jeudi 17 octobre 2013

Île-aux-Basques: du 11 au 14 octobre 2013


11 octobre 2013

Il est 03h45 en ce vendredi matin. La sonnerie du cadran nous signale qu'il est l'heure de quitter le lit douillet. Nous regrettons encore l'heure tardive du coucher de la veille. Mais, que voulez-vous, c'est toujours comme ça. La fébrilité de retrouver NOTRE île nous fait coucher tard, mal dormir et la levée du corps en est d'autant plus affectée. Une heure plus tard nous traversons le pont Pierre Laporte, direction le Bas-Saint-Laurent.

Contrairement à notre visite en septembre, les prévisions météorologiques sont tout simplement fantastiques. Du soleil, du soleil et du soleil jusqu'à lundi. La dernière fois, on nous annonçait de la pluie et nous avions eu du très beau temps. Impossible quand même que ce soit encore le contraire qui arrive !  Et bien, oui. Le soleil tant annoncé se fera très timide et il s'amusera à jouer à cache-cache en arrière des nuages. Le manque de lumière rend les observations plus difficiles et je ne parle pas de la prise de photo qui s'avère beaucoup plus problématique. Mais qu'à cela ne tienne, on en a vu d'autres.

C'est en compagnie de 16 autres personnes, toutes membres du Club des Ornithologues de Québec (C.O.Q.), que nous entreprenons un autre séjour sur notre île magique. En mettant le pied sur l'île, nous jasons avec d'autres personnes qui la quittent après un séjour de quelques jours. Nous apprenons que c'est plutôt tranquille autant en nombre d'espèces qu'en nombre d'individus. Cependant, la nuit dernière a apporté une vague de migrateurs et c'est plus visible ce matin.

Dès 08h30, Anne et moi accrochons la paire de jumelles à notre cou et c'est parti vers la partie ouest de l'île. Notre première journée appartient aux centaines de Roitelets à couronne dorée / Golden-crowned Kinglet que nous rencontrons autant en milieu forestier qu'en milieu ouvert. Même si habituellement ils se tiennent haut dans le faîte des conifères, ils se présentent maintenant à hauteur des yeux et même tout près du sol.


Le Roitelet à couronne dorée / Regulus satrapa satrapa / Golden-crowned Kinglet est parmi les plus petits des passereaux, identifiable souvent par la taille seulement. Cette petitesse est adaptative, car elle lui permet d'exploiter les ressources alimentaires se trouvant en périphérie des conifères. Leur taille lilliputienne est avantageuse parce qu'elle leur permet de manoeuvrer dans les espaces réduits entre les aiguilles des conifères ou de se percher sur ces mêmes aiguilles *.
 
À l'automne, les oiseaux ne défendent plus un territoire de nidification spécifique. Par contre, lorsque le nombre d'individus est important sur un même lieu d'alimentation, les altercations se font plus fréquentes. On ne se tolère pas lorsque la promiscuité est trop grande. Ici un mâle, à droite, chasse un individu qui s'est trop approché.

Dans le secteur dit "de la source", Anne repère un oiseau immobile, accroché au tronc d'un petit feuillu, et visible entre les branches d'une épinette. Une observation rapide permet d'identifier un Pic maculé / Sphyrapicus varius / Yellow-bellied Sapsucker. Un coup d'oeil plus approfondi nous fait réaliser que cet individu n'est pas normal. Il est affublé d'un bec aux mandibules trop longues et trop étroites qui se croisent aux deux tiers de leur longueur. Bien maladroitement, il essaie de picosser le tronc, mais ça ne fonctionne pas. Il part en vol et il se perche dans un sorbier rempli de fruits rouges.

Ce type de déformation du bec est nommé "trouble de la kératine aviaire". La kératine est une protéine essentielle à la formation du bec, semblable à celle qui compose les ongles et cheveux humains. Ce trouble consiste en un surdéveloppement anormal de la couche de kératine du bec, ce qui a pour effet de rendre les becs trop longs ou croisés - parfois les deux ensembles - chez les oiseaux infectés. Occasionnellement, certains oiseaux ont été aperçus avec des pattes, des serres, ou des plumes anormales **.

Tant bien que mal, il réussit à en saisir un et à l'avaler tout rond.


Ces déformations ont souvent un impact important sur les oiseaux, car elles les gênent pour chasser et se nourrir correctement. La forme du bec d’un oiseau étant directement liée à son régime alimentaire, un bec déformé implique des changements de comportements dans la collecte de nourriture. Par exemple, il est courant qu’un oiseau déformé doive incliner la tête pour attraper la nourriture. Dans certains cas, ces oiseaux ne pouvant plus récolter la nourriture par eux-mêmes, ils deviennent alors dépendants des sources humaines (mangeoires, poubelles...). Dans tous les cas, ces modifications de comportement entraînent une dépense accrue d’énergie pour la collecte de la nourriture, et donc une plus grande vulnérabilité aux prédateurs et aux maladies. Une déformation du bec peut également empêcher les oiseaux de lisser leurs plumes, action indispensable pour maintenir leur isolation thermique et survivre au froid. Pour toutes ces raisons, un bec déformé entraîne une mortalité accrue pour les oiseaux. Enfin, il apparaît que les déformations modifient aussi le comportement sexuel des oiseaux et impacte sur leur capacité à se reproduire et à élever leurs petits, peut-être autant à cause d’un dérèglement hormonal qu’une impossibilité physique **.

Je doute très fortement que cet individu pourra survivre à l'hiver qui s'en vient. C'est toujours triste à voir, mais ça fait partie de la vie où la maladie et les difformités peuvent survenir et frapper certains individus.

Le petit matin a vu apparaître sur l'île une vague de turdidés parmi lesquels le Merle d'Amérique / Turdus migratorius migratorius / American Robin, la Grive solitaire / Catharus guttatus faxoni / Hermit Thrush et la Grive à joues grises / Catharus minimus minimus / Gray-cheeked Thrush. Ils se nourrissent goulûment dans les sorbiers bien chargés de fruits rouges dans la région de la source. Le manque de lumière m'empêche de prendre des photos, mais je me reprendrai plus tard.

De retour près du chalet Matte, où nous sommes hébergés, un petit elfe emplumé se matérialise devant moi et je ne peux m'empêcher d'essayer de le pixelliser.


Voici une petite boule d'énergie sans pareille, le Troglodyte des forêts / Troglodytes hiemalis hiemalis / Winter Wren. Une visite à l'île ne se fait jamais sans rencontrer cette espèce. Cependant, l'automne est le meilleur temps pour l'observer de près et avec une plus grande facilité. Le printemps, il se tient bien haut à la cime des grands conifères et on l'entend beaucoup plus qu'on ne le voit. Il est le membre de la famille des troglodytidés ayant la distribution la plus vaste mondialement et il est le seul présent dans le vieux monde où il est connu sous le nom de Troglodyte mignon / Troglodytes troglodytes / Eurasian Wren. C'est un oiseau commun fréquentant divers habitats et quelques individus migrent plus au sud lorsque l'hiver est trop sévère. Sa propension à se disperser sur différents continents, et à atteindre des îles lointaines, a conduit à la description de 44 races distinctes, faisant de cette espèce la plus polytypique du monde ***.

En après-midi, nous couvrons la partie est et la partie ouest de l'île, à la recherche surtout des laridés et des limicoles. C'est aussi tranquille de ce côté et nous finissons la journée avec une liste de 46 espèces pour la première journée.


12 octobre 2013


Il est 07h30 lorsque nous pointons nos télescopes vers le large à partir de la pointe ouest de l'île. Ce matin, pas de soleil, mais une belle vision sur l'eau étale. Ça bouge terriblement en dedans d'un kilomètre de la côte. Nous nous délectons des trois espèces de macreuses, des deux espèces de garrots et des centaines de Harles huppés / Mergus serrator / Red-breasted Mergansers et d'Eiders à duvet / Somateria mollissima dresseri / Common Eiders.


À l'automne, l'Eider à duvet arbore un plumage varié et variable à mesure qu'il vieillit. Ce mâle en devenir en est une preuve éclatante. Lors de ma première visite à l'île, au début des années 1970 (ça fait quand même plus de 40 ans), ce canard de mer était beaucoup plus nombreux. Je me souviens avoir vu des dizaines de femelles assises sur leur nid.

Un Grèbe jougris, deux Plongeons huard / Gavia immer / Common Loon et une douzaine de magnifiques Hareldes kakawi / Clangula hyemalis / Long-tailed Ducks nous procurent de très beaux moments. Nous observons au moins 350 Mouettes tridactyles / Rissa tridactyla tridactyla / Black-legged Kittiwakes parmi une grosse bande de laridés. Aucun labbe. Ce n'est que partie remise.

En revenant au chalet, c'est encore Anne qui repère une nouvelle espèce en vol, un magnifique Faucon pèlerin / Falco perigrinus anatum / Peregrine Falcon qui fait s'envoler un groupe d'une centaine de limicoles, toujours à la pointe ouest.

C'est en après-midi que nous retournons toujours dans la partie ouest de l'île. Nous y demeurons entre 15h00 et 17h30. Nous observons les limicoles suivants: Pluvier argenté / Pluvialus squatarola / Black-bellied Plover, Bécasseau sanderling / Calidris alba / Sanderling, Bécasseau semipalmé / Calidris pusilla / Semipalmated Sandpiper, Bécasseau variable / Calidris alpina hudsonia / Dunlin et Bécasseau à croupion blanc / Calidris fuscicollis / White-rumped Sandpiper. Juste avant de quitter, voilà que nous sommes confrontés avec la dure réalité que l'hiver n'est pas si loin alors qu'un Plectrophane des neiges / Plectrophenax nivalis nivalis / Snow Bunting se promène sur les immenses roches plates présentes sur la partie nord de l'île.

Notre premier Plectrophane des neiges / Plectrophenax nivalis nivalis / Snow Bunting de l'automne 2013.

Cette deuxième journée complète sur l'île se termine avec 50 espèces observées par le groupe.

13 octobre 2013
Ce matin, nous nous rendons à la pointe est de l'île avec l'espoir que quelques nouveautés vont profiter des premiers rayons chauds du soleil pour s'animer dans les rosiers qui bordent l'Anse-d'en-Bas. Pour ce faire, nous empruntons le sentier des Basques qui s'étirent sur toute la longueur de l'île. La marche en forêt démontre que ça risque d'être très tranquille aujourd'hui. En aboutissant à l'anse, voilà qu'une surprise nous attend. Une Bernache du Canada / Branta canadensis / Canada Goose marche lentement sur la rive. Elle semble en parfaite condition, mais elle est peu farouche. Elle passe à environ six mètres de nous en nous jetant un oeil. Comme nous ne bougeons pas, elle n'est pas effarouchée par notre présence. J'ai l'impression que cette bernache est tout simplement épuisée et qu'elle se nourrit et s'hydrate pour pouvoir continuer.

Le plumage de cette bernache est en parfaite condition et sa démarche démontre qu'elle n'est pas blessée.

La bernache broute i.e. qu'elle mange la végétation en surface et non les racines comme le fait l'Oie des neiges. Les mandibules de son bec sont frangées de petites saillies en pointe qui font office de dents et qui l'aident à bien saisir la végétation afin de l'arracher.

 Nous nous rendons ensuite au quai de pierres où se dresse le phare. La marée est fine basse et je me rends jusqu'à ce phare. De là, malgré le peu de lumière, je prends quelques photos.

Les trois espèces communes de goélands se reposent sur cet îlot rocheux près de la pointe de roches à l'est de l'île.

Un Goéland argenté passe en vol en transportant un oursin dans son bec. Selon son habitude, il devrait le laisser tomber sur les roches afin qu'il se brise et qu'il puisse manger l'intérieur. Je n'ai pas eu la chance d'assister à ce comportement.

Alors que le ciel de l'avant-midi est plutôt ennuagé, voilà que le tout se dissipe en après-midi et nous avons droit alors à une belle lumière. J'en profite pour aller prendre des photos des turdidés qui se nourrissent dans les sorbiers.

Mais où sont les fruits ?  semble se demander cette magnifique Grive solitaire.

Tout comme pour les roitelets, les grives ne sont pas enclines à partager les victuailles avec leurs congénères. Ici, deux des trois Grives solitaires présentes s'affrontent afin de savoir qui va profiter des beaux fruits rouges du sorbier.


Les Merles d'Amérique sont plus généreux à partager la manne et je n'ai vu aucune interaction entre eux durant les longues minutes où je suis resté à les observer tout au long de la fin de semaine.

Nous continuons ensuite jusqu'à la pointe où je saisis d'autres photos de nos amis ailés.

Un superbe Bécasseau variable fait des ronds dans l'eau tout en me montrant les plumes de ses ailes.

Ce Junco ardoisé / Junco hyemalis hyemalis / Dark-eyed Junco profite des rayons du soleil de fin d'après-midi.

14 octobre 2013
En ce dernier matin, nous ne disposons que de deux heures d'observation avant de vaquer aux préparatifs de départ. Nous décidons donc de faire un dernier essai à la pointe ouest afin de trouver des nouveautés au large. En nous y rendant, nous faisons une autre belle découverte qui nous fait encore réaliser à quelle saison de l'année nous sommes rendus. C'est encore Anne qui pointe un oiseau perché tout en haut d'un conifère. Le voici.
Une autre espèce qui nous suggère fortement que l'hiver est à nos portes: la Pie-grièche grise / Lanius excubitor borealis / Northern Shrike.
Et au large deux belles nouveautés nous ravissent. Un Labbe parasite / Stercorarius parasiticus / Parasitic Jaeger harcèle tellement bien une Mouette tridactyle que cette dernière finit par lâcher le poisson. Le labbe le récupère à la surface de l'eau où il reste posé pendant de longues minutes. Ensuite, ce sont trois Plongeons catmarins / Gavia stellata / Red-throated Loon qui finissent enfin par se montrer. Un peu plus et nous repartions sans en observer un seul.

Nous terminons notre séjour avec 63 espèces, ce qui est peu si on les compare aux 106 espèces de l'édition automnale de 2010 (du 8 au 11 octobre). Mais qu'importe les nombres et les statistiques. Ce séjour a encore été mémorable et nous avons tellement hâte d'y retourner au printemps 2014.


À bientôt !


Bibliographie consultée


*      del Hoyo, J., Elliott, A. & Christie, D.A. eds (2006). Handbook of the Birds of the World. Vol 11.  Old World Flycatchers to Old World Warblers. Lynx Edicions, Barcelona.
**     http://recherchespolaires.inist.fr/?La-mysterieuse-augmentation-des
***   del Hoyo, J., Elliott, A. & Christie, D.A. eds (2005). Handbook of the Birds of the World. Vol 10.  Cuckoo-shrikes to Thrushes. Lynx Edicions, Barcelona.






3 commentaires:

Noushka a dit…

Bravo, magnifiques observations et clichés!
Nous avons tenté le Roitelet en Espagne, mais impossible de le fixer sur "pellicule"... Dommage!
Cette histoire de bec déformé apparaît aussi chez les perroquets mais rarement.
Heureusement que ça les impacte pour la reproduction, passer un tel dérèglement dans les gènes n'est forcément pas bon pour l'espèce!
Pasz le temps de commenter chaque photo, mais ton article est vraiment intéressant et j'adore découvrir par tes yeux ce que vous avez autour de chez vous!
Bien amicalement et merci pour tes coms chez moi Laval!
Bon WE!

David M. Gascoigne, a dit…

J'ai envie de faire ce même voyage!

lejardindelucie a dit…

Merci pour ce séjour ornithologique passionnant. J'y retrouve quelques oiseaux qui m'ont émerveillé et des cousins de nos autochtones. Roitelets et troglodytes qui font parti des petits oiseaux du jardin mais si cachottiers et petits qu'ils se laissent rarement prendre en photo. L'essentiel est qu'ils se plaisent chez nous!
La déformation du bec du pic fait mal au cœur à voir mais les oiseaux sont aussi atteints de divers maux et maladies, hélas!