mardi 20 mars 2012

Petite Nyctale / Aegolius acadicus



J'ai toujours eu un penchant marqué pour les hiboux et les chouettes. Comme ce sont des êtres qui vivent habituellement à l'envers de nous, i.e. qu'ils s'activent la nuit alors que pour nous c'est le jour, c'est toujours spécial de tomber nez à bec avec cet être énigmatique. Et le regard intense qu'ils nous lancent ne nous laisse jamais indifférent et il peut même nous faire passer par diverses émotions selon la grosseur du rapace nocturne. Ce regard peut être comique (dans le cas des nyctales et des chevêchettes), intriguant (dans le cas des hiboux et des chouettes de taille moyenne) ou littéralement inquiétant (dans le cas du Grand-duc d'Amérique). En fait, quand un Grand-duc nous fixe avec ses grands yeux jaunes, nous avons l'impression qu'il voit à travers de nous, tellement son regard est perçant et profond. Je suis bien content, à ce moment-là, de ne pas avoir la taille d'un Lièvre d'Amérique, sa proie préférée.

Contrairement à l'idée largement répandue, il peut arriver que les hiboux vocalisent le jour. Et c'est toujours un beau cadeau que le strigidé nous fait, car il est habituellement très difficile à localiser lorsque nous devons compter seulement sur la vue. Son plumage cryptique, son comportement léthargique en plein jour et son habitude d'adopter un dortoir situé dans un feuillu ou un conifère fournis, concourent à lui assurer une bonne retraite en plein jour.

Je finis mon dernier billet en parlant d'un essai manqué à la Base de Plein Air de Sainte-Foy alors que je reviens à la maison bredouille, n'ayant pas réussi à trouver la Petite Nyctale / Aegolius acadicus / Northern Saw-whet Owl tant souhaitée. Ce strigidé est la plus petite chouette observable au Québec. De moeurs plutôt nocturnes, il faut souvent compter sur la chance pour croiser ce rapace petit format en plein jour. Le meilleur temps pour le faire est en début de printemps (mars-avril) alors que l'oiseau est actif vocalement pour revendiquer un territoire et attirer une femelle. La nyctale devient assez agressive lorsqu'on fait la repasse de son chant et elle est alors facile à attirer (surtout durant la période de nidification). Il semble que le printemps 2012 en soit un très hâtif, d'environ deux semaines sur les dates d'arrivée colligées depuis quelques décennies. Depuis environ une semaine, plusieurs ornithologues amateurs ou professionnels font des sorties nocturnes afin de documenter la présence des hiboux à travers la province de Québec, au sud du 50ième parallèle. Cette activité se fait dans le cadre de l'Atlas des oiseaux nicheurs du Québec.

Des échanges tout à fait intéressants ont eu lieu dernièrement sur le forum de discussion de cette organisation sur les différentes techniques rattachées à l'activité d'écoute. Louis Imbeau, un biologiste établi en Abitibi, nous a transmis cette information que je me fais un grand plaisir de transmettre via ce billet.

"Les nyctales sont véritablement des oiseaux nomades qui recherchent les sites avec une abondance de rongeurs. Il n’y a aucune fidélité au site de nidification dans le cas de la Petite Nyctale. En Ontario, le nombre de mâles chanteurs Petites Nyctales est bien corrélé à l’abondance de petits mammifères, selon une publication scientifique récente.  L’abondance de couples dans des réseaux de nichoirs varie annuellement de façon importante, et tout indique que les adultes se déplacent et nichent d’une année à l’autre là où les rongeurs sont abondants. Il semble que 2012 soit une bonne année dans les Laurentides, nous avons eu une année exceptionnelle en Abitibi en 2006 pour cette espèce. Profitez-en pendant que ça passe! Quand les mâles seront appariés et que la ponte sera terminée, vos sorties redeviendront beaucoup plus calmes. Le « pic » de chant s’étale sur 2-3 semaines uniquement."

Personnellement, je ne savais pas que les nyctales pouvaient être nomades. Et peut-être que certains individus adoptent un territoire où la compétition est moins forte et où les proies sont en nombre suffisant pour assurer la survie. Je connais un endroit, situé à une soixantaine de kilomètres de chez moi, où l'espèce est présente depuis une bonne décennie. Et, c'est le samedi 17 mars que je décide de m'y rendre avec Anne. Nous arrivons sur les lieux vers 14h30, sous un soleil radieux et une température avoisinant les 8°C. J'émets son sifflement qui consiste en deux notes assez graves.

Je répète l'exercice de 6 à 8 fois, en gardant une couple de minutes entre les séances qui ne durent pas plus d'une dizaine de secondes chacune. Et voilà que la nyctale répond. Je me tais et nous nous approchons du lieu de provenance du son. Mais elle devient muette lorsque nous parvenons à proximité. Alors que je commence à désespérer vraiment, la voilà qui recommence son monologue tout près. Je continue à siffler et je perçois du coin de l'oeil le mouvement d'un oiseau de petite taille qui arrive en vol, mais je ne sais pas exactement où il s'est perché. La nyctale nous confirme son identité vocalement. Mais, malgré nos efforts, impossible de la repérer. Elle finit par s'envoler en passant au-dessus de nous et elle traverse la route.

Je siffle encore quelques fois et elle finit pas se percher de façon à ce qu'on la voit. Le temps de prendre quelques photos et nous la laissons en paix. Ce n'est pas la première fois que je fais réagir une nyctale en plein jour. La dernière fois où je l'avais fait, il était 12h30 et le soleil était tout aussi présent.







La chouette lilliputienne a su encore gagner mon coeur et c'est toujours aussi motivant de voir que, malgré toutes les détériorations d'habitat (l'habitat actuel où CETTE nyctale vit s'est dégradé au cours de la dernière décennie), elle continue à survivre en jouant son rôle si important dans la niche écologique où elle évolue.

En terminant, une autre belle rencontre dans un boisé adjacent:



Oui, cette Bécasse d'Amérique / Scolopax minor est elle aussi en avance de deux semaines sur les dates d'arrivée historiques.

Le meilleur s'en vient !!! 

mardi 13 mars 2012

Mes coups de coeur "hiver 2011-2012"

Je dois confesser n'avoir pas été très actif en cet hiver 2011-2012 (de décembre à mars). Pourtant, il a fait beau, peu de précipitations (comparé à d'autres hivers, s'entend), pas ou à peu près pas de grésil, pas de grands froids ou de tempêtes de neige paralysantes et, finalement, des routes sécuritaires qui garantissaient un aller retour sans trop de problème. Parmi les espèces un peu particulières (que nous affublons de l'épithète "rare" ou "invasive" au Québec selon le cas), Anne et moi avons "couru après" quelques unes seulement et nous sommes revenus bredouilles à quelques occasions. Mais ceci fait partie du défi de l'ornithologue. Avec les oiseaux, on ne sait jamais. Ils volent, ils se déplacent ou ils savent quelquefois se cacher l'instant de notre visite.

Tohi à flancs roux mâle.
Photo internet © AuLux
Il y a environ deux semaines, je suis allé à la recherche d'une femelle Tohi à flancs roux / Pipilo erythrophthalmus / Eastern Towhee rapportée dans la ville de Québec. L'oiseau occupe un territoire tellement restreint qu'on s'attend à le trouver après quelques minutes de recherches. L'environnement n'est vraiment pas compliqué. L'oiseau a adopté une mangeoire installée tout près d'une résidence, elle même située sur un terrain d'environ soixante mètres de façade, en bordure d'une rue moyennement achalandée dans l'arrondissement Limoilou. La mangeoire pend à deux mètres d'une fenêtre, sur le côté ouest de la maison et près d'une entrée secondaire. Trois arbustes conifériens d'environ deux mètres de haut, des ifs, sont les seuls végétaux situés de part et d'autre de la mangeoire. Pour récapituler, à partir du trottoir où je me tiens pour attendre patiemment l'arrivée de l'oiseau vedette, j'ai une vue sur la face ouest de la maison. Dans l'ordre, à partir de la façade de la maison et en allant vers l'arrière, apparaissent: un if, un trottoir menant à la porte d'entrée secondaire de la maison, un if, la mangeoire et le dernier if. "Ça ne peut pas être plus simple", me dis-je, "enfin une facile". Et pourtant.

Je fais le pied-de-grue pendant un bon trois quarts d'heure et tout ce que je vois, ce sont deux Moineaux domestiques / Passer domesticus / House Sparrow, mâle et femelle, qui, bien perchés sur un côté de la mangeoire, se nourrissent à leur rythme, sans hâte, très relaxes. Et puis, tout à coup, les moineaux s'envolent. La porte s'ouvre et les deux propriétaires sortent pour prendre une marche. En me voyant, l'homme me demande si je suis là pour SES oiseaux. Je lui confirme que oui et il me dit que l'oiseau est bien là, dans le deuxième if, et que je serais plus chanceux si je le surveillais à partir de l'arrière de la maison. Il m'autorise gentiment à aller m'installer à un endroit précis afin d'avoir un meilleur angle de vue. Ce que je fais tout de go. Pour my rendre, je n'ai pas le choix de passer juste à côté de cet if. Je passe lentement tout en jetant un oeil parmi la végétation. Je vois à l'oeil nu la femelle qui se déplace lentement sur les branches, à l'intérieur de l'arbuste. À partir de nouveau point de vue, je n'ai pas plus de chance de localiser l'oiseau. Ça fait maintenant une heure et quart que je suis là et il est impossible de seulement voir bouger l'oiseau. Je me décide à quitter et je repasse lentement près du deuxième if. J'obtiens une vue encore meilleure de l'oiseau alors qu'il s'envole pour aller se cacher dans le premier if. Il reste environ deux secondes à découvert et il est impossible pour moi de prendre un cliché. Je le laisse tranquille et je retourne chez moi quand même heureux d'avoir pu entrevoir l'oiseau de façon satisfaisante. Les deux propriétaires m'ont dit avoir déjà vu simultanément deux individus, dont un mâle et une femelle, et les tohis sont arrivés en novembre 2011.

Voici maintenant la chronologie en photos de mes coups de coeurs en ce bel hiver.


Le 11 décembre 2011, Anne et moi nous nous rendons à Saint-Romuald, sur la rive sud de Québec, afin d'observer une Oie rieuse / Anser albifrons / Greater White-fronted Goose. Alors que nous l'observons bien sur l'eau, nous la retrouvons un peu plus tard dans la zone intertidale en train de dormir avec des Bernaches du Canada / Branta canadensis / Canada Goose. Pas la photo du siècle, me direz-vous, mais elle laisse assez de détails pour l'identifier. Saurez-vous la trouver ?


Le 16 décembre 2011, nous nous rendons à Saint-Louis-du-Ha-Ha, Témiscouata, afin de trouver l'Urubu noir / Coragyps atratus / Black Vulture qui a été trouvé quelques jours auparavant. Malgré une recherche intensive, aucun résultat. Et voilà que le 22 décembre, un autre individu est repéré à La Pocatière. Nous sommes là le 23 décembre et nous passons l'avant midi à le chercher. Nous quittons vers midi, car il neige de plus en plus et nous devons envisager la route de retour. L'oiseau est vu en après-midi (hummm). C'est le lendemain de Noël que nous tentons notre chance à nouveau et cette fois-ci, c'est la bonne. Dès notre arrivée sur les lieux vers les 8h15, l'oiseau est là, occupé à manger sur une carcasse de panse de bovin.


Le Mésangeai du Canada /  Perisoreus canadensis / Gray Jay fréquente la forêt boréale et le meilleur endroit pour l'observer est la Forêt Montmorency au nord de la ville de Québec. C'est le 8 janvier 2012 que nous nous rendons à cet endroit.


Nous recherchons la Mésange à tête brune / Poecile hudsonicus / Boreal Chickadee à chaque hiver et c'est également à la Forêt Montmorency que nous la trouvons avec le plus de certitude. En période de migration, elle peut être vue un peu partout et dans des lieux assi bizarres qu'en plein champ à la campagne ou dans la ville de Québec.


Le Bec-croisé bifascié / Loxia leucoptera / White-winged Crossbill est une espèce qui peut être abondante certaines années et absente en d'autres. Tout dépend de la disponibilité de la nourriture. C'est toujours une belle rencontre quand nous pouvons en trouver. Nous sommes toujours le 8 Janvier et toujours à la Forêt Montmorency.


Une autre espèce sujette aux invasions et souhaitée est le Jaseur boréal / Bombycilla garrulus / Bohemian Waxwing(anciennement Jaseur de Bohême). Il arrive en bandes pouvant regrouper des centaines d'individus et lorsque le groupe s'abat sur un arbre fruitier, alors là tout ce beau monde s'empiffre à qui mieux mieux. Ils sont alors tellement affairés à manger que nous pouvons nous approcher à une distance suffisante pour prendre des photos. C'est le 16 janvier que j'ai la chance de tomber sur un petit groupe d'une quarantaine de jaseurs. Je suis au Domaine Maizerets, à Québec.


Et parmi la quarantaine de jaseurs présents, je repère une dizaine de Jaseurs d'Amérique / Bombycilla cedrorum / Cedar Waxwing  (anciennement Jaseur des cèdres). Ils sont plus petits que leurs cousins et sont moins colorés. Notez l'absence de blanc et de jaune dans l'aile et les sous-caudales blanches. La très grande majorité des Jaseurs d'Amérique du Québec migre vers le sud en hiver et j'en ai personnellement observé à deux reprises aussi loin qu'au Costa Rica (où ils sont quand même considérés comme rares). Ça se passait à San Jose le 7 mars 1993 et à La Selva (près de Chilamate) le 1er mars 2009.


C'est à travers la fenêtre de la cuisine que je "pixellise" ce mâle Cardinal rouge / Cardinalis cardinalis / Northern Cardinal, le 21 Janvier 2012 à Sillery. Même si cette espèce est de plus en plus régulière dans la vallée du Saint-Laurent, c'est toujours un plaisir immense de la voir ou même juste de l'entendre émettre son répertoire de sifflements tantôt graves et tantôt aigus.


L'endroit le plus certain pour observer l'Alouette hausse-col / Eremophila alpestris / Horned Lark en hiver et près de Québec se situe à Saint-Lambert-de-Lauzon, près d'un important élevage de bovidés. Les animaux sont nourris de graminés et bien des graines sont disséminés par le vent ou sont répandus par terre. Ceci attire tous les oiseaux du voisinage. C'est ainsi qu'environ trois milles Étourneaux sansonnets, des dizaines de Corneilles d'Amérique, de Grands Corbeaux, de Pigeons bisets, d'Alouettes hausse-col et de Plectrophanes des neiges passent la saison froide dans les environs immédiats. Des Plectrophanes lapons sont également de la partie. Tous ces oiseaux retiennent l'attention d'oiseaux de proies comme les Épervier brun, Épervier de Cooper et Autour des palombes. Ce qui fait qu'une visite en ces lieux est un incontournable en janvier. C'est d'ailleurs le 21 Janvier que nous nous y sommes rendus.


Non, le Merle d'Amérique / Turdus migratorius / American Robin n'est pas un oiseau rare, mais sa présence en hiver n'est quand même pas si fréquente que ça, du moins en aussi grand nombre que cet hiver. C'est le 26 Janvier 2012 que je capte cette image d'un beau mâle à Sillery. 


Il y a une quarantaine d'années, les invasions du Harfang des neiges / Bubo scandiacus / Snowy Owl étaient aussi prévisibles que le déroulement des saisons. Aux quatre ans, c'était l'abondance. Ce n'est malheureusement plus la même chose de nos jours. Ça faisait au moins six ans que je n'avais pas été témoin d'une "certaine invasion". J'ai photographié ce mâle immaculé à Saint-Vallier le 12 Février 2012. 


Et nous voilà, à Saint-Barthelemy, le 25 Février 2012. En nous rendant visiter ma fille Anne-Marie, qui habite à Laval, Anne propose de parcourir les rangs où des harfangs sont rapportés régulièrement. Très bonne idée puisque nous repérons très vite un Harfang des neiges immature perché au bout d'un poteau de téléphone en bordure de la route. Très lentement, nous avançons presque vis-à-vis du poteau et je demeure dans l'auto pour réaliser cette photo.


 Le 26 Février 2012, nous décidons de faire une petite randonnée en Montérégie avec deux espèces cibles en tête. Nous débutons dans la région du Mont-Saint-Grégoire où un espèce rare est rapportée depuis quelques temps: le Bruant à face noire / Zonotrichia querula / Harris's Sparrow. Ce bruant s'observe habituellement dans le centre de l'Amérique du Nord soit d'est en ouest, des Grands Lacs jusqu'aux Montagnes Rocheuses, et du nord au sud, des Territoires-du-Nord-Ouest jusqu'au Texas. Pour moi, il s'agit de ma troisième mention au Québec les deux premières étant le 14 Janvier 1994 à Chateauguay et le 7 Janvier 2001 à l'Ange Gardien, près de Québec. Toutes ces observations ont été faites à des postes d'alimentation. Pour Anne, il s'agit d'une nouvelle espèce à vie (i.e. non encore observée). L'oiseau présent est un immature arborant un plumage de premier hiver. 


Nous nous dirigeons ensuite vers Sainte-Brigide-d'Iberville dans l'espoir de cocher la Tourterelle turqueStreptopelia decaocto / Eurasian Collared-Dove. Cette espèce est reconnue pour étendre son aire de distribution de façon drastique à la grandeur de la planète. Et c'est à l'été 2011 qu'une première nidification réussie au Québec a été réalisée et documentée à Sainte-Brigide-d'Iberville. Une bonne vingtaine de minutes de recherches finissent par portée fruit. Pour Anne, il s'agit d'une première pour le Québec. Pour moi, c'est ma deuxième observation après celle du 10 Juin 2010 à Rivière-au-Tonnerre, en Moyenne-Côte-Nord.




C'est le 29 Février que j'ai la chance d'observer le Solitaire de Townsend / Myadestes townsendi / Townsend's Solitaire à Charlesbourg. Après une première tentative en compagnie de Anne, quelques jours auparavant, c'est finalement en compagnie de Gérard Cyr, et après une attente d'une heure, que l'oiseau consent à se présenter devant la maison où il se tient depuis quelques semaines.


C'est le 7 Mars 2012, à la Base de Plein Air de Sainte-Foy (ville de Québec) que je découvre cette Gélinotte huppée / Bonasa umbellus / Ruffed Grouse, perchée en hauteur dans une thalle de conifères. Vu le manque de lumière, je dois prendre la photo à 1/25 de seconde. Heureusement, l'oiseau ne bouge pratiquement pas et je retiens mon souffle avant d'appuyer sur le déclencheur. Cet oiseau, malgré sa grosseur, est très diffile à repérer dans la végétation et elle est très discrète durant la froide saison.

Et voilà pour mes coups de coeur. Je reviens tout juste d'une virée qui m'aurait permis d'ajouter la Petite Nyctale à cette belle liste (toujours à la Base de Plein Air), mais, comme il arrive si souvent, l'oiseau n'était pas au rendez-vous. Cependant, j'ai pu profiter d'une température tout à fait extraordinaire, ce qui ne fait qu'exacerber ma hâte d'accueuillir les prochains migrateurs.

Ils s'en viennent, à n'en pas douter  ;-) .


samedi 3 mars 2012

Des fourmis et des oiseaux en forêt tropicale



La richesse de la vie en forêt tropicale est telle que nous pouvons difficilement la mesurer lors de nos premières visites. Notre ignorance bien compréhensible de toutes ces formes de vie qui nous entourent limite nos perceptions. Les vies animale et végétale sont abondantes et variées. Dans les forêts tempérées les plus riches en Amérique du Nord , nous pouvons répertorier une 30aine d'espèces différentes d'arbres dans une parcelle d'environ 10 km². Sous les tropiques, 40 à 100 espèces peuvent facilement être identifiées pour la même surface. Un site en Amazonie péruvienne a même permis de lister 300 espèces dans ces mêmes limites. En fait, 90 000 espèces de plantes se retrouvent sous les tropiques du Nouveau Monde.  

Et cette exubérance de vie se manifeste également dans le monde animal. Explorer's Inn est une station de recherches située en Amazonie du côté du Pérou. Sur ses seuls terrains, au-dessus de 600 espèces d'oiseaux ont été identifiées. En comparaison, 700 espèces forment la liste de toutes les espèces retrouvées en Amérique du Nord.

Que dire maintenant des espèces d'insectes si ce n'est qu'il reste encore tellement à apprendre. Pour le petit pays d'Amérique centrale qu'est le Costa Rica, Philip DeVries a décrit, en 1987, plus de 550 espèces de papillons. Dans la même année, Edward O. Wilson a collecté 40 genres et 135 espèces de fourmis dans 4 différents types de forêt dans la réserve de Tambopata, en Amazonie péruvienne. Il a même noté que 43 espèces de fourmis ont été trouvées dans un seul arbre. Bien des points sont encore nébuleux dans notre connaissance du monde des insectes et des nouvelles espèces sont décrites à chaque expédition scientifique.

Fourmis champignonnistes Atta colombica
 transportant des morceaux de feuille.
Photo Internet.
Les fourmis sont partout en forêt tropicale et leur présence est facilement décelée, même par l'observateur le moins habile. Deux types attirent notre attention: les fourmis champignonnistes et les fourmis légionnaires. Les premières se déplacent par milliers en empruntant des sentiers bien circonscrits par les allers et retours incessants qu'elles font entre la source de nourriture et la fourmilière. Regroupant diverses espèces, ces fourmis ont la particularité de ne pas pouvoir digérer la cellulose contenue dans les feuilles des végétaux. Afin de se nourrir, elles ont développé une symbiose avec une espèce de champignon qu'elles cultivent dans leur fourmilière. Pour cela, les ouvrières collectent des morceaux de feuilles et de fleurs, qui, après avoir été mâchés, vont servir de substrat pour la culture du champignon, dont elles vont ensuite se nourrir. Si ce type de fourmis n'a pas d'impact majeur sur les autres êtres vivants qui les entourent, c'est bien différent dans le cas des fourmis légionnaires. Si les champignonnistes sont rencontrées à chacune de nos sorties en forêt, les légionnaires sont beaucoup moins repérables. Elles sont en effet nomades, se déplaçant d'environ 200 mètres par jour et elles s'arrêtent la nuit pour camper, toujours en bon ordre. La reine reste au centre et les soldats montent la garde autour d'elle.

Les fourmis légionnaires sont aveugles et elles se déplacent en colonnes de quelques dizaines de mètres, organisées militairement. Au centre, les petites ouvrières transportent les larves et parfois des proies comme garde-manger. La reine est entourée de ses servantes. Cette reine, dépourvue d'ailes, peut produire jusqu'à 2 000 000 d'oeufs en un seul mois. Sur les flancs, les soldats, qui sont des ouvrières au moins cinq fois plus grosses que les autres, sont munis d'une tête énorme et de mandibules impressionnantes.
 

Un soldat  Eciton burchellii brandit ses imposantes mandibles afin de dissuader ou de combattre tout prédateur qui pourrait mettre la sécurité de la colonie en péril. Photo internet.

Chez certaines espèces sud-américaines, les nids qui servent de bivouac pour la nuit, pendent des arbres comme des essaims d'abeilles. De ces masses sortent des colonnes de razzia qui fouillent chaque brindille pour rapporter de quoi nourrir la colonie.

Selon mon expérience personnelle, ces raids de fourmis légionnaires sont plus fréquents dans les forêts tropicales humides et j'ai eu la chance, malheureusement en trop peu d'occasions, de rencontrer quelques unes de ces formations. Les fourmis sont présentes partout où le regard porte en sous-bois. Contrairement aux champignonnistes, elles se déplacent en tous sens et chaque millimètre est scruté à la loupe par les ouvrières gourmandes. Tout ce qui vit est attaqué, mordu, tué et dépecé par des fourmis qui n'ont qu'une seule mission, celle de rapporter de la nourriture pour la survie de la colonie. Alors que les fourmis soldats veillent à la protection de la horde, les fourmis ouvrières s'occupent à effrayer et à capturer tout ce qui tombe sous leurs mandibules. On compte une trentaine d'espèces de fourmis légionnaires dans le monde et elles sont réparties en Amérique centrale, en Amérique du sud et en Afrique. Parmi celles-ci, 2 espèces présentes en Amérique centrale attirent plus spécialement la présence d'oiseaux autour d'elles: Eciton burchellii et Labidus praedator. Mais quels sont ces oiseaux ?

Ant... quoi ? 

Avant mon tout premier voyage en Amérique centrale, en 1989 et au Costa Rica (identifié comme CR ultérieurement dans le texte) plus précisément, je me suis procuré le premier guide de terrain complet sur ce pays "A guide to the birds of Costa Rica" par Stiles & Skutch, 1989. En l'étudiant, j'ai appris l'existence d'une famille d'oiseaux, les formicariidés, ne comptant aucun membre en Amérique du nord et dont les noms anglais débutent tous par "Ant" ("fourmi" en français): Antbird (Alapi, Fourmilier), Antshrike (Batara), Antwren (Myrmidon, Grisin), Antvireo (Batara), Antthrush (Tétéma) et Antpitta (Grallaire). Comme il est impossible de tout lire et de tout savoir avant de partir en pays étranger, j'ai présumé que ce préfixe leur était donné parce qu'ils se nourrissaient de fourmis. J'ai appris sur le terrain, de visu et surtout grâce à des guides ornitho compétents, qu'il n'en était rien. Oui, il peut arriver que quelques individus de ces espèces gobent une fourmi de temps en temps, mais il serait impossible pour eux de le faire sur une base régulière, à cause principalement de l'acide formique produite par ces insectes. Non, leur nom vient plutôt du fait qu'ils profitent de la frénésie engendrée par le passage des fourmis chez les êtres vivants fréquentant le tapis de la forêt. Ils attrapent et mangent les proies potentielles qui ont réussi à échapper à la horde dévastatrice. Ces espèces ont donc adopté ce comportement génial qui leur facilite de beaucoup la tâche de trouver de quoi se sustenter. En fait, quelques espèces suivent continuellement les hordes de fourmis légionnaires, d'autres ponctuellement alors que les autres ne le font pas du tout. J'ai donné le nom de PAF au premier groupe, soit les Professionnal Ant Followers. Il y a 28 espèces de PAF dans le monde et voici, tels qu'illustrées dans le livre de Skutch, les 3 principales observées au CR.


1)  Le Fourmilier ocellé (Ocellated Antbird) est le plus gros et, à mon goût personnel, le plus spectaculaire et le plus coloré des PAF. C'est aussi l'un des moins observés au Costa Rica. S'il ne se nourrit presque exclusivement qu'en suivant les colonies de fourmis légionnaires, on ne le rencontre pas automatiquement à chaque fois qu'on a la chance de croiser un "army ant swarm" sur notre route. Au CR, il est observé avec plus de régularité sur le versant caraïbe (Atlantique) et je n'ai jamais eu la chance de le rencontrer dans ce pays. Il a fallu que je me rende sur la côte atlantique du Panama pour l'observer à souhait. Quel bel oiseau !
2)  Le Fourmilier bicolore (Bicolored Antbird) est l'espèce la plus régulièrement rencontrée dans l'entourage des hordes de fourmis légionnaires. Pour moi, il représente réellement le professionnel des PAF. À toutes mes rencontres avec Eciton burchellii ou Labidus praedator, il y avait cette espèce pas très loin. Même si sa distribution est donnée comme étant seulement sur le versant caraïbe (ou Atlantique) du CR, je l'ai observé du côté Pacifique, près de la réserve de Carara.

3) Le Fourmilier grivelé (Spotted Antbird) fait également partie de ce groupe select, même s'il ne fréquente que l'est du CR. Il est petit et il se tient près du sol, bien agrippé le long d'une tige verticale. Chez cette espèce, le mâle et la femelle ont des plumages différents (le mâle en haut et la femelle en bas dans l'illustration).

Illustration montrant nos 3 PAF en pleine activité. Saurez-vous les trouver ? 


Les Tétémas (Antthrush) sont des genres de petits râles forestiers qui arpentent le sol en marchant, la queue courte et pointue dirigée vers le ciel et la tête tenue haute et en alerte.Parmi les 3 espèces rencontrées au CR, le Tétéma coq-de-bois (Black-faced Antthrush) est celui qui accompagne le plus souvent les autres PAF. Alors que les autres espèces se tiennent agrippées à la végétation basse, le tétéma marche sur le sol et il attrape les arthropodes ou les petits lézards qui fuient l'arrivée des fourmis. 



Il y a également d'autres espèces dont le nom ne contient pas le préfixe "ant" et qui pourtant sont souvent associées aux fourmis légionnaires. Il s'agit d'oiseaux de la famille des Furnariidés, dont font partie les grimpars. Ce sont des versions géantes du Grimpereau brun (Brown Creeper) d'Amérique du Nord ou du Grimpereau des jardins (Short-toed Tree-Creeper) d'Europe. Des 16 espèces présentes au CR, 3 sont plus souvent observées accompagnant les fourmis légionnaires.

Le Grimpar vermiculé (Northern Barred-Woodcreeper) est le plus gros d'entre eux (25 cm) et sa présence dans les environs nous signale bien souvent une horde de fourmis pas très loin. Tel qu'illustré dans le dessin montrant nos 3 PAF en action, il se tient bien agrippé contre un tronc, immobile et attendant qu'un insecte volant passe près de lui. Les Grimpar roux (Ruddy Woodcreeper) et à ailes rousses (Tawny-winged Woodcreeper) sont plus petits (respectivement 20 cm et 18 cm), mais ils sont également plus actifs que leur gros compagnon. C'est au Bélize que j'ai eu la chance de voir évoluer le trio au-dessus d'un essaim de fourmis.
Et au-dessus de tout ce beau monde, des espèces insectivores profitent de toute cette manne. Elles sont de différentes familles, mais elles partagent le même régime alimentaire.


Même si le Tangara à tête grise (Gray-headed Tanager) et la Sittine brune (Plain Xenops) ne sont pas entièrement inféodés aux hordes de fourmis légionnaires, ils y participent très souvent. Ils occupent alors la strate supérieure, fouillant dans le feuillage et continuant d'effrayer les pauvres insectes en quête de refuge.



Toute cette horde d'oiseaux doit avoir ses éclaireurs et ses guetteurs, car, engagés dans la poursuite frénétique des proies, ils deviennent vulnérables eux aussi à leurs prédateurs naturels. Le Tangara à gorge blanche (White-throated Shrike-Tanager) tient ce rôle à la perfection. Toute arrivée d'un prédateur est aussitôt signalée par un sifflement très fort et tout le petit monde court se mettre à l'abri. Des mauvaises langues vont jusqu'à dire qu'un tangara "joueur-de-tour" peut à l'occasion émettre son cri afin d'écarter tous les autres becs de proies qu'il se presse de gober alors qu'il a la voie libre. Légende urbaine ?


Et voici, le prédateur qui n'hésite pas à profiter de ces rassemblements tapageurs pour obtenir sa part du gâteau. Le Carnifex barré (Barred Forest-Falcon) est semblable morphologiquement à nos éperviers: queue longue et ailes courtes. Il se déplace facilement entre les branches des forêts les plus denses. Il se tient perché bien droit sur sa branche, immobile, attendant juste la meilleure occasion pour fondre sur sa proie. Attiré à une horde de fourmis légionnaires, il peut se nourrir autant de gros insectes volants que des oiseaux présents.

Et voilà que nous avons bouclé la boucle: prédateurs-proies-prédateurs qui deviennent des proies pour d'autres prédateurs. Et à travers tout ça, un papillon qui se nourrit des fientes de tous ces oiseaux.

Quel monde extraordinaire et on ne sait pas tout encore !