éperviers ou les pie-grièches. Le printemps revenu, le mâle émet un sifflement caractéristique en 2 notes, ce que j'interprète par "niaiSEUX". J'ai remarqué qu'il le fait aussi en hiver, mais c'est toujours en réponse au sifflement que j'émets pour provoquer son approche. 



Me voilà arrivé vers les 09h30 à mon endroit préféré sur le chemin Aubin. Et je ne suis pas déçu car, alors que je suis encore assis dans l'auto, la vitre baissée, le cri des carouges et des quiscales me chatouillent les tympans. Quelques instants plus tard, je les avais dans mes jumelles et dans ma caméra. Pas des photos qui feront la page couverture d'une revue, mais des photos pour tout simplement commenter l'instant magique.



Le chant du Carouge à épaulettes / Agelaius phoeniceus phoeniceus / Red-winged Blackbird ne figure certainement pas dans le palmarès des chants d'oiseaux les plus beaux. Mais il est sans aucun doute celui que les ornithologues Québécois accueillent au printemps avec la plus grande joie. Enfin, le printemps est ici. Reste juste à patienter une couple de mois avant l'arrivée des colorées parulines.



Appartenant à la même famille des ictéridés, voici le Quiscale bronzé / Quiscalus quiscula versicolor / Common Grackle. Lui aussi on l'attend au printemps, mais pas avec une aussi grande expectative. Son cri grinçant n'est d'ailleurs pas très musical.


Et oui, maintenant que la première vague migratrice a rejoint nos latitudes, tous les espoirs sont permis. Il y aura en succession l'arrivée des espèces attendues et il y aura le lot d'espèces qui ne prennent pas le bon couloir de migration et qui se ramassent parfois à des milliers de kilomètres de leur point de chute normal. Les unes comme les autres feront de toute façon notre bonheur.


Tout le monde à ses jumelles... et...



@ bientôt.






mardi 1 mars 2016

Voyage voyage (partie 1)




"N'ayez jamais peur de la vie, n'ayez jamais peur de l'aventure, faites confiance au hasard, à la chance, à la destinée. Partez, allez conquérir d'autres espaces, d'autres espérances. Le reste vous sera donné de surcroît."(Henry de Monfreid)


Il y a différentes façons de voyager et les voyages ne revêtent pas la même forme selon notre âge et selon notre expérience de la vie. Si je partage ce récit aujourd'hui c'est juste pour montrer que tout est possible à l'homme qui croit en lui et en la vie.


Je découvre la beauté des oiseaux à l'âge de 12 ans, alors que je suis en 8ième année (en secondaire 2 pour les Québécois). Étant le 14ième enfant d'une famille en comptant 16, il est facile de comprendre que la situation immédiate ne me prédispose pas à pouvoir un jour seulement espérer voyager autour de la planète. La maison paternelle se situe en campagne, dans un petit village où vivent encore des agriculteurs. La cour arrière jouxte un champ où pacagent des bovins. En fait, ce ne sont que des champs agricoles qui nous séparent d'une forêt située à un peu moins d'un kilomètre. Je me revois appuyé à la fenêtre de ma chambre, située au deuxième étage et qui donne sur les champs, écoutant au printemps le chant envoûtant d'un Merle d'Amérique / Turdus migratorius migratorius / American Robin.



Le chant du Merle d'Amérique est l'un des plus enchanteurs à entendre dès les premiers jours printaniers au Québec. Photo réalisée le 26 janvier 2012 à Sillery, ville de Québec, Québec.


C'est me laissant bercer par ses ritournelles que mes rêves de voyage naissent. Ils me portent au-delà de cette forêt que je peux voir à l'horizon, toujours à partir de cette même fenêtre, et qui représente le plus loin où je pourrai un jour espérer m'aventurer. Du moins, c'est ce que je crois à cette époque de ma vie. Mon regard est captivé par les oiseaux qui passent en vol au-dessus de la maison. Quelques uns, non pas tous, se dirigent vers ces limites visuelles. Ils les atteignent, les dépassent et disparaissent au-delà de l'horizon. Je rêve au jour où je transgresserai moi-même ces limites pour découvrir ce qui se cache derrière.



Quelques années plus tard,  je me rends seul en raquettes dans cette forêt par une très froide matinée de janvier. Enfin, me voilà arrivé au bout de MON monde. J'observe alors pour la première fois de ma vie un oiseau bleu d'une grande beauté. Un magnifique Geai bleu / Cyanocitta cristata bromia / Blue Jay se fait d'abord entendre puis arrive en vol pour finalement se percher dans un arbre dépourvu de feuilles. Combien de fois je l'avais regardé ce bel oiseau dans mon premier guide d'identification des oiseaux tout en me disant que je ne le verrais peut-être jamais ? Dans les années 1960, l'alimentation des oiseaux dans les arrière-cours n'est pas encore répandue de sorte que les geais ne s'approchent pas des maisons comme ils le font aujourd'hui. En le voyant apparaître devant moi, en pleine forêt, je comprends à ce moment que partir à l'aventure peut comporter son lot de belles surprises.






Heureusement le village où je grandis est situé tout près du grand fleuve Saint-Laurent. La région est agricole et les milieux ouverts sont circonscrits par des forêts plus ou moins vastes. La monoculture extensive n'est pas encore à la mode et les différents habitats apportent leur lot de bio-diversité. Il y a de quoi s'amuser amplement pour un passionné de nature en herbe. Comme mes parents ne possèdent pas d'automobile, mes premiers "voyages d'exploration" se font à pied, à bicyclette ou en raquettes.


Mon intérêt pour les oiseaux s'éveille donc à l'aube de l'adolescence alors qu'un jeune professeur de sciences naturelles des plus enthousiastes, Gabriel Allaire, présente à tous les élèves de la classe des petites cartes "Red Rose" sur lesquelles sont représentés les oiseaux chanteurs du Québec. Sa passion pour la nature est contagieuse et il n'en suffira pas plus pour qu'une grande amitié naisse entre nous. Une amitié qui perdure encore aujourd'hui en 2016, après 53 ans. C'est à lui que je dois mes premières excursions en dehors des limites imposées par ma situation d'alors. Grâce à ces sorties, je découvre des espèces inconnues pour moi et moins communes comme la Tourterelle triste !!!!  Et oui, elle commençait seulement à envahir le Québec au milieu des années '60. Aujourd'hui, elle est très abondante. Et voici une photo de cette espèce prise au poste d'alimentation de Gabriel le 2 février 2016, à Cap Rouge, Québec.






Si mon père biologique m'a donné la vie, Gabriel, mon père ornithologique, a donné un sens à ma vie. Et, pour éviter toute ambiguïté, je me sens aussi redevable à l'un comme à l'autre. Chef de département de biologie d'une polyvalente, Gabriel me permet d'obtenir un poste d'appariteur. Et c'est à partir de là que mon âme de voyageur s'éveille. Avec l'aide d'un autre ami professeur, Denis Lacroix, le Club des Ornithologues de Pamphile Lemay et les Jeunes Naturalistes du Comté de Lotbinière voient le jour. Alos que le COPL est actif durant la période scolaire, le JNCL l'est durant l'été.



27 dessins ont été présentés au CA du JNCL pour le choix d'un sigle et c'est Denis Rousseau qui a gagné le concours.


Dans le cadre de Perspectives Jeunesse, un programme gouvernemental permettant de créer de l'emploi aux étudiants durant l'été, Denis Lacroix, au nom du JNCL, fait l'acquisition d'un vieil autobus scolaire que les membres du club transforment pour qu'il puisse servir de local à des fins pédagogiques. L'idée première est de monter une bibliothèque de sciences naturelles ambulante ainsi qu'un petit laboratoire où seront mis en démonstration des microscopes, des binoculaires, des jumelles, des télescopes et autres instruments afin de les rendre disponibles aux élèves des petits villages d'alentour qui n'offrent pas ces infrastructures au niveau municipal. L'idée est merveilleuse et notre enthousiasme est sans limite.



Labo mobile du JNCL à la fin  des années 1970. Photo Denis Lacroix, Sainte-Croix-de-Lotbinière, Québec.



Nous montons une bibliothèque intéressante à partir des contributions personnelles des membres du club. Malheureusement, l'autobus-labo est vandalisé et nous nous retrouvons gros Jean comme devant i.e. avec l'obligation de tout recommencer. Ayant moi-même fourni des livres auxquels je tenais, je dois accuser la perte et je ne peux même pas penser à les remplacer. C'est alors que Denis suggère une idée un peu folle. Pourquoi ne pas récompenser les élèves qui s'impliquent vraiment durant la période scolaire en leur offrant l'occasion de voyager durant la saison estivale ?  Ouais, encore une idée intéressante, mais que faire si les parents des jeunes n'ont pas les moyens financiers pour couvrir les dépenses inhérentes à ce projet ?  "Pas de problème" de répondre Denis, "nous organiserons des activités de levée de fonds". Un berce-ton et des collectes de papiers journaux plus tard, nous offrons aux jeunes méritants des occasions exceptionnelles de voyager. Grâce aux contacts de Denis, nous pouvons aussi compter sur l'aide financière des Caisses Populaires et des Clubs Optimistes des villages aux alentours. Les voyages forment la jeunesse, paraît-il ? Il n'y a pas meilleure façon, ajouterai-je !   


C'est ainsi que je vis mes premiers voyages mémorables "à l'étranger": Pointe Pelée en Ontario, Jamaica Bay à New York, l'île du Cap Breton, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et des coins du Québec comme la Gaspésie (5 fois avec le club) et la côte nord. Nous faisons également des sorties à Baie-du-Febvre, à la Commune de Berthier, au Cap Tourmente...


"Les grands voyages ont ceci de merveilleux que leur enchantement commence avant le départ même. On ouvre les atlas, on rêve sur les cartes. On répète les noms magnifiques des villes inconnues..."(Joseph Kessel)
 

Grâce à l'enthousiasme de Denis Lacroix, cette belle aventure dure près d'une dizaine d'années. De mon côté, je décide de retourner aux études au niveau collégial et je dois prendre pension durant toute la semaine. Mon implication en souffre. Et une réforme du programme scolaire fait que les professeurs ne peuvent plus s'impliquer en dehors de leur horaire régulier de cours auprès des passionnés des sciences. Les laboratoires ne sont plus accessibles en dehors des cours réguliers et les coupures de budget administratives occasionnent la fin des activités du midi. Tout cela provoque un manque d'intérêt auprès des jeunes. Et c'est le début de la fin pour le JNCL. Je ne remercierai jamais assez Denis Lacroix pour tout ce qu'il a fait auprès des jeunes. Toujours disponible, toujours souriant, toujours spirituel et, surtout, éternellement optimiste devant le boulot ou les murs à abattre. Les hommes de sa trempe sont rares.


@ bientôt pour la suite des voyages vers l'international.


"Le voyage pour moi, ce n'est pas arriver, c'est partir. C'est l'imprévu de la prochaine escale, c'est le désir jamais comblé de connaître sans cesse autre chose, c'est demain, éternellement demain." (Roland Dorgelès)