samedi 14 juin 2014

Printemps 2014



On se souviendra du printemps 2014 principalement à cause de l'arrivée tardive des migrateurs provoquée par les températures froides qui ont persisté plus longtemps que d'habitude, sous l'effet très peu dissuasif de rayons de soleil blafards. Mais "patience et longueur de temps" finissant toujours par l'emporter, les oiseaux ont regagné fidèlement leurs territoires de reproduction et ils n'ont pas tardé à remplir les lieux de leurs chants et de leurs activités effrénées. Car le temps presse et chaque jour compte. C'est souvent surprenant de constater la rapidité avec laquelle les différentes espèces s'installent dans un territoire, y trouvent l'âme soeur et commencent la nidification.


Parvenus sous nos latitudes au début d'avril, les merles, quiscales, étourneaux, tourterelles et autres sont déjà prêts à passer à une seconde nichée dès que juin se pointe le nez. Cette deuxième nichée est bien annoncée par la virtuosité des mâles qui recommencent les vocalises qu'ils avaient délaissées après l'établissement de la première nichée.



Voici quelques photos de mon printemps. Il ressemble probablement au vôtre.



Pour moi, s'il existait une icône du printemps, elle ressemblerait à s'y méprendre au très abondant Carouge à épaulettes / Agelaius phoeniceus phoeniceus / Red-winged Blackbird. J'aime cet oiseau qui est l'une des premières espèces migratrices à nous revenir en mars. C'est un oiseau très territorial dont l'agressivité est bien connue. Aucune corneille ou autre prédateur potentiel ne passent dans les limites du carouge sans être sermonné, poursuivi et reconduit manu militari hors des dites limites. Nos ancêtres avaient d'ailleurs affublé notre carouge du nom vernaculaire de "commandeur" en raison des épaulettes colorées qui leur rappelaient les décorations que les officiers militaires portaient avec fierté à leur costume . Photo prise le 8 juin 2014 au domaine de Maizerets, ville de Québec.


Voici un mâle faisant la démonstration de tous ses atouts, autant au niveau du chant que de l'habit, envers une ou plusieurs femelles des environs. Même si le carouge peut se retrouver en milieu ouvert et dans divers types d'habitats, les marais à quenouilles sont ses préférés et c'est toujours là que je les ai retrouvés plus au nord en forêt boréale. Photo prise le 3 mai 2014 au marais Léon Provancher de Neuville.



C'est le 10 mai qu'Anne et moi faisons une virée dans la région du Bas-Saint-Laurent afin d'aller ajouter à notre liste annuelle des espèces moins fréquentes au niveau de la ville de Québec. C'est ainsi que nous découvrons près du quai de L'Isle Verte un mâle de Harelde Kakawi / Clangula hyemalis / Long-tailed Duck en plumage d'hiver. Ce magnifique canard plongeur est observable près de Québec, mais seulement dans un court laps de temps lors des migrations. Comme bien d'autres espèces d'oiseaux, il porte le nom de Kakawi à cause du cri qu'il émet. Son nom anglais réfère bien évidemment à la longue queue qui est l'apanage du mâle. Cette photo montre bien cet attribut ici. L'ancien nom anglais était "Oldsquaw", mais il a été changé récemment.


Voici une espèce qui ne s'observe pas à toutes les années au Québec. Il s'agit de la sous-espèce nominale de Anas crecca soit Anas crecca crecca . Au Québec, nous avons la Sarcelle d'hiver / Anas crecca carolinensis / Green-winged Teal.  Notre sous-espèce est reconnaissable ici par la ligne blanche verticale qui jouxte l'arrière de la poitrine alors que cette ligne blanche est absente chez Anas crecca crecca, mais se retrouve plutôt horizontalement au bas des ailes repliées. Photo prise le 11 mai, près du quai de Pointe-au-Père, ville de Rimouski.


Le Grand Héron / Ardea herodias herodias / Great Blue Heron se retrouve partout au Québec. À moins de demeurer près d'une héronnière, cette espèce est plutôt rare en saison de nidification. Cependant, les migrations printanière et automnale sont les meilleurs moments pour en observer en bonne quantité tout le long du fleuve Saint-Laurent. D'un caractère plutôt furtif, il arrive que nous rencontrions des individus plus confiants et c'est ce qui s'est produit en ce 11 mai 2014, au parc national du Bic, près de Rimouski.


À partir du milieu du mois de mai, de plus en plus en plus d'oiseaux colorés envahissent nos parcs, nos boisés et nos jardins. Ils sont facilement repérables dans les essences feuillues encore dépourvues de leurs feuilles. Ça fait du bien de voir enfin de la couleur et les parulines ne manquent pas de nous émerveiller. Cette Paruline jaune / Setophaga petechia amnicola / Yellow Warbler a été captée le 16 mai  au domaine de Maizerets, ville de Québec.


En cette même journée, peu d'espèces différentes font leur apparition au domaine, aussi cette très active Paruline à joues grises / Vermivora ruficapilla ruficapilla / Nashville Warbler n'échappe pas à mon attention. Lorsque les migrateurs touchent terre après de longues heures et même des journées consécutives de déplacement, leur grande priorité est de recharger leur batterie d'énergie en se nourrissant dès et autant qu'ils le peuvent. C'est ce qui explique leur grande mobilité qui complique tant la prise de photo et même la simple observation. Les parulines ne restent au repos que quelques secondes et il faut être rapide pour les pixelliser


Le 17 mai nous réserve à Anne et à moi une bonne surprise alors que nous confirmons la présence d'un rare Bruant des plaines / Spizella pallida / Clay-colored Sparrow à seulement quelques minutes de marche de la maison. Anne a d'abord entendu un chant qu'elle n'arrivait pas à associer à un oiseau qu'elle connaissait bien, soit un "bizzz-bizzz-bizzz". Après avoir soulevé l'hypothèse du Bruant des plaines , nous avons trouvé cet oiseau et, en date du 13 juin,  il est toujours au même endroit. Cette espèce rare peut à l'occasion s'hybrider avec le plus commun Bruant familier / Spizella passerina passerina / Chipping Sparrow.


Les grives fascinent par leurs chants qui ne laissent personne indifférent. Lorsque j'entends le son fluté et roulé de la Grive fauve / Catharus fuscescens fuscescens / Veery, j'ai toujours l'impression que l'oiseau le fait à partir de l'intérieur d'un tuyau, tellement ce chant se fait l'écho de lui-même. Photo prise le 19 mai dans la réserve faunique du Cap Tourmente.


Et que dire de ce lilliputien de la gente ailée qu'est le Troglodyte des forêts / Troglodytes hiemalis hiemalis / Winter Wren. Un oiseau fascinant non par le manteau très sobre qu'il porte, mais plutôt par son chant dynamique et émis avec une force tout à fait exceptionnelle pour un oiseau de si petite taille. Alors qu'il émet souvent son chant bien juché dans la partie supérieure d'un grand conifère, c'est au sol qu'il se nourrit le plus et il est difficile à localiser dans le sous-bois. Photo prise le 19 mai dans la réserve faunique du Cap Tourmente.


Reconnaître une paruline seulement par son chant peut s'avérer un beau défi, car le répertoire de plusieurs espèces débordent largement de leur chant typique. On sait que la Paruline jaune possède une dizaine de chants bien différents de son "tire tire tire la bibite" si caractéristique. Notre belle Paruline flamboyante / Setophaga ruticilla / American Redstart n'a rien à lui envier au nouveau de la variabilité des sons qu'un mâle peut produire. Tout ça pour dire que l'identification à l'oreille peut cacher bien des surprises et qu'il vaut mieux toujours essayer de confirmer visuellement ce que le son nous propose. Photo prise le 19 mai dans la réserve faunique du Cap Tourmente.


Le 29 mai, alors que je déambule lentement au domaine de Maizerets, j'aperçois six canetons âgés d'à peine quelques jours qui ne savent plus où donner de la tête tellement ils sont excités de découvrir autant de nouvelles choses. Animés par la fougue et l'insouciance de la jeunesse, ils fouinent partout et ils touchent du bec tous les éléments qui se présentent devant eux. 


Mais la mère n'est jamais très loin et elle devient le point de ralliement lorsqu'une situation un peu trop perturbante survient. Cette femelle de Canard colvert / Anas platyrhynchos platyrhynchos / Mallard  ne laisse pas ses canetons s'éparpiller à la grandeur du plan d'eau. Quelques cancanements bien placés ramènent les petits inconscients à l'ordre.


Le Quiscale bronzé / Quiscalus quiscula versicolor / Common Grackle fait partie du groupe des mal aimés, des "oiseaux noirs". Et pourtant, lorsqu'on y regarde de plus près, l'iridescence de son plumage est fascinante lorsque les rayons de lumière frappe l'oiseau sous le bon angle. Il en est ainsi de plusieurs autres espèces d'oiseaux qui semblent bien moches lorsque vues à l'ombre et qui s'illuminent littéralement en pleine lumière. Photo prise le 29 mai, au domaine de Maizerets.


L'élégante et effilée Tourterelle triste / Zenaida macroura carolinensis / Mourning Dove est d'une grande beauté quand on s'attarde à son plumage. Ses couleurs douces et son chant feutré et, disons-le, triste procurent  un certain apaisement dans une vie trop souvent trépidante. Photo prise le 31 mai dans le jardin de ma fille Anne-Marie à Laval, près de Montréal.


Et c'est dans ma cour à Sillery que MA Tourterelle triste recommence à faire la belle dans le but de débuter une deuxième nichée. Nous sommes le 7 juin. Le mâle gonfle sa gorge avant d'émettre son "ou..OU...ou..ou..ou". Ce faisant, il fait apparaître une zone dorée entre sa gorge dilatée et l'arrière de son cou. C'est la première fois de ma vie que j'observe ceci en 50 années d'observation. Et pourtant, j'ai "jasé" avec au moins une centaine de tourterelles, mais je me rends compte que je n'étais pas à son niveau. L'oiseau était toujours plus haut et il était impossible pour moi de voir cette partie de son plumage. Dans le cas présent, l'oiseau est sur le toit d'un cabanon et je suis presque à sa hauteur. La plage dorée n'est pas si évidente que ça sur cette photo, mais elle était éclatante à mon oeil. L'absence de soleil fait que la photo est plutôt sombre.


Et le voici ce Bruant familier / Spizella passerina passerina / Chipping Sparrow qui s'hybride quelques fois avec le Bruant des plaines. Très commun, son trille ténu égaie les rues des villes et villages, les parcs et les boisés aussi loin qu'en forêt boréale. Photo prise à Saint-Pierre, Île d'Orléans, le 8 juin 2014.


Ce même jour et au même endroit, une magnifique femelle de Pic flamboyant / Colaptes auratus luteus / Northern Flicker est bien occupée à se nourrir de fourmis au sol quand, sans prévenir, elle vient se percher à quelques mètres de moi comme pour me saluer avant de de continuer sa route. Quel bel oiseau !




@ bientôt.






 

lundi 2 juin 2014

L'étrange pompe du marais.



Qu'ils étaient étranges ces sons en provenance du fond du marais où je me tenais du haut de mes treize ans !  Ça se passait au début juin 1963, à Sainte-Croix-de Lotbinière. Ça sonnait à mes oreilles comme une vieille pompe en manque d'eau et qui n'est pas capable de commencer à faire le travail pour lequel elle a été inventée i.e. pomper l'eau. Car, nous le savons évidemment tous (hum, hum, hum),  pour qu'une pompe fonctionne, il faut d'abord la "partir" en lui procurant assez d'eau pour que la succion se fasse et qu'elle draine l'eau vers la sortie du boyau. Sinon, il s'ensuit un paquet de gargouillis, de sons hétéroclites où s'entremêlent ceux de l'eau qui peine à s'engouffrer dans le système et ceux de l'air qui y trouve de la place pour s'insérer et pour compliquer la manoeuvre. Ça peut ressembler aux sons que je venais d'entendre, un "GOU...GA...OU", tout de suite suivis par deux ou trois autres "GOU...GA...OU". Wow !  Plutôt impressionnant pour un naturaliste en herbe doté d'une curiosité insatiable qui n'avait d'égale que sa méconnaissance de la nature. Mais ça correspond à quoi ces sons ?  Non, il n'y a pas de crocodile au Québec, pas plus que d'hippopotame et, d'ailleurs, qui me dit que ce seraient les sons qu'ils émettraient ? C'est quoi alors cette bête au cri impressionnant. Je n'en ai aucun idée, ça a l'air énorme... plus que moi... et je décide de quitter sans demander mon reste.

De retour à la "civilisation", je vais voir mon mentor Gabriel Allaire, professeur de sciences émérite qui m'a inculqué le goût de l'observation des oiseaux et en qui j'ai une confiance ABSOLUE , et je lui demande d'éclaircir ce mystère. Gaby esquisse un petit sourire en coin et, après un semblant de petit moment de cogitation, il commence à me raconter une histoire qui ne semble pas de prime abord correspondre à mon premier questionnement.

"Tu sais Laval" qu'il me confie d'un ton ferme et très sérieux, "les sons que tu viens d'entendre ne s'entendent pas seulement dans les marécages. Les cultivateurs les entendent souvent au printemps et ils peuvent provenir de champs inondés ou de milieux humides en bordure de rivière. À leurs oreilles, ça sonne plutôt comme un homme qui serait en train de construire une clôture en plantant des piquets de cèdre avec l'aide d'une masse et ça donnerait un KONG...ka...KONG.  Le "ka" correspondant à l'intermède alors qu'il place le maillet sur le sommet du piquet afin d'assurer de viser juste. "

"Ouais... KONG...ka...KONG  ou  GOU...GA...OU, ça se ressemble" que je me dis. " Mais quel animal produit ce son ?". Gaby lâche finalement le morceau "Laval, c'est un Butor d'Amérique.  Une espèce d'échassier qui se tient dans les milieux humides et qui attire la femelle, le printemps et en pleine période d'accouplement, par ces bruits que je trouve très peu poétiques et attirants, mais qui semblent faire l'affaire de madame butor." Enfin, le mystère est résolu. Je connais bien l'oiseau à partir de mon "Peterson", le seul guide de terrain disponible à l'époque, mais je ne le connais que par l'image.


Voici un mâle de Butor d'Amérique / Botaurus lentiginosus / American Bittern dans son habitat le plus caractéristique soit celui des marécages à quenouilles où, grâce à son plumage cryptique, il se fond si bien dans la végétation. Photo prise au Marais Léon Provancher de Neuville le 20 mai 2014.


Afin de mieux se camoufler dans son habitat, il étire le cou et les stries qui partent de la gorge pour s'étendre jusqu'à son entrejambe s'imbriquent parfaitement dans la verticalité des joncs qui l'entourent. Il pousse même jusqu'à se balancer de côté afin d'imiter le mouvement des joncs qui bougent sous l'action du vent. Notez la position de ses yeux qui lui permet de continuer à observer devant lui. Photo prise au Marais Léon Provancher de Neuville le 20 mai 2014.



Ce n'est que des années plus tard que je réussis finalement à observer un butor alors qu'il émet ces sons si caractéristiques à l'espèce... et c'est seulement en mai 2014 que je peux le photographier en pleine action.


Le mâle et la femelle ont exactement le même plumage. Seul le mâle produit ces sons gutturaux et il le fait seulement en période de reproduction. Je n'ai jamais entendu ces sons hors de cette période qui se situe à la fin mai pour les observateurs de la région de Québec.


Le butor commence d'abord par emmagasiner de l'air à l'aide d'inspirations profondes réalisées avec le bec entrouvert et avec des balancements de son corps d'avant en arrière.




Une fois bien remplie d'air, sa région ventrale se gonfle et nous entendons un "GOU"




Ce même air remonte ensuite vers la gorge et ce transfert se matérialise en un "GA...OU" lorsque l'air est expulsé par le bec.




Il répète ce stratagème quelques fois, jusqu'à ce que le volume d'air emmagasiné soit épuisé. Du moins, c'est ce qu'il m'a présenté lors de sa prestation du 20 mai dernier.

C'est quand même fascinant de voir que l'on peut s'éloigner de seulement quelques kilomètres de la ville pour pouvoir profiter de si belles scènes de la vie animale. Il ne reste qu'à espérer que les habitats marécageux seront préservés afin de nous garantir la présence de tant de richesses naturelles.


@ bientôt.