mercredi 24 avril 2013

9-1-1 Mésange...



Si on m'avait demandé, avant dimanche matin dernier, quelle espèce d'oiseaux je serais susceptible de devoir aider après qu'elle se soit mise dans une situation difficile, jamais je n'aurais pensé à la Mésange à tête noire. Elle est petite, rapide, énergique, acrobatique, fouineuse et elle semble capable de s'adapter à toutes les circonstances que sa vie d'oiseaux peut lui amener. Cette boule de plumes hyperactive est l'un de mes oiseaux préférés. Quelle que soit la saison et les conditions météorologiques, elle est l'oiseau que nous sommes sûrs de rencontrer au Québec. Il fût un temps où j'aimais l'hiver et les sports d'hiver (il me semble que ça fait bien longtemps). Je partais seul en raquettes pour des promenades en forêt, parfois sous des froids assez mordants. Ce que je trouvais le plus difficile, c'était de traverser les milieux ouverts que constituaient les champs qui séparaient la maison paternelle de cette belle forêt de conifères située à environ un kilomètre en arrière de la maison. Devinez quel est l'être vivant qui m'accueillait dès que j'approchais la forêt. Bien sûr, la mésange qui faisait entendre son "chickadi-di-di-di" aussitôt qu'elle m'apercevait. Je n'avais qu'à siffler quelques notes pour voir l'oiseau voleter tout autour et redoubler d'ardeur à interagir avec moi si j'avais la bonne idée de poursuivre le dialogue. La chaleur interne qu'elle faisait monter à l'intérieur de moi était tout à fait réconfortante. Et pendant les quelques minutes que je prenais pour communiquer avec la belle, j'oubliais la fatigue du trajet, le vent cinglant qui avait frigorifié toutes les parties de mon visage qui étaient dénudées. Sans oublier les mains et les pieds que mes mitaines et mes bottes n'arrivaient jamais à protéger complètement d'un froid trop pénétrant.

Photo prise le 7 mars 2012 au Centre de Plein Air de Sainte-Foy.

Combien de fois j'ai été réconforté par sa présence alors qu'elle m'escortait tout au long de ma randonnée. Oh ! Je me doute bien que ce n'était pas toujours la même, mais j'ose croire que chacune se parlait et qu'elle relayait le message à la suivante de me suivre et d'égayer ma visite dans leur royaume boréale. Et que dire également de sa présence assurée aux postes d'alimentation que les membres de notre club d'ornithologie installaient chacun dans leur environnement respectif. Pour moi, la Mésange à tête noire incarne la fougue, le courage et la force de caractère qu'il faut pour survivre à nos hivers québécois et c'est toujours avec un grand respect que je la salue lorsque je la croise lors de mes sorties.

Et rien n'est différent en ce matin du 21 avril 2013. Je me trouve au Domaine de Maizerets et je prends avec plaisir des photos d'espèces que je vois pour la première fois de l'année au Québec. Voilà que j'arrive près d'un tronc mort où s'agitent deux mésanges. En fait, il y a deux trous sur le même tronc. Pendant que l'une s'occupe du trou plus haut, l'autre s'occupe de l'entrée par le sous-sol. C'est drôle de voir les deux sortir de leur trou respectif de la sciure de bois. Il fait super beau, c'est un beau matin de printemps et ça sent la nidification à plein nez. Alors que la mésange à l'étage ne semble plus intéressée de faire des rénovations, celle du sous-sol ne ménage aucun effort. Elle rentre sa tête très loin dans le trou et elle en ressort sans trop de problème. La voici à l'oeuvre.

 
 La mésange me jette un coup d'oeil une fois de temps en temps, mais je ne semble pas l'importuner outre mesure. Il faut dire également que les mésanges au domaine sont plutôt habituées aux humains. Après s'être débarrassée de la sciure de bois, elle replonge tête première dans la cavité.

    

Je crois que vous devinez la suite. Sur la photo du haut, on voit que sa patte gauche est à l'intérieur du trou et elle essaie de la ramener pour avoir une prise avec ses griffes, mais elle est coincée, sa patte n'a plus de prise et il ne lui reste que la droite pour s'agripper. 


Nous savons qu'un oiseau montre de l'anxiété ou du stress lorsqu'il défèque. C'est un comportement qu'on observe souvent sur le terrain. Nous voyons sur la photo du haut que son cloaque est bien visible. En réalité, il s'agrandit et se rétrécit à ce moment-là à un rythme assez rapide. Je me doute bien qu'il n'aime pas la situation et qu'il cherche une position pour se tirer de ces mauvais draps. Mais je laisse faire et je continue à documenter avec mon appareil photo. Une bonne vingtaine de secondes passent et l'oiseau ne bouge plus, il semble réfléchir à la façon de s'en sortir. Comme il ne peut reculer, il décide de plonger encore plus avant, probablement avec l'idée qu'il va se retourner au fond de la cavité. Voilà ce que ça donne.


Sa patte droite disparaît et le corps balance sur la gauche. 


Et là, c'est pire que pire. L'oiseau ne peut se retourner et ses pattes sont toutes les deux de l'autre côté d'un renflement dans le tronc qui l'empêche de reculer. Je laisse encore faire la nature pendant une minute, mais l'oiseau semble vraiment dans le pétrin et je décide que j'en ai assez vu. Au diable la nature que je me dis. Sans faire ni un ni deux, je place mes mains de chaque côté de la cavité et je fais éclater la partie de gauche libérant du même coup l'oiseau un peu "dépeigné" et sûrement soulagé. 

Et vous savez quoi. L'oiseau s'est perché à proximité et il s'est mis à chantonner un "chickadi-di-di-di" faible, mais qui venait du coeur. Ça se sentait. Je peux l'écrire sans même esquisser un sourire tellement j'y crois.

J'espère ne plus revivre une pareille expérience, mais je suis quand même heureux d'avoir eu l'occasion de rendre service à un oiseau qui m'a tant apporté jusqu'ici.

À bientôt ...







mercredi 17 avril 2013

Des oiseaux sur la "Vieille Montagne".

Le Machu Picchu, ce nom vous rappelle quelque chose ? Vous savez ce haut lieu sacré inca établi au sommet de pics vertigineux dans les Andes péruviennes. En décembre 2009, Anne et moi-même décidons de nous rendre dans la partie centre est du Pérou afin d'aller découvrir la très grande variété d'oiseaux qui l'habitent. Cette région comporte plusieurs points d'attraction et pas seulement ornithologiques: le célèbre Parc National de Manu, la rivière Alto Madre de Dios qui traverse la section amazone au centre du pays, Abra Malaga et ses spécialités de haute altitude, la ville de Cuzco endroit idéal pour s'imprégner de la culture inca, la Vallée sacrée et le mythique site de Machu Picchu. Même pour un maniaque d'oiseaux comme moi, il n'est surtout  pas question de nous rendre au Pérou sans visiter le Machu Picchu. Je me dis aussi, qu'après tout, il doit bien y avoir des oiseaux à observer là aussi ;-) .


La façon la plus pratique et la plus rapide de nous y rendre est d'abord de nous diriger, au départ de Cuzco et en empruntant les routes 28 et 288, à la ville de Ollantaytambo. Située dans la partie est du Pérou, à 88 kilomètres au nord ouest de Cuzco, elle est en continuité de la non moins renommée Vallée sacrée qui commence dès que nous  traversons le village de Pisac sur la route 288. Les Incas s'y sont installés très tôt dans leur histoire en raison de la richesse du sol et de l'abondance des cours d'eau.


La photo de Anne montre bien cette vallée sise au pied de hautes montagnes. Une rivière plus ou moins large selon les endroits assure un apport d'eau tellement important à des altitudes de 2 500 mètres et plus. C'est un endroit idyllique pour s'y établir.

C'est le 19 décembre 2009 que nous traversons la Vallée sacrée en compagnie de Ramiro et de Custo. Ramiro est un guide ornitho professionnel et Custo est le chauffeur du véhicule 4X4 dont nous avons réservé d'avance les services pour une durée de onze jours. Nous nous arrêtons à la ville d'Urubamba, à une vingtaine de kilomètres avant Ollantaytambo, à l'hôtel Hosteria Illarimuy. Et c'est le lendemain que nous nous rendons prendre le train.




Après un substantiel petit déjeuner à 06h00, nous prenons place dans le minibus 4X4 de Custo et nous nous dirigeons vers la station de train de Ollantaytambo (à 2 700 mètres d’altitude). Il pleut depuis quelques jours dans la région. Normal car nous sommes au début de la saison des pluies. Le départ du train est programmé à 07h15, mais un éboulis sur la voie ferrée cause un retard. Nous ne partons que vers 08h30. Nous profitons de ce temps d'attente pour cocher la première nouvelle espèce de la journée, le Porte-traîne nouna / Green-tailed Trainbearer. Il sera suivi de près par notre premier Cardinal à dos noir / Black-backed Grosbeak du voyage. Je ne connais pas de meilleure façon pour passer le temps.

Nous choisissons des sièges qui donnent du côté de la rivière dans le but de trouver la Merganette des torrents / Torrent Duck et le Cincle à tête blanche / White-capped Dipper pendant le trajet qui dure environ une heure et trente minutes. La voie ferrée longe la rivière Urubamba jusqu'à Agua Calientes, soit sur une distance d'une quarantaine de kilomètres. Le sièges sont confortables, les baies vitrées sont grandes et la rivière est idéale pour l'observation des espèces recherchées. Le train est tout sauf rapide. Mais cela nous convient parfaitement. Ceci nous permet de repérer à l'oeil nu dix merganettes dont un immature, sept femelles et deux mâles.

Deux mâles de Merganette des torrents / Merganetta armata armata / Torrent Duck s'affrontent dans un duel où la plume remplace l'acier. Photo de Claudio Vidal , Chili, printemps 2011.

Nous réussissons également à trouver trois cincles. De plus, nous ajoutons deux Chevaliers grivelés / Spotted Sandpipers, trois Moucherolles noirs / Black Phoebe et un Tyranneau des torrents / Torrent Tyrannulet. Les paysages sont tout à fait grandioses. Comme les wagons sont pourvus d'un toit vitré, les montagnes hautes et très escarpées nous entourent littéralement.


Un délicieux lunch nous est servi et nous arrivons à Agua Calientes (à 2 000 mètres d'altitude) dans les délais prévus. C'est une petite ville touristique très achalandée, car tous doivent y passer avant d'accéder au réputé site. Nous empruntons un autobus qui escalade une route en lacets jusqu'à l'entrée du site du Machu Picchu (à 2 400 mètres d'altitude). De mémoire, le tout prend de quinze à vingt minutes. Au terme de cette courte balade, le panorama qui s'offre à nous est tout à fait magique. Sur la photo qui suit le sommet qui culmine le plus au-dessus du site archéologique est le Huayna Picchu.

 
Il est 11h15 lorsque nous débutons la visite du site en compagnie de Ramiro. Celui-ci nous guide à travers les ruines comme s'il était chez lui. Ses explications sont intéressantes et concises. Nous sommes très impressionnés par les vestiges, l'emplacement et les montagnes tout autour. Le Machu Picchu (du quechua MACHU, vieille, et PICCHU, montagne) est une ancienne LLAQTA (cité) inca du XVième siècle perchée sur un promontoire rocheux qui unit les monts Machu Picchu et Huayna Picchu (jeune montagne) sur le versant oriental des Andes centrales. 

Selon des documents du XVIème siècle, Machu Picchu aurait été l'une des résidences de l'empereur Pachacutec. Quelques-unes des plus grandes constructions et le caractère cérémonial de la principale voie d'accès à la LLAQTA démontreraient aussi que le lieu fut utilisé comme un sanctuaire religieux avec tout ce que cela comporte de rituels et de croyances. Les deux usages ne s'excluent pas forcément.

Sur le site de Machu Picchu, les habitations situées le plus haut étaient celles de la royauté, des nobles, des magistrats et des différents temples. Au centre des bâtiments, nous apercevons un ensemble de structure plus pâle qui est le temple du soleil.  

De toutes les constructions, le temple du soleil est le plus peaufiné, le plus grand et le mieux situé sur le site de Machu Picchu. L'édifice principal constitué de blocs de pierre finement polis est appelé la tour. Elle est construite sur une grande roche sous laquelle se trouve une petite grotte dont les parois sont entièrement recouvertes d'un fin travail de maçonnerie. On pense qu'il s'agit d'un mausolée et que, dans ses grandes niches, reposaient des momies. Ce lieu servait lors de cérémonies en relation avec le solstice de juin. Le matin du solstice, les premiers rayons du soleil à apparaître de  derrière la montagne passaient par une des ouvertures carrées pratiquées dans le mur et venaient frapper un endroit bien précis à l'intérieur de la construction. En contrebas, nous apercevons la rivière Urubamba qui vient encercler la base de ces pics rocheux.
En revanche, les experts ont écarté l'idée d'un ouvrage militaire. Les Incas n'étaient pas fondamentalement des guerriers. L'idée de construire une cité au sommet d'une montagne relevait plus de la volonté de s'approcher des cieux (et des dieux) que de celle de dominer militairement les alentours. Ramiro s'est toujours intéressé à l'histoire de ce site et, à partir de ses nombreuses lectures, il en vient à la conclusion que la famille royale ne devait pas y habiter à l'année longue, mais plutôt durant les quelques mois où la température devenait trop chaude en plus basse altitude. 

Le Condor des Andes / Vultur gryphus / Andean Condor survole le site aujourd'hui, comme il le fait depuis des temps immémoriaux.

Le Condor des Andes est un rapace d'une grande beauté et, grâce à son envergure d'ailes de plus de trois mètres, il est passé maître dans l'art de se laisser porter par l'air chaud ascendant créé par les milieux arides où il se tient. En plus d'être un symbole national pour le Pérou, le Chili, la Bolivie, la Colombie, l'Équateur et l'Argentine, il joue un rôle important dans le folklore et la mythologie des régions andines. Le condor est considéré quasi menacé par l'UICN. Je remercie Pierre Bannon qui m'a autorisé à utiliser cette photo d'un bel adulte qu'il a prise le 3 octobre 2006 à la Pampa de Achala, en Argentine.

Pour les Incas, cet oiseau majestueux représente l'ascension de l'âme vers les cieux. Un endroit spécifique lui est réservé sur le site sacré et ce n'est pas le moindre. Le temple du Condor se compose d'une immense dalle tirée de la roche et sculptée pour représenter l'oiseau sacré. C'est sur cette dalle que sont sacrifiés les animaux offerts aux dieux. Le flot de sang s'écoulant sur la surface rocheuse est dirigé vers la "collerette" creusée dans la pierre et il est ensuite concentré vers le bout de ce qui ressemble à un bec d'oiseau. Ce que nous ne voyons pas sur cette photo de Anne, c'est qu'un trou est percé dans le sol et le sang s'y engouffre, suit un dalot creusé en dessous de la roche et aboutit à une petite grotte que nous devinons en haut de la photo. Tout ceci pour symboliser qu'à la mort le sang retourne à la terre alors que l'âme s'élève.

La pointe de cette dalle rocheuse a été ciselée pour représenter la collerette, le crâne et le bec d'un Condor des Andes. Les deux roches qui se rejoignent en avant font office d'ailes qui retiennent le flot de sang et le concentre vers une trouée pratiquée dans le sol. Le sang est ensuite dirigé dans l'obscurité d'une grotte par un petit canal tracé dans le sol ou à même le roc.
La ville sacrée de Machu Picchu , oubliée pendant des siècles, est considérée comme une oeuvre maîtresse de l'architecture inca. Elle fut dévoilée au monde par l'archéologue Hiram Bingham de l'Université Yale en juillet 1911. Il écrivit un ouvrage de référence à ce sujet. Ses caractéristiques architecturales et le voile de mystère que la littérature a tissé sur le site en ont fait une des destinations touristiques les plus prisées de la planète. Depuis 1983, le site est sur la liste du Patrimoine mondial de l'UNESCO. Le 7 juillet 2007, l'endroit a été désigné comme l'une des sept nouvelles merveilles du monde par le New Open World Foundation, un organisme non officiel et à caractère commercial.

Anne et moi sommes d'avis que c'est ce que nous avons visité de plus impressionnant à date dans nos voyages. Nous avions eu le bonheur de visiter antérieurement le site Maya de Caracol au Bélize et nous avions été tout simplement émerveillés par ce que nous avions découvert. Mais ce site est si grandiose en comparaison que nous ne manquons aucune explication de Ramiro. Cependant, nous revenons vite aux oiseaux quand nos pas croisent les chemins du Ada à ailes blanches / White-winged Black-Tyrant et
de l'endémique Ariane du Pérou / Green-and-white Hummingbird. Il est 13h00 lorsque Ramiro nous propose la descente à pied vers Aguas Calientes. Nous pourrions choisir également l'option de retourner en autobus, mais selon lui le parcours à pied en vaut la chandelle et nous sommes très enthousiastes à cette idée. Le ciel est légèrement couvert, ce qui est idéal comme température, et l'absence d'un soleil trop éclatant améliore les conditions d'observation. Afin de rattraper le retard du matin, causé par le départ tardif, le dîner se composera volontairement des barres tendres que nous traînons toujours avec nous. Ces huit kilomètres jusqu'à la rivière seront en effet très productifs.

La descente se fait au rythme ornitho, lentement et sûrement. Nous pouvons choisir d'emprunter la route large et en terre battue empruntée par les autobus ou descendre par le sentier des Incas. Nous utilisons un peu des deux afin d'avoir des milieux ouverts ou un peu plus fermés. Anne semble bien apprécier de se trouver là, sur la "vieille montagne".

Plusieurs nouvelles espèces sont rencontrées dont un couple de l'endémique Cotinga masqué / Masked Fruiteater et plusieurs individus du Troglodyte inca / Inca Wren, un autre endémique péruvien.C'est en fait une trentaine d'espèces que nous observons chemin faisant. Comme je ne faisais pas de photos à l'époque, je n'ai malheureusement pas plus de photos d'oiseaux ou d'animaux à vous présenter.

Il est 16h00 lorsque nous arrivons au pont qui enjambe la rivière Urubamba et 16h30 lorsque nous atteignons le village. Nous sommes heureux, mais aussi très affamés. Ramiro nous conduit au restaurant Indio Feliz, tenu par un français et sa femme péruvienne. Ce français a vécu deux ans à Montréal alors qu'il était en couple avec une femme de Shawinigan. Que le monde est petit ! Nous jasons en français, ce qui ne doit sûrement pas lui déplaire. Le repas est excellent, le meilleur à date en sol péruvien. Nous nous rendons ensuite à la gare pour 18h15, le train quittant la gare à 18h45. L'embarquement se fait aux lueurs des chandelles, car il n'y a pas de courant suite à l'éboulis du matin qui a arraché des fils électriques le long de la voie ferrée. Custo nous attend à Ollantaytambo et il est 21h00 lorsqu'il nous dépose aux portes de l'hôtel.

Quelle journée ! Mémorable, comme toutes les autres depuis notre arrivée, mais celle-ci est encore plus spéciale. Nous nous couchons beaucoup plus tard que d'habitude, vers les 22h30, et le lever est prévu à 04h30. Bah ! On se reposera à notre retour au Québec.


 Nous sommes ici en mission, n'est-il pas ? comme dirait l'autre.






lundi 8 avril 2013

Ce bec qui ne ferme pas...

Oui, j'en ai vu des oiseaux dotés de becs de toutes dimensions, couleurs et formes imaginables. Et je souhaite avoir de multiples autres occasions d'en voir encore des différents. Le bec est d'une importance capitale pour les oiseaux, car il est l'outil essentiel au nourrissage. Afin d'optimiser son action, le bec s'est même façonné, à travers l'évolution, à la nourriture qui assure la survie de l'oiseau. On connaît la variété incroyable de becs dans le fascinant monde des colibris qui comptent 328 espèces. Ces lilliputiens du monde aviaire se nourrissent principalement de nectar (90% contre 10% pour le pollen et les arthropodes) qu'ils recueillent dans les corolles des fleurs et la compétition est féroce chez ces nectarivores. Tellement féroce en fin de compte que la plupart des espèces ont dû se spécialiser dans la collecte de nectar à partir de plantes bien spécifiques. Et pour être certains que la compétition soit moins vive, ils ont développé des becs qui se sont adaptés aux systèmes pollinisateurs de chaque plante.

En fait, l'oiseau n'avait pas le choix. Afin de rencontrer ses besoins énergétiques quotidiens, un colibri doit visiter entre 1 000 et 2 000 fleurs par jour. Imaginez si ce colibri devait s'adapter à diverses plantes, visite après visite, le temps perdu à s'ajuster pourrait mener à sa perte. Le transit intestinal se fait en quinze minutes chez un colibri et ça prend à peu près quatre minutes pour vider sa récolte d'un repas de nectar dans l'intestin. Grosso modo, le colibri doit se nourrir aux cinq minutes s'il veut conserver son niveau d'énergie. Pas de temps à perdre à explorer la façon d'aller chercher du nectar à partir d'une fleur qui ne lui est pas familière. Parallèlement à l'oiseau, chaque plante hôte a également évolué de façon à ce que l'oiseau ou l'insecte qui lui soutire son nectar reparte, en contre partie, avec sa semence. C'est un échange équitable de services "Je te nourris et tu assures ma survie en allant polliniser d'autres plantes de mon espèce".



 L'exemple le plus spectaculaire de cette spécialisation, et sans aucun doute l'un de ceux qui frappe le plus l'imaginaire, est celui du Colibri porte-épée / Ensifera ensifera /  Sword-billed Hummingbird.

Cette espèce sud-américaine possède un bec excessivement long, pouvant atteindre 12 cm de long, alors que la longueur de son corps peut atteindre 14 cm (du bout de la queue au début du bec). Chez certains individus, la longueur du bec peut même dépasser celle du corps. Imaginez alors la fleur qui peut accueillir un tel bec. Vous en avez une idée sur l'illustration à gauche. Le datura représente la plante idoine pour notre pinocchio ailé. Une fleur aux corolles longues et pendantes qui obligent un colibri à posséder un bec anormalement long pour aller extirper le délicieux nectar. Par contre, d'autres oiseaux moins nantis d'un bec-super-allongé contournent l'obstacle en piquant la corolle à sa base pour se sustenter du liquide sucré. Je pense ici à certaines espèces de colibris comme les porte-traînes (trainbearers), aux sucriers (bananaquit) ou aux percefleurs (flowerpiercers). Mais ces pique-assiettes ne faisant pas l'objet de ce billet, revenons à nos colibris.

Et si on va à l'autre bout du spectre, toujours chez les trochilidés, nous aboutissons au Colibri à petit bec / Ramphomicron microrhynchum / Purple-backed Thornbill. Son bec est court, comparable à bien des passereaux. Bizarre pour un colibri. En novembre 2010, lors d'un voyage en Équateur, je comprends pourquoi il n'a pas besoin d'un bec plus long. Alors que nous nous trouvons à Papallacta Pass, à 4 000 mètres d'altitude, nous observons deux individus qui se nourrissent au sol sur des fleurs blanches de faibles dimensions et au pédoncule très court. Encore un autre bel exemple de "scratch-my-back-and-I-will-scratch-yours", chacun sortant gagnant-gagnant dans le processus.

Lors de mon dernier voyage en Thaïlande, j'ai découvert une espèce d'oiseaux au bec hautement spécialisé que je n'avais pas eu l'occasion de voir de très près lors de mon premier voyage en novembre 2004. Oui, j'avais bien observé et photographié l'espèce lors de ce voyage, mais nous avions passé vite dans le secteur de l'île où l'espèce est abondante et nous ne l'avions pas vue ailleurs. Voici la photographie que j'avais réussi à faire de l'oiseau à l'époque. Je ne faisais alors que de la photo d'habitats, de paysages ou de personnes. Je n'étais pas équipé d'un bon appareil et d'une lentille me permettant de prendre des clichés détaillés et intéressants. Il s'agit du Bec-ouvert indien / Asian Openbill. Ce grand échassier, de la famille des Ciconiidae, ressemble à une cigogne par sa taille, son aspect général et ses comportements. Il se nourrit dans les champs, les vasières, les lieux inondés, les fossés, bref un peu partout dans les milieux ouverts. En fait, dans le centre du pays, on le voit quotidiennement et dans différents lieux. Dès que nous sortons de la zone métropolitaine de Bangkok, direction sud, nos chances d'en croiser sont assurées. Voici donc la bête observée il y a un peu plus de deux mois


et, plus particulièrement, son bec


Il y a deux espèces de bec-ouvert dans le monde, celui-ci et le Bec-ouvert africain / African Openbill. Ce dernier est tout noir et j'ai eu la chance d'en photographier un alors qu'il passait en vol au Lac Kinkony dans le nord-ouest de l'île de Madagascar en octobre 2012. Voici la photo trop rapide du seul individu observé lors de ce voyage.


Cette photo prise à la sauvette et sous la faible lumière annonçant une tombée du jour imminente nous permet quand même de voir l'ouverture dans le bec. Et comme le plumage de cette espèce est totalement noire, nous ne perdons pas grand chose au niveau esthétique.

Les deux membres du genre Anastomus partage donc un bec unique. Comme leur nom l'indique, ce bec a une ouverture béante entre les deux mandibules, lui donnant une apparence tordue, déformée. En fait, cette particularité s'est peut-être développée au gré de l'évolution lorsque des individus affublés d'un bec différent des autres ont trouvé un avantage supérieur à cette malformation pour extraire les escargots de leurs coquilles. D'un autre côté, la technique utilisée peut, à la longue, user ou modeler le bec. C'est ainsi que les becs des oiseaux, avant qu'ils ne quittent le nid, sont plus droits et conventionnels.

Mais peu importe les explications que nous pourrions trouver, il semble bien que ce bec étrange se soit spécialement adapté à la diète spécifique aux oiseaux de ce genre. La mandibule supérieure est presque droite et elle est pourvue près de la pointe d'une série d'aspérités qui aide probablement l'oiseau à agripper la coquille et à la tenir bien en place lorsque l'escargot en est retiré. La mandibule inférieure est recourbée sur environ les deux tiers de sa longueur et elle est quelquefois plus usée d'un côté, une difformité résultant de la technique spéciale de nourrissage. Les oiseaux plus âgés auraient un plus gros espace entre les mandibules.

Une fois de plus la nature sait nous émerveiller et nous étonner. Il y a tant à observer et à apprendre.

À bientôt...


Bibliographie

Handbook of the Birds of the World. Lynx Edicions, 1992. Volume 1

Handbook of the Birds of the World. Lynx Edicions, 1999. Volume 5