jeudi 12 avril 2012

Tétras du Canada / Falcipennis canadensis

En ce vendredi saint, 6 avril 2012, Anne et moi partons de la maison avec l'idée en tête de "régler le cas" à l'un de nos oiseaux Némésis au Québec. Un oiseau Némésis ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, me demanderez vous ? Eh bien, le nom de Némésis dérive du terme grec νείμειν (neïmenn), signifiant « le don de ce qui est dû ». Donc, on devine tout de suite une sorte de frustration puisque son usage implique clairement que l'on ressent ne pas avoir encore en notre possession ce qui nous reviendrait légitimement. En partant du corollaire que les ornithologues ne ménagent habituellement aucun effort pour observer les oiseaux, ceci signifie que BEAUCOUP d'efforts ont été mis en oeuvre antérieurement pour observer une espèce d'oiseau Némésis, sans le résultat escompté. Nous avons tous quelques unes de ces espèces dans le collimateur. Et l'une de ces espèces pour Anne et moi, vous le devinerez aisément en lisant le titre de ce billet, est le Tétras du Canada / Falcipennis canadensis / Spruce Grouse.

D'entrée de jeu, il faut établir que ce tétras est loin d'être rare. C'est juste que Anne et moi sommes en couple depuis près de sept ans et que, malgré le fait que nous l'ayions observé chacun de notre côté à quelques reprises, nous ne l'avons jamais fait ensemble. Enfantillage que seuls les ornithologues aux multiples listes sont capables de. Mais, comme on dit souvent, "à chacun son jouet".

Ce tétras se retrouve uniquement dans les forêts boréales et il est reconnu pour son comportement tout à fait sans inhibition envers l'homme. Il n'éprouve aucune peur envers les humains et son observation de très près est possible surtout durant la saison de la reproduction qui se situe à la fin mars/début avril au Québec. Et, avec les informations obtenues de Joël Moreau, Denise Lacasse, Gilles Tardif et Jean-Pierre Ouellet, nous nous rendons à la Forêt Montmorency au moment de l'année où l'observation de la parade des mâles devant les femelles se fait aisément. Pour en savoir un peu plus sur la Forêt Montmorency, lire mon billet du 11 janvier 2012 " la forêt boréale ou le royaume de l'usnée".

Nous nous retrouvons donc à la Forêt Montmorency vers les 8h00 du matin. Nous passons par la réception pour payer les frais d'entrée ($4.25 par personne) et nous nous dirigeons ensuite dans un secteur très près où un mâle de Tétras du Canada a été observé récemment en train de parader devant deux femelles. La température est idéale, aucun vent et les fringillidés présents sont très en voix. Nous maraudons 90 minutes dans le même secteur, passant et repassant dans nos propres traces, patients et résolus à trouver enfin notre oiseau Némésis. Notre quête nous permet l'observation d'autres espèces et je réalise quelques photos:

Ce mâle de Sittelle à poitrine rousse / Sitta canadensis / Red-breasted Nuthatch se tient devant l'ouverture de la cavité abritant son nid. Mon attention a été attirée par les incessants aller et retour du couple autour de ce point.


Des dizaines de Tarin des pins / Carduelis pinus / Pine Siskin se rassemblent sur un tas de poussière de pierres afin d'ingurgiter de très petits cailloux qui se retrouveront dans son jabot, un renflement de son oesophage où sont ramollies les graines avant de descendre dans son estomac.


La Mésange à tête brune / Poecile hudsonica / Boreal Chickadee, le Junco ardoisé / Junco hyemalis / Dark-eyed Junco, le Sizerin flammé / Carduelis flammea / Common Redpoll et le Bec-croisé bifascié / Loxia leucoptera / White-winged Crossbill sont très actifs tout autour alors que le Grand Corbeau / Corvus corax / Common Raven lance son cri rauque à intervale régulier. 

C'est Anne qui repère finalement un beau mâle de tétras qui se tient en terrain ouvert alors qu'il fait le beau devant une femelle bien maquillée comme il se doit, mais totalement indifférente aux pirouettes du macho.

Ce coq de Tétras du Canada est en pleine possession de tous les attributs qui lui permettront de convaincre une femelle qu'il est LE mâle à rencontrer dans le secteur pour assurer la pérennité de l'espèce.

Elle est également bien belle cette femelle qui semble toute soumise à son beau prétendant. Elle est cependant plus occupée à se nourrir ou à cueillir de petits cailloux qu'à se pâmer devant les charmes de son macho de compagnon. Le couple vaque lentement, sans se soucier de notre présence, à leur activité. Après une quinzaine de minutes, il se dirige lentement sous le couvert des épinettes, sur la neige.
Le mâle continue à étaler ses charmes... et la femelle à l'ignorer.

Après quelques minutes, la femelle s'envole et se perche dans une Épinette noire où elle nous lance un coup d'oeil furtif. Pendant ce temps, le mâle se déplace en marchant dans la neige, sous cette même épinette.



Quelle belle rencontre avec un autre trésor bien caché dans la forêt boréale !  C'est la première fois que nous assistons à la parade du mâle et que nous voyons la femelle en plumage si coloré. Et dire que de leurs ébats naîtra un oisillon qui n'aura rien à envier à tant de beauté et de grâce:


Cet oisillon de Tétras du Canada n'a que quelques jours et pourtant il est capable de se déplacer et de se nourrir par lui-même. Photo prise le 25 juin 2011 au nord du Réservoir Gouin.










dimanche 1 avril 2012

L'insaisissable Corneille


Tandis que des ailes jaillissent de ses épaules, Coronis, ou Corneille, échappe au lascif Neptune.
Illustration et texte tirés du livre "Corbeaux, les plus malins des oiseaux" de Candace Savage, Éditions du Boréal 2006.



Ovide raconte dans les Métamorphoses qu'il était une fois une princesse si belle qu'elle attira l'attention du dieu de la mer, le lascif Neptune. Ne réussissant pas à la séduire avec des paroles caressantes, Neptune, enflammé, voulut la prendre de force.

La jeune fille implora les cieux de lui venir en aide. Minerve, la vierge-déesse de la sagesse et de la guerre, répondit à sa prière et changea la vulnérable princesse en corneille insaisissable.

"Je tendais les bras au ciel, dit Corneille dans le conte d'Ovide, mes bras commencèrent à se couvrir d'un noir duvet. J'essayais de rejeter ma robe de mes épaules, mais elle était devenue un plumage qui avait poussé dans ma peau de profondes racines. Je m'efforçais de frapper mon sein nu avec mes mains; je n'avais plus ni mains, ni sein nu."

Une fois qu'elle se fut envolée, Corneille s'enfuit, sa vertu intacte, et se mit au service de Minerve.



Cette Corneille d'Amérique / Corvus b.brachyrhynchos / American Crow semble avoir adopté ma cour pour la première fois en 7 ans. Elle a été présente dans les environs tout l'hiver et elle se perche souvent dans un grand érable jouxtant notre stationnement... juste au dessus de notre véhicule. Cette habitude est facilement décelable par les marques qu'elle laisse sur la Toyota Matrix. Photo prise de la fenêtre de la cuisine.


Qui aurait pu deviner que notre corneille, tout de noir vêtue, puiserait son origine chez une belle princesse grecque ?  Sûrement pas moi. Il faut avouer que la corneille, à l'instar de bien d'autres oiseaux noirs, n'attire pas tellement la sympathie de la population en général. Dans la culture générale de plusieurs peuples, la couleur noire est souvent associée à la malédiction, à la sorcellerie, aux démons et à la mort. Et, comme si ce n'était pas assez, la corneille émet des sons qui engendrent plus l'exaspération que l'émerveillement. Elle se tient le plus souvent en petits groupes qui interagissent beaucoup entre eux autant par des provocations physiques que par des envolées vocales assez énervantes merci. C'est la cacophonie portée à son paroxysme. Les anglais nomment ces rassemblements des "parliaments of crows" et l'image évoquée est tellement appropriée. De plus, elle adopte selon les saisons des dortoirs pouvant accueillir des centaines, voire même des milliers, d'individus. Omnivore et curieuse, elle s'intéresse à toutes les sources potentielles de nourriture, allant même jusqu'à éventrer les sacs d'ordures déposés le long de la route pour être ramassés par les vidangeurs. Cette espèce, autant forestière que citadine, craint l'homme, mais elle n'hésite pas à le côtoyer dans la vie de tous les jours. Elle est à la fois confiante et furtive. On ne pénètre pas facilement sa zone de confort.

Si, pour expliquer son origine, on passe de la fable aux données scientifiques, voici ce qu'on pourrait dire des Corvidés, famille à laquelle appartient notre Corneille d'Amérique / Corvus b.brachyrhynchos / American Crow. Cette famille comprend 24 genres, 123 espèces et 359 taxons différents. Les taxons comprennent les espèces et les sous-espèces. Elle est répandue mondialement à l'exception faite de l'Antarctique et de quelques îles océaniques. Les membres de cette famille vivent sous une grande diversité de conditions, allant de l'Arctique jusqu'aux déserts les plus arides, à des élévations à partir de dessous le niveau de la mer jusqu'à 6 400 mètres d'altitude, sur les îles ou les continents, dans les régions urbaines ou sauvages. Ils ont su s'adapter à toutes les conditions imaginables.

Les premières études basées sur les patrons du plumage, le comportement, la morphologie et les affinités écologiques et celles plus récentes faites au niveau moléculaire, tendent à démontrer que la famille des Corvidés origine d'un ancêtre unique. En d'autre mot, elle est monophylétique. Sibley et Ahlquist proposent que l'origine du groupe provient de l'Australie, d'où un ancêtre s'est dispersé jusqu'en Asie. Plus tard, le groupe a irradié vers l'Europe. Des récentes analyses de tous les genres composant la famille des Corvidés par G.P. Ericson, et plusieurs collaborateurs, ont été réalisées en se basant sur les séquences de l' ADN. Ces résultats supportent l'idée que l'origine du groupe date de la séparation de la plaque tectonique Australo-Papouasienne de la plaque tectonique Antarctique à l'ère Tertiaire, il y a de cela quelques 53 millions d'années.


À cette époque, les oiseaux chanteurs (ou oscines), auxquels les Corvidés appartiennent, profitèrent de la proximité de la plaque tectonique Australo-Papouasienne de celle de l'Asie pour se disperser sur ce dernier continent. Le fait que le plus grand nombre de genres de Corvidés se retrouve en Eurasie, fait qui a d'ailleurs été mentionné dès le premier livre monographique sur ce groupe écrit par D. Goodwin, est tout à fait pertinent avec la théorie avancée. À partir de l'Eurasie, les Corvidés se sont dispersés vers l'Afrique et vers les Amériques. Et voici tracé le portrait actuel de la distribution de cette famille dans notre monde contemporain. Tel que mentionné antérieurement dans ce billet, cette famille est absente seulement en Antarctique et sur quelques îles océaniques. L'ancêtre des Corvidés était, presque certainement, un habitant des forêts. L'époque de la grande dispersion des oiseaux chanteurs s'est faite de la fin du Oligocène jusqu'au Miocène, il y a de 28 à 7 millions d'années. Pendant ce temps, les forêts pluvieuses de l'Australie du début du Tertiaire ont été largement remplacées par les forêts de savanes ou même par des habitats encore plus arides. De tels changements ont certainement induit une adaptation ou ont provoqué une dispersion encore plus grande.

Au Québec, nous retrouvons quelques espèces appartenant à la famille des Corvidés et ce ne sont pas que des oiseaux noirs, les voici:


Geai bleu / Cyanocitta cristata / Blue Jay. Oiseau familier et commun au Québec. Il fréquente les postes d'alimentation autant dans les campagnes que dans les villes.

Mésangeai du Canada / Perisoreus canadensis / Gray Jay.  Oiseau assez commun, mais vraiment confiné aux forêts boréales. Très peu méfiant, il s'approche de l'homme et il se perche même sur la main qui lui tend quelque chose à manger. Les bûcherons le surnomment "whisky jack". 

Le Grand Corbeau / Corvus corax / Common Raven est beaucoup plus commun aujourd'hui au Québec qu'il ne l'était il y a une couple de décennies. Ils nichent maintenant tout près des villes et nous l'observons ou l'entendons à presque toutes nos sorties ornithologiques.

La Corneille d'Amérique ne peut tolérer le passage d'un rapace au-dessus de son territoire. Ici, deux corvidés harcèlent autant de Buses pattues / Buteo lagopus / Rough-legged Hawk alors que ces dernières tournoient au-dessus d'un champ dans la région de Baie-du-Febvre. Si les corneilles nichent dans la région, les buses vont remonter bientôt plus au nord pour nicher dans la toundra.



Après avoir jeté deux regards bien différents sur l'origine des Corvidés, je dois admettre que je ne verrai plus cette famille de la même façon. De savoir que nos espèces québécoises (ou plutôt leurs ancêtres) ont transité sur presque tous les continents de la planète avant d'arriver au Québec me remplit d'admiration. Et de savoir qu'une jolie princesse se cache peut-être sous les plumes d'une corneille me remplit... d'imagination.

@ bientôt.