lundi 29 mai 2017

La Paruline de Kirtland: une survivante...





La Paruline de Kirtland / Setophaga kirtlandii / Kirtland's Warbler fait partie des oiseaux chanteurs les plus rares en Amérique. En fait, elle n'a jamais été abondante et son statut a toujours été très préoccupant. Sa population semble avoir commencé à baisser sérieusement dans les années 1960. Le nombre de mâles chanteurs est passé de 502 en 1961 à seulement 201 en 1971. Dans la décennie 1970-1980, le nombre annuel moyen tournait autour de 200 et il est descendu à 167 à deux reprises. Depuis 1990, le nombre a progressivement augmenté. Le décompte des mâles chanteurs a dépassé 1,000 pour la première fois en 2001, a augmenté à 1,700 en 2007 et a atteint les 2,000 en 2012. Bien que ces chiffres soient encore trop peu pour un oiseau chanteur, la tendance est encourageante *.


 
C'est le 10 mai 2017 que ce mâle de Paruline de Kirtland a fait se déplacer des centaines d'observateurs le long de la West Beach à Pointe Pelée, Ontario. Ma deuxième observation à vie avec 37 ans séparant les deux trouvailles. C'est dire toute la rareté de cette espèce.



A l'heure actuelle, la Paruline de Kirtland ne semble nicher régulièrement qu'au Michigan. Le recensement de l'espèce de 1986 a dénombré 210 mâles chanteurs, tous dans le centre du Michigan. Celui de 2006 a révélé 1,457 mâles chanteurs dans le centre du Michigan et 21 dans le nord de l'état, quatre au Wisconsin et trois près de Petawawa, en Ontario *. Elle niche uniquement dans les jeunes peuplements de Pin gris / Pinus banksiana / jack pine mesurant de deux à sept mètres de hauteur. Le nid est placé au sol, près d'un pin, et il est construit seulement par la femelle. Il est fait d'herbe, de carex, d'aiguilles de pin et de feuilles de chêne. Il est bordé de radicelles, de poils d'animaux, de mousse et de fibres. Afin d'assurer la sécurité du nid, le sol doit être couvert d'herbes longues, de fougères et de plants de bleuets. Cet habitat particulier se forme rapidement après un feu de forêt. Lorsque l'arbre dépasse les sept mètres, l'oiseau abandonne les lieux car le sous-bois, dépourvu de lumière, se dégage de la couverture végétale essentielle à la protection du nid **.


Les pins gris ont ceci de particulier qu'ils ne libèrent leurs graines de semence que lors de chaleur très intense, provoquée par les incendies de forêt. La membrane recouvrant les écales des cônes est si dure que seule une telle chaleur peut la faire ouvrir, libérant ainsi la semence qui assure la pérennité de l'espèce. Cette préférence de la paruline pour les jeunes peuplements s'avère primordial dans son choix de terrain de nidification. La forte augmentation de la population de la Kirtland au cours des vingt dernières années est attribuable au doublement de la superficie de pinède à Pin gris au Michigan. Ceci est dû à l'accroissement des efforts de reboisement et à la régénération naturelle dans une zone forestière de 10,000 ha dévastée par le feu en 1980, ainsi qu'à un programme de lutte contre les populations locales de Vacher à tête brune / Molothrus ater ater / Brown-headed Cowbird *.




Le Vacher à tête brune est une espèce parasite qui ne construit pas de nid. La femelle pond dans le nid d'autres espèces d'oiseaux et elle leur laisse la tâche d'élever son petit. Ici, un mâle affronte un autre mâle afin de lui montrer que c'est lui qui fécondera l'oeuf que la femelle pondra plus tard. Photo prise à Pointe Pelée, Ontario, le 12 mai 2017. 



Voici sa femelle occupée à repérer un nid qui accueillera son oeuf. Afin de leurrer le couple adoptif, elle va même jusqu'à imiter les marques sur les oeufs qui sont déjà pondus par l'autre espèce. Dès qu'il sort de l'oeuf, le jeune vacher quémande de façon impérative une énorme quantité de nourriture. Ces soins particuliers causeront de forts préjudices aux autres oisillons qui auront peu de chance de survivre. N'eût été de l'éradication des vachers par les naturalistes sur le site principal de nidification de la Paruline de Kirtland, sa survie aurait été encore plus incertaine. Photo prise à Pointe Pelée, Ontario, le 12 mai 2017.


Vu sa faible population, cette paruline est rarement observée en période migratoire. Son aire d'hivernage est aussi restreint que son aire de reproduction. Elle passe l'hiver dans les Bahamas. C'est d'ailleurs là que je l'observe pour la première fois. Je suis à West End, sur l'île Grand Bahamas, le 25 avril 1980. Une paruline très costaude se tient près du sol, dans les fourrés. Après quelques longues secondes, elle se présente à découvert. Toujours occupée à se nourrir, elle fait peu de cas de ma présence. Il s'agit d'un mâle qui se déplace lentement, tout en hochant la queue. Pas de doute, il s'agit bien de la Kirtland. Je m'étais rendu quelques jours auparavant au Rand Memorial Nature Center à Freeport où cette espèce est réputée s'observer alors qu'elle vient se nourrir de vers de farine (Ténébrion meunier) à une mangeoire. C'est une attraction de l'endroit. Mais lors de ma visite, le Dr Rand lui-même me dit qu'elle avait déjà quitté pour entreprendre sa migration vers le Michigan. Depuis 1992, ce parc appartient au Bahamas National Trust et je ne saurais confirmer si les oiseaux continuent d'être nourris comme ils l'étaient en 1980.
   

Les mâles arrivent sur les sites de reproduction à la mi-mai, quelques jours avant les femelles, afin de s'établir sur un vaste territoire. Ils ont tendance à être vaguement colonial (les paires sont rares) et les mâles reviennent souvent à la même colonie où ils ont déjà niché. Les mâles peuvent avoir plus d'une femelle. Ils quittent vers leur site d'hivernage aux Bahamas en août-septembre.



Sur la photo qui suit, la paruline quitte un perchoir pour en atteindre un autre. Elle réussit ce saut avant avec succès. J'espère que l'espèce réussira encore longtemps ce saut vers le futur. La perte d'une telle beauté serait un drame en soi.



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@ bientôt.




* Aird, Paul. (2010).<Paruline de Kirtland>, p.632-633 dans Cadman, M.D., D.A. Sutherland, G.G. Beck, D. Lepage et A.R. Couturier (dir), Atlas des oiseaux nicheurs de l'Ontario, 2001-2005. Environnement Canada, Études d'Oiseaux Canada, le ministère des Richesses naturelles de l'Ontario, Ontario Field Ornithologists, et Ontario Nature, Toronto, xxii + 706 p.

**  Curson, J.M. (2010). Family Parulidae (New World Warblers). Pp. 666-800 in: del Hoyo, J., Elliott, A. & Christie, D.A. eds. (2010). Handbook of the Birds of the World. Vol. 15. Weavers to New World Warblers. Lynx Edicions, Barcelona.