mardi 29 mai 2012

L'Île-aux-Basques: printemps 2012

D'entrée de jeu, je vous invite, si vous ne l'avez déjà fait, à lire mon billet du 13 octobre 2011 intitulé "L'Île-aux-Basques: une île magique dans le Saint-Laurent".  Ceci afin d'avoir des points de repère sur le texte qui va suivre.

Anne et moi nous nous rendons les 18, 19, 20 et 21 mai avec 21 autres membres du Club des Ornithologues de Québec (COQ) sur cette petite île, dans le cadre d'une activité régulière et bi-annuelle du COQ. Il y a tellement d'impondérables lorsque nous nous rendons à cet endroit que c'est impossible de prédire de façon certaine ce qui nous attend d'une fois à l'autre. Le point le plus litigieux se range sans aucun doute du côté de la température. S'il fait trop mauvais (pluies abondantes et continues, froids pénétrants, vents violents) ou s'il fait trop beau (soleil tout azimut, aucun vent, grandes chaleurs), les conditions ne sont pas optimales pour s'assurer d'une bonne présence de nos amis ailés. S'il fait trop beau, les oiseaux en migration ne sont pas poussés à toucher terre et ils continuent leur route migratoire jusqu'à leur terrain de nidification. J'ai connu ces conditions trop souvent dans un lieu migratoire comme Pointe Pelée dans le sud-ouest de l'Ontario, en bordure du lac Érié. Température trop belle égale moins d'oiseaux. Ce que nous pouvons espérer de mieux, c'est un mélange de toutes les températures. Ce sont des températures clémentes le jour avec un front froid la nuit. Ceci crée des conditions adverses qui agissent comme un mur incitant les oiseaux à se poser pour se nourrir afin de récupérer et de reprendre des forces pour la suite du périple.

Ces échouages d'oiseaux (ou fall-out) sont espérés par tout ornithologue. Mais il faut faire la différence entre une arrivée massive d'oiseaux suivant une nuit propice à un bon déplacement et un vrai "fall-out". Je n'ai connu un vrai "fall-out" qu'une seule fois dans ma vie et c'était le 6 mai 1972, à Pointe-Pelée. Une situation tellement unique et impressionnante alors que des centaines d'oiseaux gisent au sol, totalement épuisés à la suite d'une lutte féroce contre des conditions météorologiques adverses intenses. Ces oiseaux prennent réellement le temps de retrouver leur souffle avant de penser seulement à s'alimenter pour se refaire des forces. On peut alors observer les oiseaux à quelques centimètres seulement de nos pieds et ils ne semblent faire aucun cas de notre présence. Il est 6h00 du matin, à l'extrémité de la pointe et voilà que ces premiers "échoués" sont suivis de milliers d'autres qui ne se perchent que pendant quelques secondes dans les buissons environnants. Je suis alors accompagné de mon frère Clodin, un peintre animalier de renom, de Gaétan Couture et de François Lambert (2 biologistes en devenir) et nous convenons, devant le nombre ahurissant d'individus, de zones d'observation afin d'en manquer le moins possible. J'écope des premiers 2 mètres à partir du sol, Clodin des 3 à 4 mètres, ainsi de suite pour les autres. C'est irréel d'entendre tous ces noms d'oiseaux criés en anglais, car nous ne sommes vraiment pas seuls au bout de la pointe ce matin-là. À la fin juin de cette même année, je me retrouve à Jamaica Bay, en banlieue de la grosse pomme (New-York) et je rencontre une dame qui était là ce même matin à Pointe Pelée. Pour elle également, il s'agissait d'une première dans sa vie d'ornithologue amateure. Le monde est bien petit.

Maintenant, fini l'aparte, et revenons à nos moutons. Même si nous ne connaissons pas d'échouage lors de notre séjour, nous avons droit à des changements climatiques intéressants. Le 18 mai, nous accostons l'île vers 12h00. La température est superbe en cette première demie-journée. 45 espèces sont observées dans les 6 heures qui suivent. Comme on le sait, les heures en après-midi ne sont pas les plus productives pour entendre et voir toutes les espèces présentes sur le site. Plusieurs d'entre elles demeurent très discrètes. Cependant, les 7 espèces différentes de parulines nous réconfortent quant au "timing" de notre présence sur l'île. Ça indique que la diversité risque d'y être et c'est très motivant pour la suite.

Le 19 mai au matin nous trouve, Anne et moi, sur la côte nord-ouest de l'île alors que nos télescopes sont dirigés vers le large. Entre 7h00 et 8h15, nous sommes témoins du passage de 200 Plongeons catmarin, 10 Plongeons huard, 65 Petits Pingouins, 38 Fous de Bassan et 20 Guillemots à miroir. Ce qui nous étonne le plus, c'est l'absence complète de mouettes. Et comme les mouettes n'y sont pas, leurs harceleurs de prédilection, les labbes, risquent fort d'être absents eux aussi. Les canards de mer sont bien présents: 200 Eiders à duvet, 1 Eider à tête grise, 20 Macreuses à front blanc, 12 Macreuses brunes,30 Macreuses à bec jaune et 30 Hareldes kakawi. Deux Colibris à gorge rubis font la joie de bien des observateurs alors que ces bijoux ailés passent en super vitesse devant leurs yeux incrédules. Les deux espèces de roitelets sont très vocales et nous les entendons partout tout le long du sentier des basques. 10 espèces de parulines, 3 de pics et 5 de bruants se retrouvent dans les 72 espèces observées cette journée-là.


Une héronnière se retrouve sur l'île depuis plusieurs décennies. Cette héronnière a connu au fil des ans plusieurs péripéties et, en 2012, il semble qu'elle se soit scindée en deux. En effet, nous avons observé plusieurs individus qui se dirigeaient, branches dans le bec, un peu plus à l'ouest sur l'île que le site connu. Une deuxième héronnière serait-elle en train de s'établir ?  À suivre.


Fidèle à elle-même, l'île peut être très différente d'une journée à l'autre. Le 20 mai en est un bel exemple puisque l'observation au large à la même heure que le 19 procure bien peu en comparaison à la veille. Par contre, le petit matin est le témoin de l'arrivée de nouvelles espèces comme ce Moucherolle tchébec.




cette Paruline masquée




ou cette Paruline à calotte noire



Le 21 décembre, nous observons 71 espèces en sept heures d'observation et nous finissons le séjour de trois jours avec 105 espèces différentes. Voici quelques autres vedettes.

Un Pic à dos noir femelle. Nous verrons deux femelles et un mâle durant la fin de semaine.




Le Pic mineur et le Pic flamboyant sont des nicheurs réguliers sur l'île. Alors que le Pic mineur est relativement commun avec environ 3 couples nicheurs, le Pic flamboyant n'est représenté que par un seul couple. Ici, le Pic flamboyant est éconduit de quelques cavités potentiellement propices à la nidification par un pic beaucoup plus petit que lui, mais bien décidé à ne pas laisser un pouce de terrain au plus gros. Quelques secondes après cette photo, le Pic mineur s'est envolé vers le Pic flamboyant qui n'a eu d'autre choix que de déguerpir. Même si ces deux espèces ont été observées durant la fin de semaine à l'Île-aux-Basques, cette photo a été prise au Domaine de Maizerets, le 26 avril 2012.

Je termine ce billet sur cette photo et je n'écrirai à nouveau que d'ici sept semaines environ. Dans cinq jours, je quitte pour une autre expérience en forêt boréale dans le cadre du projet de l'Atlas des Oiseaux Nicheurs du Québec. La région située au nord ouest de l'Abitibi nous attend, François Gagnon et moi-même, et elle va sûrement nous réserver de très belles surprises. Nous y passerons un miminum de six semaines.

J'ai bien hâte d'y aller et je vais sûrement avoir plusieurs aventures à vous raconter à mon retour, aventures que je documenterai avec quelques photos. Bel été 2012 à tous !



mardi 15 mai 2012

Un printemps québécois différent

Oui, je sais, vu tout le brasse camarade qui se passe présentement au Québec avec les contestations étudiantes et leurs carrés rouges, verts ou blancs, le titre de ce billet peut mener à une certaine confusion... et c'est voulu. Le printemps au Québec en 2012 est tout à fait spécial à plus d'un niveau. Pendant que des groupes marginaux d'étudiants, menés par des motifs fallacieux, concourent à donner au Québec un air de société en pleine crise, les oiseaux allègent l'atmosphère en revenant des pays chauds avec quelques jours en avance sur les dates des années antérieures. Et, si vous le permettez, je vais m'attarder davantage sur le phénomène ornithologique. Une température anormalement clémente en mars a provoqué l'arrivée hâtive de plusieurs espèces migratrices. En fait, c'est même avec une à deux semaines d'avance que les premiers migrateurs ont atteint nos latitudes. Pour plusieurs personnes, la raison évoquée pour expliquer ce phénomène a pour cause le "réchauffement climatique", mais je ne partage pas cet avis. Je trouve que ce soit disant "réchauffement climatique" a les épaules bien larges par les temps qui courent et qu'on lui attribue tous les maux. Ne possédant pas la vérité absolue pour tout expliquer, je crois cependant plus aux cycles qui régissent toute la nature. On n'a qu'à penser à la succession des saisons, au jour et à la nuit, aux phases de la lune, à la trajectoire des astres, aux cycles d'abondance de différentes populations d'animaux... Quand vous vous endormez la nuit, doutez-vous une seconde que le soleil se pointera ou non à l'horizon le lendemain matin ? Des printemps hâtifs, les humains en ont connus, tout comme pour les printemps tardifs. Le problème est que nous ne possédons pas toujours les statistiques qui permettraient de tout prévoir.
De la même façon qu'une température clémente en novembre 2011 a permis à des milliers de Merles d'Amérique de retarder leur départ vers leur aire de distribution hivernale, les mêmes conditions climatiques vécues en mars 2012 ont permis un retour hâtif chez les populations d'oiseaux hivernants aux États-Unis, pas très loin au sud du Québec si on les compare avec celles se rendant jusqu'en Amérique du Sud. Les oiseaux sont des opportunistes et ils doivent l'être s'ils veulent survivre. La période de nidification n'est pas très longue sous nos latitudes nordiques et les oiseaux vont profiter de chacune des journées additionnelles octroyées par une température avantageuse.

Ces temps-ci, comme je n'ai malheureusement pas le temps d'écrire des billets trop documentés, je vais me contenter de partager avec vous des belles rencontres faites dans les derniers mois.


Le 19 avril, un Canard noir au Domaine de Maizerets, ville de Québec. À cause du haut taux d'hybridation avec le Canard Colvert, l'avenir de cette espèce ne serait pas assurée si l'on se fie aux avis de nombreux ornithologues professionnels et des taxonomistes de renom. L'observation d'un individu de "race pure" deviendra peut-être rare dans quelques décennies.

Le 6 mai, un Canard colvert mâle à l'Île des Soeurs, ville de Montréal.  Cette espèce est beaucoup plus nombreuse que le Canard noir et elle s'hybride facilement avec ce dernier.


Le 19 avril, un Quiscale bronzé mâle au Domaine de  Maizerets, ville de Québec. Cet individu n'hésite pas à ébouriffer son plumage afin de convaincre toute femelle présente qu'il est le "macho" des lieux.

Le 19 avril, un Pic maculé femelle au Domaine de Maizerets, ville de Québec. Les trous alignés sur le tronc montrent bien pourquoi son nom anglais est  le Yellow-bellied Sapsucker. Il perfore une série de trous dans l'écorce de l'arbre d'où  la sève suinte peu après. Non seulement sappe-t-il la sève qui s'écoule, mais il peut ingurgiter les insectes qui, attirés par l'odeur du liquide, viennent s'y coller et ne peuvent échapper à leur destin tragique. De plus, le Colibri à gorge rubis, le seul colibri rencontré au Québec, aime bien à l'occasion venir se sustenter de cette même sêve et des insectes retenus prisonniers.

Le 19 avril, un Carouge à épaulette mâle au Domaine de Maizerets, ville de Québec. Cet ictéridé est très commun au Québec et il est reconnu pour son agressivité lorsque vient le temps de défendre son territoire. Il n'hésitera jamais à foncer sur l'individu qui envahit son territoire. Des agressions envers des humains sont rapportées sporadiquement mais, considérant la taille de l'oiseau, n'ont rien à voir avec celles du Cassican flûteur d'Australie.


Le 19 avril, une Grive solitaire au Domaine de Maizerets, ville de Québec. Cette grive est toujours la première des six espèces de cette famille observables au Québec à revenir sous nos latitudes le printemps venu. 



Le 13 mai, une Grive à dos olive à la Base de Plein Air de Sainte-Foy, Québec. Voici la deuxième espèce qui suit habituellement la Grive solitaire de quelques semaines.


Le 13 mai, un Moqueur roux à Pont Rouge.


Le 13 mai, un Merlebleu de l'est mâle à Pont Rouge. Le merlebleu n'a jamais été très commun au Québec. Il a connu sa part de problèmes lorsque les terres agricoles ont été grandement modifiées au cours du dernier siècle. Les piquets de cèdre, endroits privilégiés pour établir leur nichée, ont été enlevés et l'oiseau s'est retrouvé devant un manque d'endroits propices à la nidification. Heureusement, des cabanes spécialement adaptées à leurs exigences ont été installées sur des "routes de merlebleu" et cette initiative a connu un succès inespéré. La population du merlebleu est en hausse au Québec, à notre plus grand contentement.


Le 13 mai, une Sturnelle des prés mâle à Neuville. Au cours des dernières trente années, cette espèce a connu une baisse drastique de sa population. La cause principale du déclin se situe au niveau des techniques de récolte du foin qui a changé énormément durant ces années. Alors qu'autrefois on ne coupait le foin qu'une fois par été, maintenant ce sont deux coupes qui se font, détruisant une grande majorité des nichées en cours. Le Goglu des prés et la Maubèche des champs ont également écopé de ces méthodes nouvelles.


Le 12 mai, une Oie des neiges au Cap Tourmente. Au milieu du XXième siècle, la population de l'Oie des neiges au Québec était évaluée à 200 000 individus. Aujourd'hui, la population mondiale est estimée à 7 600 000 individus et n'est pas menacée. La population de passage au Québec était estimée en 2009 à 1 428 000 individus, et en forte progression. La coloration rousse sur la tête et la base du cou provient du fer contenu dans le sol où les oies se nourrissent des racines du Scirpe d'Amérique, sa plante préférée.


Le 5 mai, un couple d'Hirondelles bicolores à Baie-du-Febvre. On peut facilement différencier les sexes selon leur plumage. À condition cependant que la femelle soit âgée de moins de 2 ans. La première année, elle arbore un plumage brun alors que la deuxième année, elle porte le même manteau que le mâle.


Le 6 mai, un Râle de Virginie à l'Île des Soeurs, Montréal. Selon le spécialiste de ce secteur, Pierre Bannon, ça faisait quelques années que cette espèce n'avait pas été observée en ces lieux. Une belle redécouverte, mais y nichera-t-il en 2012 ?
Le 12 mai, un Moqueur polyglotte au Cap Tourmente. Cette espèce est répertoriée à tous les ans au Québec, mais en nombre plutôt restreint. L'année 2012 semble propice puisque plusieurs individus ont été rapportés au cours des derniers jours, dans diverses régions.  Le 13 mai, j'ai même observé et photographié un autre individu à la Base de Plein Air de Sainte-Foy.


Les premières vagues de parulines sont arrivées et le meilleur est à venir dans les jours qui viennent. Le printemps est vite passé et il faut profiter de toutes les occasions pour observer cette belle nature.